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Histoire
par Sylvain Boulouque • le 3 novembre 2024
PAGES D’HISTOIRE N°71
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Résistants et collaborateurs
La Résistance et surtout la collaboration s’incarnent dans des lieux multiples dans Paris.
Johanna Lehr propose un voyage mémoriel et historique dans le Paris occupé. Le questionnement initial est ambitieux. La population juive parisienne représente avant la guerre 150 000 personnes. Près de la moitié des déportés Juifs de France (35 000 sur 74000) sont parisiens. Si beaucoup ont quitté la capitale lors des rafles, les historiens estiment que 60 000 Juifs vivent à Paris en 1943. Pour l’auteur, il s’agit de savoir comment 27 000 Juifs ont continué à vivre à Paris en dépit des rafles et des lois raciales mises en œuvre par l’État français sans être obligés de se cacher tous en subissant du politique discriminatoire. L’auteure propose pour réaliser cette histoire de faire une étude arrondissement par arrondissement des lieux et des hommes qui ont participé de l’exclusion des Juifs, mais aussi de ceux où les Juifs pouvaient continuer à vivre dans des conditions précaires sous la menace permanente d’une prétendue illégalité. Fourmillant d’exemple pris dans les différents lieux de répression, elle montre comment ont fonctionné les structures de mises à l’écart des Juifs. Elle entame sa recherche par le dépôt de la préfecture de police de Paris, qui est directement placé sous la direction du ministre de l’Intérieur, et qui majoritairement envoie les Juifs au camp de Drancy dans des fourgons de police et non dans des autobus pour éviter la compassion de la population parisienne. La majeure partie des juifs conduits à Drancy l’était par la ligne 51 partant de la porte de la Villette, comme elle le montre dans la notice dévolue. Ils étaient ensuite internés à la Cité de la Muette avant d’être déportés. Ensuite, le palais de justice où les magistrats jugent les infractions faisant incarcérer les juifs sous différents motifs l’un des principaux retenus par l’auteur étant l’absence de déclaration de judéité. Paradoxalement, l’emprisonnement des Juifs sous-entendait une chance d’échapper à la déportation plus importante que la remise en liberté, raison pour laquelle de nombreux magistrats fortement imprégnés d’antisémitisme élargissaient les arrêtés. Dans le deuxième arrondissement, le commissariat général aux questions juives déclarait très rarement des certificats de non-appartenance à la race juive. Johanna Lehr analyse les 15 lieux qui ont participé du système de répression contre les Juifs de France, montrant que s’ils étaient autorisés à survivre l’esprit de Vichy et de ses institutions voulait aboutir à la disparition des Juifs. Elle montre également que l’épuration, sauf cas exceptionnel, s’est montrée particulièrement clémente face aux agents des persécutions raciales.
Paris a aussi été le lieu de l’expression de la collaboration.
