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Cinéma
par Mireille Mercier et Daniel Pinós • le 10 octobre 2023
Une femme sur le toit
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Un film d’Anna Jadowska
Mirka, sage-femme d’une soixantaine d’années, mène une vie irréprochable auprès de son mari et de leur fils. Pourtant un matin, quelque chose change. Après s’être levée tôt, avoir étendu le linge et acheté de la nourriture pour ses poissons, elle tente de braquer une banque armée d’un couteau de cuisine. Son geste désespéré échoue mais l’oblige à reconsidérer sa vie.
Magnifiquement incarnée par Dorota Pomykała, célèbre actrice polonaise, le rôle de Mirka lui a valu le prix d’interprétation au festival du film de Tribeca en 2022.
« La situation des femmes en Pologne et dans de nombreux pays demeure très difficile. Une femme sur le toit questionne le sort de celles encore « condamnées » par le poids des mœurs et des coutumes à tenir, seules, la place de gardiennes du foyer. Pour Mirka, cette situation est évidente et elle n’a même pas l’idée de la remettre en question. Bien qu’elle observe autour d’elle des femmes plus jeunes faire des choix différents, elle ne peut imaginer une autre vie pour elle-même. Pendant des années, la vie de Mirka, en tant qu’épouse et mère, s’est cantonnée à une routine mécanique qui n’a laissé aucune place aux prises de distance et à l’introspection. Elle, seule, faisait vivre le ménage. Elle n’a jamais demandé d’aide – et personne ne lui a jamais offerte – : cela aurait été comme un aveu d’échec.
Lorsque, pendant le braquage, Mirka chuchote qu’elle a besoin d’argent, elle rompt le silence de sa vie et s’engage sur une nouvelle voie. Pour moi, son histoire raconte qu’il n’est jamais trop tard pour s’exprimer – et pour la première fois de sa vie, dire à haute voix ce dont on a besoin... Au cinéma, les personnages féminins de plus de 60 ans sont quasiment absents. Tout comme dans le monde réel, les femmes de cet âge ont longtemps été invisibilisées aux yeux de la société́. En réalisant ce film, j’ai voulu montrer une figure féminine complexe qui, malgré un rôle social crucial et des besoins affectifs personnels réprimés au fil des ans, finit par trouver le courage de prendre la parole. » Anna Jadowska
Les images sont d’une pâleur blanche, la réalité de la vie de cette sage-femme de métier semble disparaître derrière le sentiment d’inexistence qu’elle exprime d’une manière presque organique. Mirka est quelqu’un d’incroyablement silencieux. Son silence devient hypnotique, on est piégé par l’expression de son visage. On rentre peu à peu dans l’état émotionnel dans lequel Mirka s’est progressivement enfermée, enfermée dans son rôle de femme à la routine anéantissant. On voudrait crier à sa place, mais les cris restent coincés dans le cœur.
Mirka traverse seule cette prise de conscience, sans aucun soutien ou conseils.
« Je voulais montrer que sa routine habituelle est complètement à l’opposé de cette tentative de braquage. Je voulais aussi montrer la vie d’une sexagénaire, qui devient invisible auprès des autres mais qui a encore la vie devant elle et qui doit vivre de grands changements : le départ du foyer de son fils, son corps qui vieillit et le changement de dynamique familiale dans laquelle elle évolue. »
La réalisatrice réussit à nous montrer d’une manière éblouissante la résignation d’une femme face à son rôle sociale. Ce qui est très perturbant, c’est que la faute n’est pas incarnée par un mari et un fils qui endosseraient la part de responsabilité. Non. Eux aussi sont paralysés dans leurs rôles. Chaque personnage reste enfermé dans ses déterminismes sociaux. L’atmosphère est lourde et on étouffe sous le mutisme et l’incroyable paralysie des personnages.
« Ce n’est pas à cause de son mari ou de son fils, elle a simplement senti la pression sociale de devenir quelqu’un qui enfouit ses besoins et se concentre sur les autres. Personne ne l’a forcé, mais c’est ce qui est attendu des femmes. Cela change un peu maintenant, surtout dans les grandes villes comme Varsovie mais dans les villes plus petites de Pologne, la situation reste la même qu’avant... Il n’y a pas de place pour leur colère, même en société. C’est là que réside le pouvoir des femmes en contact intuitif avec la réalité, en étant capable de réagir et d’affecter le monde d’une manière réelle. »
Diplômée de l’École de cinéma de Łódź et de la Wajda Masterschool of Directing, son film Touch Me (Berlinale 2003 section Forum), décroche le Grand Prix du Cinéma Indépendant polonais. En 2004, son court-métrage Corridor est sélectionné́ à la Semaine de la Critique à Cannes. Elle remporte en 2005 le Prix du Meilleur Premier Film Polonais pour Now, me. En 2017, son film Wild Roses remporte à nouveau de nombreux prix dont Impact Award Stockholm IFF, 5 Prix à Cottbus IFF. Son dernier long-métrage, Une femme sur le toit fait sa première mondiale au festival Tribeca en juin 2022 où l’actrice principale remporte le prix de la meilleure interprétation. Le film est, par la suite, sélectionné dans de nombreux festivals et est récompensé à plusieurs reprises (Meilleur Film Polonais Camerimages 2022, Prix du Jury HANIFF 2022, Meilleure Actrice Gdynia 2022).
Une femme sur le toit
Titre original : Kobieta na dachu
1h 35 / Couleur / Pologne / France / Suède / 2022
Sortie en salles : le 18 octobre 2023
Mireille Mercier et Daniel Pinós
PAR : Mireille Mercier et Daniel Pinós
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