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par Francis Pian • le 27 mars 2023

Des idées et des luttes : Caracremada

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Une guerre oubliée, un parcours souterrain

Sur des tables de la librairie Publico, le lecteur est sûr de trouver de ces petites pépites abordant des thèmes peu développés. Il en est ainsi du livre publié par les éditions Tumult, intitulé Caracremada, Sur les sentiers de la guérilla en Espagne 1945-1963.
L’ouvrage est consacré à Ramon Vila Capdevila dit Caracremada, « dont la vie fut marquée par une endurance extraordinaire dans le combat pour la liberté. Jusqu’à sa mort, il fit preuve d’une ténacité discrète vouée à l’action subversive ». Il est discret Caracremada et c’est normal lorsque l’on adopte une vie faite d’actions, de risques assumés, d’efforts. Dans sa vie, « les uniformes des ennemis changèrent de couleur, mais son choix fut toujours de combattre souterrainement, à main armée et en ordre dispersé » jusqu’à cette nuit de 1963. Mais qui est cet anarchiste ?

Du front de Valence à la Résistance en France
Il est né début avril 1908 dans un hameau de la montagne catalane. La vie de ses parents paysans est dure, il est obligé de travailler très jeune dans les mines. Confronté aux injustices, il s’engage dans la CNT, participe à l’insurrection d’Alto Llobregat dans les groupes armés. Pendant la guerre civile, il est sur le front de Valence puis gagne la France.
Cette période relatée dans l’ouvrage permet de revivre l’évolution de la CNT, le syndicat anarchiste espagnol.

En France, il est « accueilli » au camp d’Argelès dont j’ai déjà souligné les conditions de vie sordides (Chronique Des idées et des luttes du 1er janvier 2023). Il participe à l’accompagnement de groupes traversant les Pyrénées poursuivant le combat contre le régime franquiste mais sera arrêté par les Allemands et affecté à la mine de bauxite de Bédarieux. Il s’enfuit, rejoint la Résistance française comme nombre de républicains espagnols qui savaient ce que le fascisme sous ses différentes facettes signifiait.

C’est dans le Limousin dont le maquis était très fourni en hommes et femmes qu’il participe notamment au retard de la division Das Reich. Il intègre le bataillon Libertad avec le grade de capitaine. Il acquit pendant cette période quantité de techniques de survie en forêt et montagne, de sabotage qu’il mettra à profit dans sa lutte contre la dictature franquiste. Comme beaucoup de républicains, il pensait que les « démocraties » après avoir éliminé les régimes fasciste et nazi, se retourneraient contre Franco, mais déjà la Guerre froide produisait ses effets cyniques.

Des pylônes, des voies ferroviaires
Dès 1944, des groupes armés rentrent en Espagne mais les dissensions entre sensibilités anarchistes en France, en Espagne paralysent les actions militantes.
Là aussi, l’ouvrage, au-delà de la vie de Caracremada permet d’avoir un éclairage sur cette période un peu oubliée.
La vie quotidienne est dure en Espagne, les militants sont isolés, les actions violentes font l’objet de débats et de division. Alors les groupes sont à effectifs réduits. Les attentats se multiplient, Caracremada y contribue largement. Des pylônes, des voies ferroviaires, des infrastructures industrielles, un soutien logistique aux groupes.

Pour alimenter les caisses, des expropriations sont menées et des anarchistes résistants pendant l’Occupation sont arrêtés par la police française, passés à tabac, jugés notamment à Lyon en 1955. Toute cette histoire est encore à écrire.
Ce livre est précieux à cet effet.

Dès 1953 le franquisme est banalisé et les pays du « monde libre » le reconnaissent, le Vatican en tête. Les maquisards que Franco ne veut appeler que rebelles, voire bandits, multiplient les incursions et les attentats, le passage des Pyrénées est difficile, certains se font arrêter sur dénonciations. Ils vendent cher leur peau en campagne, à Barcelone.

Caracremada se sent plus à l’aise dans sa montagne qu’il connaît bien. Lorsque les actions touchent les immeubles, la Guardia Civil rencontre des difficultés à lutter mais quelques faits comme l’affaire du col de Toses posent de vrais problèmes, vous lirez les faits et Caracremada est accusé de tous les méfaits au mépris de la vérité.
Il se fait discret, résidant dans un village au nord de Prades, jusqu’en 1960. Fin février 1961, il repart en campagne, son énergie est intacte, sa résistance physique impressionne ses compagnons.

Le 7 août 1963 peu après minuit, sans doute dénoncé, il tombe dans une embuscade après d’ultimes attentats en Espagne. Trois gardes civils le guettent et lui tirent dessus. « Ramon s’écroula. Après un moment d’attente, les gardes civils s’approchèrent et inspectèrent les blessures provoquées par deux impacts de balle. Plutôt que de le soigner, ils le laissèrent mourir d’hémorragie, son agonie dura jusqu’à 6 heures du matin. »

Le livre se conclut par un émouvant poème de Caracremada, reprenons la dernière strophe :
« Je veux que mon corps repose
Loin du vacarme humain
Près du grand pin
Dans le ravin solitaire »

Francis Pian

Caracremada. Sur les sentiers de la guérilla en Espagne 1945-1963.Anonyme. Ed. Tumult, 2021

PAR : Francis Pian
Groupe Commune de Paris

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