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Cinéma
par Mireille Mercier et Daniel Pinós • le 13 février 2023
ATLANTIC BAR. Les naufragés d’un monde perdu
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À partir des années 80, la plupart des entreprises arlésiennes ont fermé leurs portes. La désindustrialisation a fait d’Arles une ville où le taux de chômage et de pauvreté est supérieur à la moyenne nationale. Des centaines de travailleurs ont été mis au chômage. Le développement du secteur touristique et culturel n’aura pas réussi à remplacer les emplois perdus.
Il y a 30 ans, le plus grand quartier populaire d’Arles se situait au centre-ville. La gentrification a fait que le prix du mètre carré a fortement augmenté repoussant les précaires dans des ghettos de pauvres aux faubourgs de la ville. Les logements ainsi vidés de ses habitants ont été progressivement rénovés par des investisseurs et proposés aux clients de la société américaine Airbnb qui exploite un marché en ligne pour des locations de vacances et des activités touristiques.
Des récits hors du temps
Hors du temps, loin de la cohue festivalière des étés, il y a ce bar, l’Atlantic Bar et sa patronne Nathalie, une véritable enfant d’Arles, à l’inimitable accent provençal. Avec son mari Jean-Jacques, elle bichonne ses clients ou les provoque, elle sert des pastis, elle est drôle et pleine d’à-propos. Elle a le visage abîmé par les excès, l’alcool, le tabac, la fatigue provenant des années passées derrière le zinc de l’Atlantic Bar à écouter ses clients, des piliers de comptoir et des solitaires éméchés qui racontent leurs souvenirs, leurs rêves perdus et le destin des habitants d’Arles. Nathalie est le témoin central de ces récits miraculeux, une héroïne qu’aucune fiction ne peut inventer.
Ouvriers, artisans, malfrats, chômeurs, égarés, marginaux, les clients de Nathalie parlent de leurs malheurs et de leurs joies. Dans un huis-clos permanent, leurs propos portent une vérité sociale que les professionnels de la culture triomphante récemment installés dans cette Arles gentrifiée ne peuvent pas entendre.
En cours de tournage, Nathalie doit se résoudre à fermer son affaire après la décision du propriétaire de céder le fonds de commerce. Nathalie et les habitués se confrontent à la fin de leur monde et d’un lieu à la fois destructeur et vital.
Un documentaire engagé
Fanny Molins, la réalisatrice, était partie pour Arles, dans l’optique de réaliser un reportage photo sur l’alcoolisme, dans une approche sociologique et humaniste. Sans misérabilisme, au plus près des corps, dans une lumière souvent rasante qui structure les visages et crée de beaux clairs obscurs sur les peaux, elle film ce monde qui va mourir dans une totale indifférence. Elle colle aux propos pleins d’humour de Nathalie et ses clients, tous pétris de tendresse et de sincérité.
La cinéaste précise : « Nathalie ne peut pas se passer de son bar (financièrement, affectivement, symboliquement), mais c’est précisément ce bar qui la tue. Nathalie est une actrice mais elle est emprisonnée dans ce rôle. Quand les autres viennent au bar pour y trouver une échappatoire à chez eux ou à leur travail, elle ne le peut pas. »
Fanny Molins a passé quatre ans dans ce petit bistrot, pour saisir l’atmosphère du lieu et écouter attentivement ses occupants. Jean-Jacques, le compagnon de Nathalie chante du Johnny Hallyday, les habitués jouent au babyfoot ou aux cartes, mais ce n’est pas un décor de cartes postales.
La réalisatrice nous montre avec précision le rôle social du café où certains habitués y passent des heures. Elle capture les confidences faites à la caméra témoin, les motivations, les parcours, les blessures d’un ancien SDF. Un ex-voyou vient nous raconter la manière d’opérer des braqueurs à l’assaut d’une banque. Dans un décor digne d’une boîte de nuit, avec éclairages et techno, un des clients préférés de Nathalie, un poète aimant l’improvisation, nous entraînera dans une émouvante chorégraphie sur La tendresse de Bourvil. Nous retrouverons Nathalie et son compagnon, Jean-Jacques, lors de leur partie de pêche hebdomadaire en Camargue. Un bonheur partagé loin des bruits de la ville et du bar.
Dans une autre séquence, Nathalie, totalement ivre, tente de comprendre avec ses proches le bail qui la lie à son propriétaire. Elle se met en colère, pour elle le problème n’est pas seulement de se séparer de son café, mais de mettre fin à ces petits miracles de la vie quotidienne qui ont lieu à l’Atlantic Bar.
Fanny Molins explique : « Pour le film, je ne voulais pas emmurer les protagonistes dans un contexte social. J’ai voulu parler de leurs désirs. Est-ce que l’on boit pour se rappeler justement à nos désirs ? Quand on se lève, qu’on traverse la rue et qu’on va se confronter à d’autres humains, même pour boire, est-on animés de pulsions de vie ? Mais en arrivant sur le tournage, tout a été chamboulé par la mise en vente du bar par le propriétaire du fonds. On a vu en direct Nathalie, Jean-Jacques et les autres se confronter à une violence soudain palpable, concrète, comme une confirmation de son existence. »
La cinéaste s’intéresse aux détails, dans ses images elle crée des espaces, le souffle de la vie est là. Fanny Molins nous transmet le sentiment d’abandon ressenti par un nombre de plus en plus important des habitants de notre pays, la détresse de vies brisées par l’absence d’égalité et par le mépris vis-à-vis des plus humbles, les naufragés d’un monde perdu.
Aujourd’hui, l’Atlantic Bar a été rayé de la carte, il se trouvait rue Portagnel, au bas des Arènes, c’était un des derniers cafés populaires d’Arles.
Mireille Mercier et Daniel Pinós
Un strapontin pour deux
Le film a été présenté au Festival de Cannes en mai 2022, dans le cadre d’ACID, la sélection des films indépendants.
Atlantic Bar
Documentaire
1 h 17
Sortie en salle le 22 mars
PAR : Mireille Mercier et Daniel Pinós
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