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par Francis PIAN • le 15 décembre 2024

La démographie de l’extrême

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En route pour un voyage en démodystopie...

Un livre qui établit un pont entre les mondes d’utopie, la littérature de science-fiction et l’étude de la démographie. Trop d’êtres humains ? Des épidémies éradiquant l’espèce humaine ? Un âge limite de vie ? Peut-on vivre ailleurs qu’en ville ? L’avenir de l’espèce humaine sur cette terre, un espace clos, hante les esprits depuis l’Antiquité. Certains comme Platon dans La République, tentent de concevoir un monde d‘utopie où tout est prévu, calculé. Un monde invivable en réalité. Tout comme sur L’île d’Utopie de Thomas More. Chez More, la préoccupation d’un équilibre de la population est déterminante, une ville ne devant être ni dépeuplée ni trop peuplée. Et nous retrouvons Fontenelle, Jean-Baptiste Say. La différence entre ces mondes d’utopie et de dystopies réside dans l’ordre social stable pour les premiers et un désordre tragique pour les seconds. Les régimes actuels ont une tendance à enrégimenter la vie des populations au détriment des libertés publiques. Comment se projeter dans la gestion future des populations et de leur développement ? Jacques Véron, démographe et Jean-Marc Rohrbasser, agrégé de philosophie et docteur en histoire des sciences s’appuient sur la fiction littéraire, cinématographique pour définir des tendances, dans un ouvrage passionnant, La démographie de l’extrême publié à La Découverte en 2024. En route pour un voyage en démodystopie…

Commençons par La Folle Semence d’Anthony Burgess et l’institution d’un quota de grossesse sous le contrôle d’un ministère de l’infertilité et un corps de la police de la population. Evidemment Soleil vert d’Harry Harrison, le livre et le film se distinguent dans la chute mais se pose la question de la densité urbaine avec la chaleur, la qualité de l’eau, la nourriture. La violence domine la vie sociale dans Tous à Zanzibar de John Brunner : émeutes, gangstérisme, vandalisme. Faut-il réduire ou limiter cette fertilité ? Et des livres nous basculons dans le monde réel avec l’analyse de la politique de Nehru en Inde et surtout celle de la Chine. L’analyse scientifique tire des enseignements gravissimes. Peut-on nourrir tout le monde ? Malthus n’est pas loin, bien sûr. Y a-t-il une population maximale ? Vivons-nous sous la menace d’une catastrophe écologique et sociétale ? Il faut changer notre manière de produire et de consommer, développer une agroécologie protégeant l’environnement en soulignant la diversité des situations nationales et les inégalités de développement. Va-t-on vers les 10 milliards d’habitants avec un vieillissement de la population mondiale et donc une baisse de celle-ci ? Partir des romans pour aller vers la science est un parcours intellectuellement subtil et presque grisant.

Quelle ville pour quelle vie?
Il en est de même avec l’urbanisation. Commençons par Les Monades urbaines de Robert Silverberg. On stocke en hauteur ? Poursuivons avec A la mémoire de Schielmann (Pamiati Chlimana) de Nina Berberova qui construit des immeubles aussi profonds que hauts. Faut-il limiter l’accès à la ville ? La pollution des villes devient insoutenable (Delhi, Mexico, Pékin) tout comme la gestion des déchets. Derrière les romans, la vie ? Crise des villes ou crise de société ? Restons dans notre pays, montons sur une des buttes parisiennes ou la Tour Montparnasse et nous mesurons l’immensité de l’agglomération parisienne, la complexité de sa gestion, la pollution permanente.
Va-t-on vers un monde sans enfant ? Jean Dutourd dans 2024 s’interroge sur le refus délibéré de mettre au monde un enfant. La Servante écarlate de Margaret Arwood met en scène une stérilité des femmes dans une société totalitaire. Elle se rapproche d’Aldous Huxley et Le Meilleur des mondes. Dans notre monde, la stérilité peut être volontaire, due à la pollution chimique, les perturbateurs endocriniens ou initiée par des Etats.
N’oublions pas le vieillissement de la population et nous songeons à Socrate, More, Montaigne, Swift. Comment gérer la fin de vie ? Doit-on rester jeune jusqu’à en mourir ?

Devons-nous avoir peur ?
Les migrations alimentent de nombreux ouvrages et documentaires. Je relèverai celui de Robert Bober et Georges Perec, Récits d’Ellis Island et la charge de désillusion dans la confrontation à la dureté de la vie américaine. Evidemment Les Raisins de la colère de John Steinbeck, Ouragan de Laurent Gaudé. Non, on n’émigre pas par plaisir. Thomas Mann et Stefan Zweig ont bien décrit cette déchirure. Les auteurs de La démographie de l’extrême démontent avec précision et technicité la théorie du grand remplacement cher à Renaud Camus.
Le rôle des épidémies reste à mesurer. Déjà Lucrèce, le philosophe romain, auteur du De natura rerum, les mentionne. Camus avec La Peste, Jack London avec La peste écarlate dressent un tableau de ces drames. Faisons le lien avec d’autres épidémies récentes et établissons un parallèle intéressant dans le processus analysé par Albert Camus et les mesures prises lors du Covid par le gouvernement français. De la négation du phénomène à la recherche du remède miracle, cela relève presque de la caricature.
Pouvons-nous résister ou devons-nous avoir peur ? Jacques Véron et Jean-Marc Rohrbasser concluent leur ouvrage par ces questions : « Les démographes sont-ils en dernier ressort condamnés à nourrir des peurs ? […] Serions-nous toujours menacés par des crises ou des catastrophes démographiques ? Et que pourrait être une population idéale ? »

• Jacques Véron et Jean-Marc Rohrbasser
La démographie de l’extrême
Quand la fiction anticipe l’avenir des sociétés
Ed. La Découverte, 2024

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages sur radio libertaire

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