Cinéma > [A]nnées en parenthèses 2020-2022
Cinéma
par Mireille Mercier et Daniel Pinós • le 5 novembre 2023
[A]nnées en parenthèses 2020-2022
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La réalisatrice, Hejer Charf, confinée à Montréal, demande à cinquante amis du Canada et d’ailleurs, musiciens, peintres et écrivains, de lui envoyer des images, des sons de leur production : « Envoyez ce que vous voudrez, dans la langue et dans la forme de votre choix : sonore, visuelle, muette. Répondez comme vous voudrez. »
Hejer Charf ne se résigne pas à rester immobile. « Les sons, les images que je recevais de toute part, dans toutes les langues, dans tous les formats, me laissaient croire que les frontières de Montréal s’ouvraient à toutes les nationalités du monde. »
Les années 2020 à 2022 ont été des années en parenthèses, elles ont renforcé les inégalités et la colère populaire. Le récit singulier de ses amis mêlé aux actualités internationales, à des extraits de films, d’œuvres littéraires et de poésie, dresse un état des lieux de la survie et des combats de notre monde. D’origine tunisienne, la réalisatrice réserve de très belles pages aux luttes des femmes du Moyen-Orient.
Il émane de cette mosaïque d’images internationales un poème documentaire, féministe, optimiste et engagé, ponctué de rappels de décès : celui de bell hooks, de Moustapha Safouan, de Nadia Lotfi, d’Etel Adnan, de David Graeber, d’Hélène Châtelain, de Sarah Maldoror, de Nawal El Saadawi, de Marie-Claire Blais, de Maradona, de Moufida Tlatli, de Lina Ben Mhenni et de Jean-Luc Godard.
On pourrait prendre peur face à l’énumération des morts cités plus haut que ce documentaire sombre dans le pathos de l’hommage aux disparus. Eh bien, c’est tout l’inverse qui se produit. Toutes et tous sont incroyablement vivants, parce qu’ancrés dans une mémoire collective qui encourage le combat. La réalisatrice a une façon particulière de les replacer parmi nous. La magie de l’art opère. La culture orientale aussi.
Le propos politique, jamais très loin, intimement mêlé à la poésie donne à ce très beau documentaire une énergie positive où tous les espoirs restent permis.
Hejer Charf relie des scènes hétérogènes, monte des fragments de vies venus de différents pays qui d’habitude s’excluent les uns les autres. Elle tisse ainsi avec brio grâce à un montage parfaitement maîtrisé, une histoire de notre monde à travers les luttes féministes et sociales.
Ce foisonnement de matériaux cinématographiques témoigne du désespoir le plus profond autant que de l’espoir le plus combatif.
« 2020 à 2022 sont des années en parenthèses dans un monde immobile, inégal, interconnecté et exaspéré. La pandémie a renforcé les inégalités et la colère. Des voix indignées et solidaires se sont élevées d’un continent à l’autre. Et si la convergence des luttes s’étendait comme un feu de forêt. Et si Walter Benjamin disait vrai : « Il n’existe pas un seul instant qui ne porte en lui sa chance révolutionnaire. » Un virus pourrait ne pas être seulement une maladie, mais une petite chance révolutionnaire. »
On aimerait que les propos d’Hejer Charf se vérifient dans l’actualité des prochaines années, la pandémie avait alimenté les rêves les plus fous : réfléchir et poser les bases d’un monde nouveau. Hélas le virus disparaît progressivement de nos mémoires.
Hejer Charf est réalisatrice, scénariste et productrice canadienne d’origine tunisienne. En 1996, elle fonde Nadja Productions à Montréal et réalise plusieurs courts, moyens et longs métrages documentaires, ainsi que des installations visuelles. [A]nnées en parenthèses 2020-2022 est son quatrième long-métrage documentaire.
« L’histoire du cinéma est écrite par les vainqueurs, par des Blancs, surtout des hommes, elle est sous-tendue par des réflexions hétéronormatives. Aujourd’hui des tentatives sont menées pour déconstruire ce récit. Ainsi, je tisse mon propre récit, pas seulement parce que je suis arabe ou immigrée, mais je veux intégrer les marginalisés, les femmes. Les réalisatrices américaines Kelly Reichardt ou Nina Menkes mènent un travail formidable en ce sens. C’est important pour moi d’écrire et réaliser des films en tant que femme, arabe, canadienne immigrée, et ainsi de déconstruire l’esthétique et le récit dominants. Je ne sais pas comment va être écrite au cinéma l’histoire de l’épidémie du Covid 19… Mais jusque-là, elle a été gérée par les “nantis”. Il suffit de regarder comment les vaccins ont été répartis dans le monde, par exemple entre mes deux pays : la surabondance au Canada, la pénurie en Tunisie… »
[A]nnées en parenthèses
2020-2022
Un film d’Hejer Charf
Sortie en salles le 25 octobre 2023
Canada - 2023 – 1h35 - couleur et noir & blanc
Mireille Mercier et Daniel Pinós
PAR : Mireille Mercier et Daniel Pinós
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