Littérature > PAGES D’HISTOIRE N°35
Littérature
par Sylvain Boulouque • le 23 septembre 2023
PAGES D’HISTOIRE N°35
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L’Ukraine, la guerre et le nationalisme
Deux ouvrages reviennent sur la guerre en Ukraine, le premier est une chronique et une mise en perspective historique du conflit alors que le second s’attache à un aspect controversé de l’histoire récente ukrainienne.
Serhil Plokhy est un des meilleurs spécialistes de l’Ukraine. Il a récemment publié une somme historique sur ce pays (Aux portes de l’Europe, Gallimard, Paris, 2022).
Son livre est un récit au jour le jour de la guerre en Ukraine. En historien, il revient sur les causes du conflit : utilisation par la Russie d’un passé commun pour justifier l’invasion, poids du soviétisme dans la russification de l’Est du pays – l’industrialisation forcée par Staline puis la grande famine de 1932-1933 y sont pour beaucoup –, implosion de l’URSS, qui permet la renaissance du pays. Les accords nés de la nouvelle Europe de l’Est ne règlent pas toutes les tensions. La différence entre les deux pays s’accroit avec la volonté de démocratisation de l’Ukraine, mais l’arrivée au pouvoir d’oligarques pro russes favorise le maintien du pays dans la zone d’influence de la Russie jusqu’à la révolution orange de 2014. Ce qui aiguise les appétits des nationalistes pro-russes sur l’Est du pays, l’annexion de la Crimée et la sécession des territoires du Donbass. À partir de 2014, Poutine construit un discours qui annonce la guerre actuelle dans laquelle il dénie toute légitimité à l’Ukraine. En 2022, il passe des paroles aux actes faisant envahir la partie orientale du pays et espérant atteindre rapidement la capitale Kiev. C’était sans compter que la majorité des Ukrainiens depuis fort longtemps voulaient se débarrasser de la puissance russe et aspiraient à davantage de liberté. L’auteur rappelle les principales phases de la guerre qui ensanglante le pays depuis bientôt deux ans sans rien omettre des enjeux internationaux, des tensions entre Ukrainiens et du poids du nationalisme russe.
Les enjeux et les tensions
Loin des caricatures et des éléments de langage, l’ouvrage d’Adrien Nonjon met les pieds dans le plat tout en proposant une étude historique et de sciences politiques, des plus sérieuses et rigoureuses sur la milice d’extrême droite, le régiment Azov. Même si l’on considère que l’Ukraine a été agressée et que le nationalisme agresseur est celui de Vladimir Poutine et des grands-russes, il n’est pas nécessaire de se voiler la face et de fermer les yeux, il y a parmi les Ukrainiens un certain nombre de combattants et de militants qui incarnent et guerroient pour un pays, qui, s’ils l’emportent, ressemblera à une dictature fasciste.
Le bataillon Azov est né pendant la révolution orange en 2014, lorsque certains fascistes ukrainiens ont décidé de former un groupement paramilitaire pour aller combattre dans la partie orientale de l’Ukraine face aux nationalistes sécessionnistes pro-russe. Ces références idéologiques sont alors claires : Stepan Bandera, le chef nationaliste ukrainien allié aux nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et plus en amont les dirigeants nationalistes cosaques de la Guerre civile de 1917, connus pour leurs actes de barbarie et leurs pogromes. Les militants forment un bataillon Azov qui se double d’une branche politique, le Corps national, dirigé par le fasciste Andriy Bilestsky, qui partent combattre à Marioupol. Ce dernier est reconnu pour son courage militaire, il est décoré par l’État ukrainien. Pendant plusieurs années, ils combattent dans le Donbass. La tentative d’invasion de l’Ukraine par la Russie, le bataillon tient la zone de Marioupol jusqu’à sa défaite début mai 2023.
L’enquête d’Adrien Nonjon porte aussi sur la dimension idéologique du groupe, qui défend une « nationacratie » exaltant l’appartenance à la nation ukrainienne, qui reprend les thèmes traditionnels d’une branche de l’extrême droite, issue de la nouvelle droite : exaltation de la terre, du corps, défense des animaux, paneuropéanisme, paganisme, racisme, etc. Le groupe organise de nombreux camps d’entrainement dans lesquels la dimension idéologique est très présente. Néanmoins, la chute de Marioupol a entrainé la disparition partielle du groupe, qui il faut aussi le rappeler n’a jamais dépassé les quelques centaines de membres, limitant la portée de l’accusation d’une Ukraine aux mains des fascistes.
