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par Francis PIAN • le 23 février 2025

Rendez-vous avec la mort

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En couverture, des femmes, des enfants, cranes rasés, ils regardent le photographe. A travers leur regard, ce sont les milliers de morts gazés, brûlés, torturés, épuisés de faim et de maladie qui nous appellent. En fond, les barbelés électrifiés et les toits de bâtiments d’Auschwitz-Birkenau libéré voici 80 ans. Tout est là pour l’éternité. Pourtant, il faut parler, témoigner, expliquer. Des enseignants, des chercheurs ont écrit des ouvrages de référence mais ils ne remplacent pas les récits des victimes, l’authenticité des propos. Dans l’émission Au fil des pages sur Radio libertaire, nous faisons régulièrement état de livres sur ces évènements avec en question de fond : comment cela fut-il possible et comment ces femmes et ces hommes ont survécu à cette horreur ? Piotr M. A. Cywinski, directeur du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau dans son livre Auschwitz, Une monographie de l’humain paru chez Calmann-Lévy évoque ces témoins. « Ce livre, fruit de plus de cinq ans de travail, est pour le lecteur une invitation à réfléchir sur le genre humain. Ce ne sera, très probablement, ni simple, ni plaisant. »

« Auschwitz pose des questions sur l’humain dans des conditions conçues par l’homme qui dépassent les limites les plus extrêmes. Auschwitz pose ainsi d’innombrables questions sur l’humanité dans une situation de déshumanisation programmée. » L’auteur rapporte sur plus de 550 pages, des témoignages. Il n’y a pas que les dates, les chiffres, les faits pour présenter Auschwitz-Birkenau. L’histoire de ce camp est celle d’une gigantesque tragédie humaine dont la dimension est unique en son genre. Difficile de parler à la place des disparus, celles et ceux qui arrivés sur la rampe de la gare sont dirigés vers la mort. 80 % des victimes. « C’est à eux tous – un million trois cent mille personnes dont j’ai tenté de retracer les chemins spirituels, émotionnels et humains – que je dédie ce livre. »

La mesure du temps se perd
Nous, lecteurs, sommes guidés dès l’arrivée hors du monde, les cris, la peur, les chiens, les coups, l’incompréhension, la perte de la dignité, pas même un adieu, la nudité, l’attribution d’un numéro pour devenir des automates. Les témoignages rapportent ces faits, des ressentis, des phrases froides, sinistres. Les réalités du camp encadrent les détenus. De pseudos lois. Peu de tentatives de suicide même si certains se jettent sur les barbelés électrifiés. La mesure du temps se perd, il faut survivre à chaque jour respirant cette horrible odeur de chair brûlée. La mort est permanente en vivant avec les morts. La faim est lancinante jusqu’à l’épuisement, on mange de tout. Vous lirez des scènes épouvantables. Et puis la soif, « la terrible soif rend fou » tout comme le froid. Les maladies activent la mort en raison de conditions d’hygiène déplorables, la gale, le typhus, la dysenterie. En plus de cette vie, la nostalgie, les tristes souvenirs, les fantasmes du monde libre peuvent provoquer un effondrement psychologique. Au fil des pages, vous croiserez des Muselmanner, extrêmement émaciés, proches d’être moribond.

Vivre, c’est déjà résister !
Piotr M. A. Cywinski organise son livre autour des thèmes de la vie quotidienne du camp : les souffrance subies, l’organisation, les rapports humains, les enfants, la hiérarchie et les dénonciations, les sentiments jusqu’au sacrifice pour sauver l’autre, un extraordinaire signe d’humanité. Les communautés s’organisent dans le camp en fonction des origines, des groupes politiques, philosophiques même s’il est difficile de se retrouver avec un temps soit peu d’intimité. La résistance tente de s’organiser avec Witold Pilecki, officier polonais, déporté volontaire dans ce but, fusillé en 1948 par le régime communiste polonais. Le simple réconfort apporté à un voisin de chambrée, de travail était déjà courageux car puni de mort. Les évasions sont très difficiles et malheur aux évadés repris. Chaque page démontre la volonté du Reich de déshumaniser les détenus, de hâter leur mort. Lisez ces propos, ces cris, ces adjurations des survivants !
« Pourquoi moi ? Quelle est l’explication de ma survie personnelle ? Pourquoi est-ce moi qui suis resté vivant ? Je n’ai pas de réponse. Aucune explication satisfaisante mais une multitude d’hypothèses et de nouvelles interrogations. »

• Piotr M. A. Cywinski
Auschwitz, Une monographie de l’humain
Ed. Calmann-Lévy, 2025

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages

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