La Gestapo, la police politique nazie, a cherché dans l’ensemble des pays occupés à s’appuyer sur des supplétifs locaux connaissant mieux le terrain et les populations locales que les forces d’occupation. Les nazis ne se sont pas montrés trop regardants sur l’origine de leurs hommes de main. En France, elle a recruté dans le Milieu, confiant quelques lieux à des hommes de main prêts à tout pour servir l’occupant à l’image des immeubles de l’avenue Foch occupés par les services du contre-espionnage nazi où des truands possédant leur bureau, comme René Launay et Pierre Loutrel, torturaient les résistants ou de celui de la rue de la Pompe dans lequel le truand belge Friedirch Berger faisait de même. Leurs actions sont à l’origine de la mort de Pierre Brossolette ou des jeunes de la cascade du bois de Boulogne le 17 août 1944. Le plus célèbre d’entre eux reste, la rue Lauriston, sise au 93 de la rue toujours dans le très chic XVIe arrondissement. La Carlingue comme la surnommaient ses occupants a été le siège de la bande de deux malfrats de haut vol sortis de prison pour se mettre au service du nouveau pouvoir. La bande surnommée Bonny et Lafont a pendant plusieurs années fait régner la terreur dans Paris. Pierre Bonny est un ancien flic mis à pied pour malversation et Henri Lafont un ancien souteneur. Leur avantage pour les SS c’est leur carnet d’adresses et leur capacité à récolter des informations grâce au réseau souterrain du milieu. En échange des services offerts, les membres de la bande peuvent se comporter comme ils l’entendent, ils vivent comme on peut l’imaginer plus que grassement, ces « intouchables » peuvent provoquer des accidents de la route, renverser des enfants, ils s’en sortent sans la moindre enquête. En échange, il faut des résultats dans la traque aux résistants et dans l’aide à l’arrestation des Juifs. Ainsi, ils réussissent à faire chuter les réseaux Défense de la France et Combat en arrêtant et en retournant certains de leurs membres. Parallèlement à partir de 1943, ils lancent des expéditions punitives contre des habitations soupçonnées d’appartenir à des Juifs d’une part et contre des lieux de la Résistance en province d’autre part. Suite à une opération conduite par la Résistance locale à Dijon, la Gestapo envoie les hommes de Bonny et Lafont prendre en main les opérations. En quelques jours le réseau est démantelé et les résistants sont soit fusillés soit déportés. L’année suivante, les truands aidés par de nouveaux supplétifs baptisés brigade nord-africaine, des militants et des truands issus des milieux nationalistes algériens, descendent à Montbéliard puis en Corrèze et en Dordogne pour réduire à néant quelques maquisards de Tulle à Périgueux, les hommes procèdent avec la même détermination, le cynisme aidant Laffont procède à des arrestations sauvages dans la population, le préfet, pourtant en charge des opérations de représailles contre les résistants négocie avec les truands des échanges de victuailles et de spiritueux contre des prisonniers. Remontés sur Paris, les hommes de la Carlingue sont prêts à tout pour récupérer de l’argent sur leurs victimes. À la Libération l’heure des comptes sonne. Vite arrêtés, ils sont jugés et exécutés immédiatement pour une partie d’entre eux. Certains voient leur peine commuée à l’image de José Giovanni qui après quelques années au vert refait surface dans le monde du roman policier… les salauds ont parfois la vie dure pour reprendre un titre de polar.
Enfin, l’ouvrage de Fabrice Grenard vient aussi montrer que Paris a été la capitale de la Résistance. En 100 dates, il rappelle comment les premiers groupements se forment dans Paris occupé. Les premiers cherchent à rejoindre l’Angleterre pour continuer le combat, mais très vite des groupes restent sur place. Dès juillet 1940 des actes de sabotages sont commis. Etienne Achavanne est ainsi fusillé le 4 juillet 1940. À ses actes isolés se superposent ceux plus nombreux de la fabrication d’une contre-propagande faite de papillons de tracts puis de journaux comme Résistance le bulletin officiel du Comité national de salut public. Les prisonniers ne sont pas en reste, ils désertent et constituent souvent les premiers noyaux de résistants armés. C’est à Paris que naissent les premières formes de manifestations publiques d’hostilités aux nazis avec la manifestation du 11 novembre 1940. L’auteur multiplie les exemples de résistances passives est active. Arrive le 21 juin 1941, qui change la nature de la résistance, le Pcf bascule à la demande de l’Internationale communiste dans l’action armée. L’ouvrage multiplient les exemples, Avec nombres d’illustrations, il souligne le poids symbolique de la capitale dans les actions d’éclat, mais aussi le rôle souvent oublié du renseignement et enfin l’extension des formes de résistances à l’ensemble du pays. Un ouvrage aussi utile que richement documenté.
Johanna Lehr
Au nom de la Loi
Gallimard 2024 288 p. 22 €
David Alliot
La Carlingue
Tallandier 2024 560 p. 24,90 €
Fabrice Grenard
Les années de Résistance 1940-1944
Tallandier 2024 288 p. 29,90 €
PAR : Sylvain Boulouque
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