Sylvain Boulouque
• La guerre russo-ukrainienne
Le retour sur l’histoire
Serhii Plokhy
Ed. Gallimard, 2023, 394 p. 30 €
• Le régiment Azov
Adrien Nonjon
Ed. du Cerf, 2023, 272 p. 22 €
Deux ouvrages reviennent sur la guerre en Ukraine, le premier est une chronique et une mise en perspective historique du conflit alors que le second s’attache à un aspect controversé de l’histoire récente ukrainienne.
Serhil Plokhy est un des meilleurs spécialistes de l’Ukraine. Il a récemment publié une somme historique sur ce pays (Aux portes de l’Europe, Gallimard, Paris, 2022).
Son livre est un récit au jour le jour de la guerre en Ukraine. En historien, il revient sur les causes du conflit : utilisation par la Russie d’un passé commun pour justifier l’invasion, poids du soviétisme dans la russification de l’Est du pays – l’industrialisation forcée par Staline puis la grande famine de 1932-1933 y sont pour beaucoup –, implosion de l’URSS, qui permet la renaissance du pays. Les accords nés de la nouvelle Europe de l’Est ne règlent pas toutes les tensions. La différence entre les deux pays s’accroit avec la volonté de démocratisation de l’Ukraine, mais l’arrivée au pouvoir d’oligarques pro russes favorise le maintien du pays dans la zone d’influence de la Russie jusqu’à la révolution orange de 2014. Ce qui aiguise les appétits des nationalistes pro-russes sur l’Est du pays, l’annexion de la Crimée et la sécession des territoires du Donbass. À partir de 2014, Poutine construit un discours qui annonce la guerre actuelle dans laquelle il dénie toute légitimité à l’Ukraine. En 2022, il passe des paroles aux actes faisant envahir la partie orientale du pays et espérant atteindre rapidement la capitale Kiev. C’était sans compter que la majorité des Ukrainiens depuis fort longtemps voulaient se débarrasser de la puissance russe et aspiraient à davantage de liberté. L’auteur rappelle les principales phases de la guerre qui ensanglante le pays depuis bientôt deux ans sans rien omettre des enjeux internationaux, des tensions entre Ukrainiens et du poids du nationalisme russe.
Les enjeux et les tensions
Loin des caricatures et des éléments de langage, l’ouvrage d’Adrien Nonjon met les pieds dans le plat tout en proposant une étude historique et de sciences politiques, des plus sérieuses et rigoureuses sur la milice d’extrême droite, le régiment Azov. Même si l’on considère que l’Ukraine a été agressée et que le nationalisme agresseur est celui de Vladimir Poutine et des grands-russes, il n’est pas nécessaire de se voiler la face et de fermer les yeux, il y a parmi les Ukrainiens un certain nombre de combattants et de militants qui incarnent et guerroient pour un pays, qui, s’ils l’emportent, ressemblera à une dictature fasciste.
Le bataillon Azov est né pendant la révolution orange en 2014, lorsque certains fascistes ukrainiens ont décidé de former un groupement paramilitaire pour aller combattre dans la partie orientale de l’Ukraine face aux nationalistes sécessionnistes pro-russe. Ces références idéologiques sont alors claires : Stepan Bandera, le chef nationaliste ukrainien allié aux nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et plus en amont les dirigeants nationalistes cosaques de la Guerre civile de 1917, connus pour leurs actes de barbarie et leurs pogromes. Les militants forment un bataillon Azov qui se double d’une branche politique, le Corps national, dirigé par le fasciste Andriy Bilestsky, qui partent combattre à Marioupol. Ce dernier est reconnu pour son courage militaire, il est décoré par l’État ukrainien. Pendant plusieurs années, ils combattent dans le Donbass. La tentative d’invasion de l’Ukraine par la Russie, le bataillon tient la zone de Marioupol jusqu’à sa défaite début mai 2023.
L’enquête d’Adrien Nonjon porte aussi sur la dimension idéologique du groupe, qui défend une « nationacratie » exaltant l’appartenance à la nation ukrainienne, qui reprend les thèmes traditionnels d’une branche de l’extrême droite, issue de la nouvelle droite : exaltation de la terre, du corps, défense des animaux, paneuropéanisme, paganisme, racisme, etc. Le groupe organise de nombreux camps d’entrainement dans lesquels la dimension idéologique est très présente. Néanmoins, la chute de Marioupol a entrainé la disparition partielle du groupe, qui il faut aussi le rappeler n’a jamais dépassé les quelques centaines de membres, limitant la portée de l’accusation d’une Ukraine aux mains des fascistes.
Sylvain Boulouque
• La guerre russo-ukrainienne
Le retour sur l’histoire
Serhii Plokhy
Ed. Gallimard, 2023, 394 p. 30 €
• Le régiment Azov
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Ed. du Cerf, 2023, 272 p. 22 €
PAR : Sylvain Boulouque
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