Cinéma > Russie. Vulcain d’acier et capitalisme d’État
Cinéma
par Mireille Mercier et Daniel Pinós • le 23 février 2022
Russie. Vulcain d’acier et capitalisme d’État
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KOMBINAT
de Gabriel Tejedor. Film documentaire - Suisse. Sortie en salles le 2 mars
Au cœur de la Russie, dans l’Oural, à 2000 km à l’est de Moscou, se trouve Magnitogorsk, une ville où la vie de ses habitants dépend de son immense Kombinat, l’une des plus grandes usines d’acier du pays.
Gabriel Tejedor y filme le quotidien de Lena, Sasha, Guenia et de leurs familles. Cette génération de jeunes parents s’interroge sur ses conditions de travail et de vie, prédéterminées par le Vulcain d’acier. Le capitalisme d’État russe leur offre le gîte, le couvert ainsi que les activités de loisirs.
Le travail y est pénible et périlleux et fait peser sur leurs vies une menace constante. L’activité industrielle pollue l’air et l’eau, diffuse des cancers au sein des familles, dont certaines songent à fuir. Dès les premières images du film, un long travelling nous fait serpenter dans les méandres de l’usine métallurgique de Magnitogorsk. Sous nos yeux ébahis, l’horrible cite industriel dévoile sa monstruosité, tel un décor de film de sciences fiction, fait de pipelines et de cheminées rouillées crachant en permanence de longues colonnes de fumées. Une chorale, des voix entremêlées et des grondements nous accompagnent dans ce dédale d’acier, à la façon d’un opéra baroque.
Des panneaux disséminés au bord des routes idéalisent le Kombinat, le réalisateur nous les remet sous les yeux à intervalles réguliers histoire de nous rappeler tout le long du film que le Kombinat offre : « Un bon état d’esprit pour une bonne journée ! ». On pourrait y voir une provocation du gouvernement tant, la propagande est affligeante. On se demande comment des gens font pour vivre dans cet environnement incroyablement hostile. Des métallurgistes habillés de vêtements protecteurs vont et viennent devant les hauts-fourneaux. Un véritable enfer.
Est ce que l’homme a sa place dans cette ville monstrueuse ? Laissons le réalisateur répondre à cette question. « J’ai toujours été intéressé par les conditions de vie des groupes sociaux dans un environnement menaçant. Dans Kombinat, je tente de montrer une fois de plus la capacité de l’être humain à endurer les épreuves : à s’adapter à un environnement hostile (pollution, bruit, compétitivité, options professionnelles extrêmement limitées...) à un pouvoir politique intraitable, à des règles arbitraires (la corruption est monnaie courante en Russie). Tout cela dans un pays qui se replie rapidement sur lui-même. Je veux aussi mettre en lumière les solutions et les stratégies d’évasion symbolisées ici par la pratique de la danse. »
Car on ne s’y attend pas, mais c’est la pratique de la danse qui viendra progressivement s’imposer comme une stratégie d’évasion, un espace de liberté aimerait-on dire, si ce n’était pas une des activités culturelles proposées par le Kombinat. Lena, jeune mère, fille de métallurgistes, enseigne la salsa, un moyen d’oublier la pression quotidienne de l’usine, Sasha danse très bien et semble s’extraire totalement de la réalité. Son frère Guenia, lui aussi ouvrier au Kombinat, et sa femme voudraient quitter la ville. Leur fille victime de la pollution souffre d’un retard mental au caractère définitif.
Les familles de ces principaux personnages sont filmées, elles représentent diverses générations et ont des liens et des rapports directs ou indirects avec l’usine et son organisation. Quelque chose de très positif émergerait presque de cet univers clos alors que tous semble accepter le système dans son ensemble. Aux beaux jours, les réunions familiales, dans le jardin, dégagent malgré tout une certaine joie de vivre. Seuls Lena, la professeur de danse, et son mari osent formuler leur désaccord avec les choix des dirigeants. Le pouvoir central au service du peuple, incarné par Vladimir Poutine, trouve une approbation presque religieuse auprès de l’ancienne génération, celle qui chante aujourd’hui encore l’hymne soviétique.
Les nouvelles générations ne trouvent pas la force de combattre, tous semblent désabusées et prisonniers d’une situation fatale. Le pouvoir central étouffe les individus et impose jusqu’à la fierté d’être russe. S’extraire de cette réalité est inimaginable. Sous les fumées de ce fleuron industriel, lors d’un spectacle offert par le Kombinat, il ne reste alors plus qu’à danser la salsa pour honorer les métallurgistes. La fête est ponctuée par les déclarations de Vladimir Poutine et des dirigeants de l’usine à la gloire de la Russie industrielle avec leurs cyniques engagements pour sauvegarder l’environnement à Magnitogorsk.
Mireille Mercier et Daniel Pinós
Un strapontin pour deux
PAR : Mireille Mercier et Daniel Pinós
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1 |
le 24 février 2022 03:32:03 par Luisa |
Très intéressant. Merci beaucoup
2 |
le 14 mai 2022 10:07:15 par Franck |
merci beaucoup film magnifique