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par Francis Pian • le 13 juillet 2023

Des idées et des luttes : Écrits des condamnés à mort sous l’occupation nazie

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Écrire jusqu’à la porte des chambres à gaz

L’horreur nazie s’étendra plus de 10 ans sur l’Europe. Des millions de morts, des souffrances indicibles. Lors de la commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet 1942, j’insiste sur les crimes de cette sinistre idéologie. L’émission Au fil des pages diffusée le mercredi 12 juillet 2023 sur Radio libertaire consacre un dossier à cette tragédie (pode cast). En complément, je voudrais saluer la réédition du livre de Michel Borwicz, Écrits des condamnés à mort sous l’occupation nazie, dans la collection Tel chez Gallimard, accompagnée d’une introduction très fouillée de Judith Lyon-Caen et la préface du grand juriste René Cassin.
Michel Borwicz, ce n’est pas son vrai nom, il en changera plusieurs fois en Pologne pendant ces années noires. Journaliste, écrivain, résistant, cachant sa judéité, il fuit aux lendemains de la guerre la menace stalinienne. En France, il s’établit chercheur pour analyser l’immense documentation rassemblée par ses soins. Il l’étend même à tous les condamnés, juifs ou non, déportés. Un point commun : des femmes, des hommes, des enfants qui savent qu’elles, qu’ils vont rencontrer la mort dans la rue du ghetto, dans les prisons comme celle de de Fresnes, dans les allées des camps et les dortoirs de Dachau, Buchenwald, Lwöw et tant d’autres.

L’espoir dans l’écriture
Michel Borwicz réalise sa thèse de sociologie sur ce thème. En réalité l’ouvrage paru en 1954 relève du travail d’historien, de sociologue, de critique littéraire, doublé de la biographie de l’auteur. Une œuvre intense et d’espoir dans l’écriture. Oui, d’espoir ! Après avoir vécu les scènes relatées, l’auteur peut encore écrire : « Nous savons pourtant que l’humanisme, même s’il n’est pas la vocation innée de l’homme, reste son devoir suprême ». Face à des hommes, les nazis, qui niaient l’humanité et néanmoins appréciaient Goethe, Beethoven, Mozart, il porte la dignité humaine jusqu’ à affirmer : « Nous n’avons pas cessé pour autant d’apprécier, ni Goethe et Schiller, ni Beethoven et Mozart, […] nous avons appris que les acquisitions culturelles et leur sens propre doivent être sans cesse et toujours de nouveau défendus ».

Dans l’horreur du camp de Lwöw, celui de Janowski qualifié d’Université des bourreaux, Michel Borwicz parvient à créer un réseau de résistants, à faire sortir des textes, des poèmes, des témoignages. Oui, l’écriture permet aux auteurs de rester des êtres humains et de l’exprimer. « La vérité des martyrs attend d’être mise en lumière. Non seulement la vérité sur leur mort, mais également la vérité du martyre quotidien qui précédait leur mort. »

Côtoyer la mort
La vie dans les ghettos n’est que l’antichambre de la mort, des témoignages là aussi. L’organisation de la résistance, notamment dans celui de Varsovie, mourir dans la dignité ! Je renvoie au livre d’Henri Minczeles, Histoire générale du Bund, un mouvement révolutionnaire juif (Ed. L’échappée, 2022).

Trois grandes parties dans l’ouvrage. La première s’efforce de retracer les cadres sociaux distinguant les juifs de Pologne et les autres communautés. L’analyse de l’univers concentrationnaire permet d’apprécier les divers genres des phénomènes littéraires et les formules utilisées par les détenus de diverses nationalités. La deuxième partie analyse les textes eux-mêmes avec un aperçu de l’ensemble des ouvrages concernés. Comme nous sommes face à des écrits d’outre-tombe, l’auteur insiste sur les inscriptions sur les murs avec le nom des dénonciateurs et les dernières lettres des condamnés. Enfin la troisième partie cherche à élucider les processus rattachés à la psychologie scripturaire (compensation, auto-clarification, déformation professionnelle, expectation sociale) en travaillant notamment sur la notion de recours au Patrimoine et les écrits d’enfants condamnés. Comment survivre dans un tel enfer, voilà une réflexion qui revient souvent dans l’esprit du lecteur, au fil des pages. Particulièrement chez les enfants, je relèverai ce petit poème écrit par une enfant de 11 ans, Janina Hescheles, dont le refrain évoque de façon onomatopéique le gémissement des roues de la locomotive :
« Vers Belzec, vers Belzec, vers Belzec.
A la mort, à la mort, à la mort. »

Résister par l’écrit
En sus de l’analyse des textes des condamnés, l’ouvrage souligne le courage des réseaux de résistance au sein des camps (certains évadés n’hésitaient pas retourner dans le camp), les causeries, les lectures de poèmes, voire des pièces de théâtre mises en scène, les liens avec l’extérieur y compris hors de l’Europe occupée, l’imagination des détenus pour écrire jusqu’à la porte des chambres à gaz et surtout préserver les témoignages pour l’avenir. Je renvoie au livre de Léon Poliakov, Bréviaire de la haine, le IIIe Reich et les Juifs, première édition en 1951 (rééd. Les Belles Lettres, 2017).

Doit-on prendre ces documents comme des reliques, des actes politiques, des cris d’espoir ? Un peu tout cela à la fois. Une confiance dans l’écriture chez Michel Borwicz. N’oublions jamais que la perversité du nazisme est toujours présente dans notre société. Déjà dans sa préface de 1954, René Cassin écrivait : « Le poison inoculé par l’hitlérisme continue à exercer ses ravages. La dignité humaine est fréquemment bafouée. […] Puissions-nous dans notre vie quotidienne, répondre par des actes positifs à l’appel et à l’attente angoissée de tant de millions d’êtres sacrifiés ! ... »

Francis Pian

Écrits des condamnés à mort sous l’occupation nazie, 1939-1945. Michel Borwicz. Ed. Gallimard, coll. Tel, 2023

PAR : Francis Pian
Groupe Commune de Paris

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