L’URSS / Russie en roman

Quand les sciences humaines et sociales, voire le journalisme ne peuvent entièrement compte de la réalité, la littérature devient un moyen de l’en approcher.

Dans un essai sur la littérature russe, l’art et la musique, l’écrivain russe installé en Suisse et opposant de longue date au régime de Poutine, tente un pari audacieux expliquer que les artistes pris au sens large ont une intuition de l’avenir. Il veut donner un sens général à des textes qu’il publie depuis une dizaine d’années soulignant que les arts en général et la littérature en particulier permettent la critique de l’absolutisme. Il propose une galerie de portraits allant de Dostoïevski à Tchekhov en passant par des musiciens comme Chostavkovitch pour montrer que certains artistes se sont toujours montrés critiques vis-à-vis du pouvoir tout en lui rendant service. Pour l’auteur même quand le pouvoir russe ou soviétique tente d’asservir les écrivains et les artistes ses derniers finissent toujours par le subvertir et le combattre. Dans une réflexion laissant le lecteur perplexe et un peu abasourdi, il note ainsi que la Kolyma a permis l’existence de Chalamov… dans le même esprit, sa longue tentative de définition d’une littérature russe tombe à l’eau. C’est son caractère universel qui lui donne son humanité… On se demande du coup si le romancier par ailleurs brillant et souvent percutant n’aurait pas mieux fait de continuer à faire ce qu’il fait de mieux : des romans et des articles dénonçant la réalité du pouvoir actuel.

Andreï Kourkov offre la suite, mais peut-être pas la fin de ce qui devait constituer une trilogie (après L’oreille de Kiev et le cœur de Kiev) voici Les bains de Kiev. Samson Koletchko devenu inspecteur de la police locale enquête sur la mystérieuse disparition de 28 soldats de l’armée rouge dans la piscine municipale de la ville après une soirée particulièrement arrosée. On retrouve les recettes qui ont fait le succès des deux premiers volumes, l’Ukraine traversée par la guerre civile dans laquelle s’affrontent rouges, blancs, verts et où l’ombre fugace des makhnovistes apparaît. Kourkov n’hésite pas à utiliser les détails et des anecdotes absurdes pour rendre vivant son récit. Parti à la recherche des disparus, l’inspecteur tombe sur un trafic d’importance : le caviar. Il plonge dans les milieux interlopes de la ville pour très vite se rendre compte de la toute-puissance de la tchéka, la police politique communiste, que fait régner l’ordre rouge d’une main de fer. Parfois, la fiction illustre la réalité.

C’est ce qui se retrouve dans le dernier roman d’Antoine Sénanque. S’appuyant sur une littérature abondante qui lui sert à bâtir son récit, l’auteur invente un personnage fictif Sylla Bach, fille adoptive d’un tanneur, réfugiée à Budapest, qui a été déportée pendant neuf ans dans la Kolyma. Là, pour survivre elle s’est mise au service des blatnoï, la pègre des camps à laquelle le NKVD laissait la gestion quotidienne du camp pour la plus grande terreur des autres victimes du système concentrationnaire. L’héroïne n’est guère sympathique, elle a servi de bras armé aux tueurs des camps qu’ils soient truands ou tchékistes. Puis lors de son démantèlement partiel pour le compte unique des truands. L’héroïne se retrouve à Budapest en 1956, en pleine insurrection, les comptes des camps ne sont pas soldés, laissant place à une enquête montrant comment le régime soviétique à générer

Ce long écho se poursuit dans la littérature russe contemporaine. Ainsi Maxime Ossipov, qui a été obligé de fuir la Russie après avoir pris position contre l’invasion de l’Ukraine. Dans ce recueil de quatre nouvelles percutantes. Il décrit la décomposition du pays montrant un hôpital pour enfant à l’abandon. La montée d’un néonationalisme à fort relent d’antisémitisme et la recherche d’une Russie éternelle, le malheur pourrait -on dire c’est que cet espoir est partagé par une partie de la population restée sur place, comme le suggère la dernière nouvelle, les voix de la protestation étant contraintes au silence ou à l’exil…

Gardons le meilleur pour la fin, Sergueï Lebedev après Les Hommes d’août sur les conservateurs communistes qui ont tenté de reprendre le pouvoir en 1991 et Le débutant sur les services secrets soviétiques, il réussit dans La dame blanche à télescoper le passé et le présent pour le meilleur… au service de la description du pire. Le récit commence dans le Dombass en 2014 dans une mine de charbon. Cinq narrateurs se succèdent pour raconter l’histoire de la région et incarnant cinq passés différents décrivant les souffrances et la réalité du passé de la région qui ont été et demeurent des terres de sang où des tyrans sanguinaires s’affrontement sur le dos des populations allant de la grande famine en Ukraine en passant par la grande terreur jusqu’à l’extermination des Juifs. La dame blanche rappelant que le passé finit toujours par rattraper les assassins même si elle ne peut les châtier.


Le bateau de marbre blanc
Mikhaïl Chichkine
Noir sur blanc 2025 336 p. 24 €

Les Bains de Kiev
Andreï Kourkov
Liana Levi 2025 382 p.

Adieu Kolyma
Antoine Sénanque
Grasset 2025 400 p 23 €

Luxemburg
Maxime Ossipov
Verdier 2025 160 p. 20 €

La Dame blanche
Sergueï Lebedev
Noir sur Blanc 2025