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Littérature
par Sylvain Boulouque le 2 juin 2024

PAGES D’HISTOIRE N°62

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Mémoires de la Shoah

Le souvenir et la mémoire des camps d’extermination et de concentration ont pris différentes formes. Deux ouvrages permettent de voir comment s’est progressivement construite cette mémoire à la fois dans l’espace public et dans la sphère privée.

En 1966, la parution du livre de Jean-François Steiner Treblinka a été un moment fort dans la construction de la mémoire de l’extermination des Juifs. Samuel Moyn revient sur cette affaire qui, pendant plusieurs mois, a animé les débats. L’auteur est le fils de Isaac Cohen, mort en déportation en 1944. Après le bac, il part pendant quelques mois vivre au Kibboutz des études de philosophie, il se lance dans le journalisme. Puis abandonne ses études pour s’engager dans les parachutistes en pleine guerre d’Algérie. C’est là qu’il noua, semble-t-il, des contacts avec son éditeur, l’ancien agent secret Constantin Melnik et avec l’écrivain qui a participé à la rédaction du livre Gilles Perrault. Dans les années 1960, la mémoire collective face au génocide est en train d’évoluer. Il s’inscrit à la suite du livre de Hannah Arendt sur le procès Eichmann et de la pièce Le Vicaire sur les silences pontificaux face à la Shoah. Le livre publié sous la forme d’un roman mêle témoignage et fiction sur le camp de Treblinka, suggérant la passivité des Juifs dans le processus d’extermination tout en exaltant la révolte survenue dans le camp en août 1943. Lors de sa parution, l’ouvrage, préfacé par Simone de Beauvoir, est salué par une partie des intellectuels, mais très vite les premiers historiens, comme Michel Borwicz, Léon Poliakov, ou l’écrivain David Rousset spécialistes du système concentrationnaire dénoncent le scandale, outre les erreurs factuelles et le sous-entendu du propos qui explique que les Juifs ont eux-mêmes participé à leur extermination. Samuel Moyn passe en revue les réactions et les évolutions de l’opinion publique pour montrer que le livre a participé, involontairement, de la modification de la mémoire du génocide. Elle existait chez nombre de chercheurs et dans les milieux universitaires, mais le choc et le débat public qui s’en est suivi ont contribué à modifier la perception de la mémoire du génocide.




Le livre d’Isabelle Cohen permet de voir comment s’effectue ce cheminement à une échelle individuelle. Même s’il s’agit d’un cas particulier. En effet, l’autrice est la fille de Marie-Élisa Nordman et de Francis Cohen, deux responsables communistes d’importance. Elle rend hommage à sa mère dans un texte mémoriel. Sa mère, sympathisant communiste puis militant au milieu des années 1930 a travaillé comme chimiste à l’université. En 1939- 1940, elle a participé à la reconstruction du Parti clandestin avant de se lancer après l’invasion de l’URSS dans la Résistance, fondant avec quelques universitaires communistes comme Georges Politzer et Jacques Decour L’Université libre puis différents organismes de résistance communiste. Arrêté en 1942, elle est internée puis déportée dans la partie concentrationnaire d’Auschwitz le 24 janvier 1943, puis déplacée à Ravensbrück et Mauthausen. Survivante, elle revient en 1945. Elle devient un cadre du PCF responsable des intellectuels et aussi et peut-être surtout pour le livre évoqué membre des associations des anciens déportés qu’elle anime jusqu’à sa mort en 1993. Sa fille publie un livre hommage original sur la forme et le fond, car il est à la fois une biographie, mais aussi un poème et un récit collage rassemblant ses souvenirs pour les mélanger à la mémoire familiale. Elle y inclut des extraits d’archives familiales – affiche, tract, etc. – des témoignages. Touchante biographie dans laquelle l’autrice ne cache rien même pas les silences maternels sur les camps soviétiques. Elle montre comment dans ce cas s’est construit un type de mémoire qui a longtemps pesé sur la mémoire collective.


L’Affaire Treblinka, 1966 une controverse sur la Shoah
Samuel Moyn
CNRS éditions 2024 270 p. 25 €

Revenir Raconter
Isabelle Cohen
Verdier 2024 328 p. 21,50 €

PAR : Sylvain Boulouque
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