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par Francis PIAN • le 17 novembre 2024

DES IDEES ET DES LUTTES: Camus chez les Justes

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« S’occuper de l’homme »

Nous savions qu’Albert Camus fut un résistant opposé aux injustices et aux atteintes aux libertés. Son rôle dans le réseau Combat et à la tête du journal éponyme en donne une image forte encore de nos jours. Mais d’où lui vient cet engagement. D’Algérie? De Paris ? Eh bien non ! C’est dans un petit village du Massif central, Le Chambon-sur-Lignon qu’il prend conscience de la situation. Il est seul loin de sa famille dans un paysage de montagne du Vivarais, des maisons grises, la pluie, le froid, des sapins comme le montre si bien la couverture du livre Camus chez les Justes, publié chez Bleu Autour. Cet ouvrage regroupe des témoignages, des réflexions de proches dont sa fille Catherine Camus, un travail collectif sous la direction d’Anne Prouteau, présidente de la Société des études camusiennes. Le lecteur goûtera les dessins et aquarelles de Jacques Ferrandez, les photographies le plus souvent peu connues, particulièrement celle de sa fausse carte d’identité au nom d’Albert Mathé.

Une accroche qui montre bien la complexité de Camus mais aussi la logique dans ces choix : « J’ai commencé la guerre de 1939 en pacifiste et je l’ai finie en résistant. Cette inconséquence, si c’en est une, m’a rendu plus modeste », écrit-il en 1951. En 1942, la tuberculose qu’il a contractée plus jeune, refait un grave retour. Son médecin d’Alger lui conseille, le presse de se rendre dans une région plus propice à soigner ce mal. Ce sera le secteur du Chambon-sur-Lignon, plus particulièrement le hameau du Panelier. Anne Prouteau nous livre une biographie synthétique et souligne la solidarité manifestée par Camus envers les juifs, en Algérie et en métropole. Pourquoi insister sur ce point ? Tout simplement parce que ce plateau isolé, habité de protestants, de huguenots, devient un lieu de protection pour des familles, des enfants juifs cachés par ces habitants qui ne demandaient rien car pour eux, protéger les pourchassés est une seconde nature en lien avec leur histoire. Au lendemain de la guerre, nombre d’entre eux reçurent le titre de Juste parmi les Nations. De longue date, ils connaissaient la valeur de l’hospitalité et celle de la tolérance. Deux pasteurs dénoncèrent publiquement en chaire le nazisme.

De la solitude à la Résistance
Et Camus ? il y écrit La Peste, L’Etranger, ses Carnets, sa pensée se structure, se densifie. La solitude lui pèse mais lui permet de jeter les bases de son œuvre. « C’est là que j’ai vécu une dure année dans la solitude absolue en 1943. » Il rencontre des résistants, des anonymes, mais aussi Francis Ponge, Pascal Pia. Il rejoint Combat, un peu comme une démarche évidente dans la modestie des Justes qui le côtoyaient. Sa fille Catherine se rappelle qu’elle avait trouvé sa médaille de la Résistance cachée dans un tiroir mais lui considérait qu’il ne la méritait pas car il était toujours en vie et songeait à ses camarades morts au combat contre l’occupant. A d’Astier de la Vigerie l’accusant de se réfugier dans un rôle de moralisateur, il répond : « On n’a pas le mérite de sa naissance, on a celui de ses actions. Mais il faut savoir se taire sur elles pour que le mérite soit entier. »

« Le travail trouve son compte »
Sans doute son séjour influe sur son travail : « Je me repose, je travaille, je fais des promenades. Depuis qu’il pleut, je lis un peu plus. En somme de grandes journées vides et silencieuses où le travail trouve son compte. » Réflexion et action sur la période le conduisent à réécrire La Peste comme le démontre Marie-Thérèse Blondeau dans son article avec notamment la place des rats et des mouches. Il songe aussi à L’Homme révolté si déterminant dans la construction d’une pensée indépendante de tout totalitarisme, mais aussi Les Justes. Comment articuler l’esprit et l’épée ? Rémi Larue dans sa contribution relative à l’entrée en résistance de Camus développe la conception de celui-ci. « Pris séparément, l’esprit, par l’impuissance, et l’épée, par la violence aveugle dont elle peut se faire l’outil, conduisent à l’oppression. Mais Camus, en les alliant, conçoit une résistance qui ferait de la violence un usage limité. Il insiste à nouveau sur les sacrifices subis. »
Et après la guerre, il revient au Chambon-sur-Lignon, retrouve ses pas. Sa pensée traduit toujours la volonté d’agir comme il l’écrit dans ses Carnets : « La plus grande économie qu’on puisse réaliser dans l’ordre de sa pensée c’est d’accepter la non-intelligibilité du monde - et de s’occuper de l’homme. » Une phrase d’une actualité rare.

• Collectif dirigé par Anne Prouteau
Camus chez les Justes
Le Chambon-sur-Lignon – 1942-1943
Ed. Bleu autour, 2024

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages sur Radio libertaire

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