Bonheurs et horreurs des bistrots…

En 1911, les frères Léon et Maurice Boneff mettaient en garde contre les bistrots (1), ces marchands de folie expliquant que les débits de boisson, s’ils pouvaient être des lieux de sociabilité, étaient aussi un espace de reproduction de la misère sociale, empêchant les ouvriers de se doter d’armes pour leur émancipation. Cela était vrai, mais Laurent Bihl dans son passionnant ouvrage sur l’histoire des bistrots montre autre chose. Il reprend l’histoire de ses lieux pour souligner qu’au-delà des anecdotes bien réelles les cafés n’ont pas été que cela. Il prolonge la passionnante étude de son père Luc Bihl Wilette, Des tavernes aux bistrots, une histoire des cafés et plusieurs autres ouvrages tout aussi passionnants sur le sujet, les synthétise et les approfondit montrant au passage que ces espaces ont toujours été le centre de polémique adulés par leurs adeptes et honnis par leurs détracteurs.

Cette histoire populaire prend la notion de peuple au sens large sans exclure aucune catégorie sociale pour rendre à la notion toute sa complexité commençant son étude en 1789. Il y montre que les cafés ont été un lieu de diffusion des idées des Lumières et ont favorisé l’effort des idées révolutionnaires notamment dans les faubourgs. Si au XIXe sicle, le café devient un endroit de divertissement, il est aussi un moyen de rencontre et de diffusion pour les milieux républicains d’abord puis socialistes au sens premier du terme. Le café est aussi le lieu d’élection du journalisme. Il est tout cela, mais une autre image s’impose, celle que Zola analyse dans L’Assommoir, le café devient dans ce cas un lieu de perdition. Il est même l’illustration du rejet des normes, les cabarets montmartrois alors fréquentés par les artistes bohèmes permettent l’ébauche d’une autre culture.

Le café déchaîne aussi la fureur de l’Église, Laurent Bihl livre quelques exemples amusants des diatribes des ecclésiastiques contre les débits de boisson. En retour les anticléricaux s’y réunissent. Les quatre grands thèmes perdurent pendant toute l’entre-deux-guerres : alcoolisme, socialité politique ouvrière, amusement et contre-culture perdurent. Avec le Front populaire, une nouvelle profession s’impose : garçons de café dont la grève de 1936 aboutit à l’ébauche d’un statut, mais c’est surtout la grève de 1937 qui permet aux serveurs d’obtenir un statut, de garantir les congés payés, même si nombre de grévistes ne sont pas licenciés. Avec la guerre et à partir des années 1950, les bistrots changent perdent quelque peu leur fonction pour devenir des vitrines, même s’ils conservent une dimension subversive, elle est plus sociétale que sociale…



(1) L’ouvrage est consultable sur le site Gallica de la BNF, https://www.google.com/search?q=l%C3%A9on+et+Maurice+boneff+gallica&rlz=1C5CHFA_enFR718FR718&oq=l%C3%A9on+et+Maurice+boneff+gallica&aqs=chrome..69i57j33i10i160.8215j0j7&sourceid=chrome&ie=UTF-8

Une histoire populaire des bistros
Laurent Bihl
Nouveau Monde éditions 2023 796 p. 28,90 €