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par Francis PIAN • le 15 septembre 2024

Des idées et des luttes: Vivre au camping

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Des accidents de la vie à la précarité permanente
Pour nombre d’entre nous, le camping était symbole d’indépendance, d’une forme de liberté. Il pleuvait à un endroit, on pliait la tente et on partait ailleurs. Combien de familles ouvrières ou de classes dites moyennes ont pu ainsi découvrir d’autres paysages, s’aérer le corps et l’esprit. Certains terrains étaient plus que rudimentaires, notamment les campings municipaux mais on était heureux, cette sensation qui n’a pas de prix. Petit à petit les exigences des utilisateurs incitent les propriétaires à développer le confort. Des espaces sont délimités, des bungalows y occupent une part majeure. Et quand vous regardez les terrains d’aujourd’hui, vous constatez une évolution essentielle sur certains d’entre eux, des usagers deviennent des utilisateurs permanents, volontairement ou à défaut d’autres solutions. Gaspard Lion, sociologue, s’est intéressé à ce ou plutôt ces publics dans son livre Vivre au camping, un mal-logement des classes populaires publié aux éditions du Seuil en 2024.

« Aujourd’hui, d’après la Fondation Abbé Pierre, plus de 16 millions de personnes sont ainsi victimes, à des degrés divers, de ce que l’on n’ose plus appeler la « crise du logement » tant celle-ci apparaît structurelle. » Ajoutons qu’un million de personnes sont sans logement personnel et 330 000 considérés comme SDF. Encore un chiffre ? 100 000 personnes résident dans ces campings détournés de leur fonction traditionnelle de loisirs et de tourisme en servant d’unique domicile. Ce type de logement est interdit mais pratique. Certains propriétaires ferment les yeux mais la situation reste toujours incertaine et les abus quant au prix, aux contraintes fragilisent ces personnes qui ont par ailleurs de nombreuses difficultés sociales. Le camping à l’année est une solution face à cette crise du logement. Impossible d’accéder à la propriété individuelle « en dur » en raison de la faiblesse des revenus. Alors, on recherche un espace à soi, moins de contraintes, en refusant l’image de l’habitat collectif. Dans les années 1980, notre pays connaît la fin de la diffusion de la propriété au sein des couches populaires. La barrière de l’accès au crédit, au loyer est une des causes majeures du mal-logement.

De l’illusion à la réalité
Attention, ne croyons pas que cette situation traduise une misère sociale des occupants et Gaspard Lion souligne les différences de revenus qui impliquent des attitudes différentes. Dans certains campings, les propriétaires créent des lotissements résidentiels en sélectionnant la clientèle qui personnalise son terrain, son intérieur, une forme de village permanent. Pas d’illusion, ces occupants ne sont pas propriétaires et n’ont aucun droit au maintien avec un bien, un mobil home qui se dégrade assez rapidement. Et puis il y a les autres. Ceux qui travaillent sans gagner suffisamment pour accéder à un logement social. Les accidents de la vie brisent de nombreuses personnes. Elles se tournent vers cette solution mais supportent mal le regard des autres. L’auteur livre de nombreux témoignages de cette précarité, photos à l’appui. C’est un provisoire qui dure et c’est dur. Perte de la confiance en soi, découragement, honte et stigmate, un ressentiment à l’égard des riches. La souffrance psychologique est une réalité. Alors, on s’adapte, on tente d’améliorer ce logement, le jardin sert d’exutoire. On se contente de peu, les privations sont permanentes. Entre voisins de même conditions sociales, les échanges de services sont fréquents, une sociabilité populaire et informelle se crée comme dans les quartiers ouvriers « dans le temps ».

La violence institutionnelle du pouvoir absolu
L’incertitude quant à l’avenir, le pouvoir discrétionnaire des propriétaires, les abus qui en résultent sont analysés dans le chapitre consacré au délogement. Gaspard Lion nous présente dans le détail l’expulsion de résidents d’un camping municipal, le mépris dans les propos du maire, la violence institutionnelle, la manipulation des individus par un travailleur social qui gagne sa place de responsable des ressources humaines au sein des services communaux. Sordide !! Un pouvoir absolu comme le soulignait Pierre Bourdieu : « Le pouvoir absolu est le pouvoir de rendre imprévisible et d’interdire aux autres toute anticipation raisonnable, de les installer dans l’incertitude absolue en ne donnant aucune prise à leur capacité de prévoir ». Voilà un champ de lutte nouveau mais essentiel. « Ces modes de traitement de la question sociale sont d’autant plus délétères et ont d’autant plus pour effet de paupériser et d’enfermer ces personnes dans la pauvreté qu’il n’existe actuellement aucune exigence législative pour garantir un relogement effectif lors des expulsions, contrairement par exemple aux politiques de résorption des bidonvilles d’après-guerre. » Des associations se créent pour aider ces personnes à court terme mais l’enjeu est celui d’une politique sociale globale et d’une construction massive de logements sociaux à très bas loyers accessibles à toutes et à tous.

• Gaspard Lion
Vivre au camping
Un mal-logement des classes populaires
Ed. du Seuil, 2024

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages sur Radio libertaire

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