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par Francis Pian • le 13 mars 2023

Des idées et des luttes : Lettre à une enseignante

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« Personne n’est nul pour les études »

Curieux texte que cette Lettre à une enseignante rédigée par des enfants de l’école de Barbiana en Toscane.

Ce document publié en 1967 se révèle une critique radicale de l’enseignement en Italie. Il fait mouche et devient un texte de référence pour toute une génération. Il ne s’agit pas de n’importe quels élèves, de n’importe quelle école, ni de n’importe quel enseignant, comme le souligne Laurence De Cock, dans sa préface aux éditions Agone. Oui, des recalés du système, des exclus car perçus comme des nuls par les enseignants obsédés par leur vision dominante. Aussi ces enfants de paysans « savent utiliser les armes de l’ennemi et un chemin pour retrouver fierté et dignité face à la culture et à la langue légitimes imposées par les enseignants ». La traductrice sait rendre la vigueur de leurs propos et le texte de Pier Paolo Pasolini les hisse au rang d’interlocuteurs légitimes.

Instruire et redonner confiance
« Personne n’est nul pour les études », affirme l’animateur de cette école du peuple. Celle-ci met en place une pédagogie destinée autant à instruire qu’à redonner confiance aux exilés de l’école publique. Le texte fourmille d’exemples, ainsi les plus âgés forment les plus jeunes. Ils alternent le rôle d’apprenant et d’éducateur. Et puis, un point qui n’est pas sans rappeler le concept d’enseignement de la Commune de Paris, savoir allier la théorie et la pratique, le bras et l’esprit. De plus, les élèves sont dépositaires de savoirs relatifs à leur appartenance sociale, il faut partir de leurs acquis. Vous apprécierez la technique rédactionnelle.

Certes le ton est virulent, le texte à charge mais qui est issu des milieux ouvriers a certainement entendu ou subi le mépris, la condescendance d’une école clivante et chargée de répartir le plus tôt possible les élèves en distinguant les bons… et les autres. Une école de classe sous couvert de République. Ce livre est un cri. Avec ses maladresses, ses excès et Pasolini le souligne avec respect car il dialogue avec ces enfants, il ne les trompe pas. Certes, à la lecture, on peut estimer l’approche datée et surtout limitée à un pays, l’Italie des années 60-70. Pourtant le texte se situe à l’interface entre le témoignage, l’analyse sociologique, l’exposé pédagogique et la fiction. Certains y verront des références à Freinet, Meirieu, Summerhill.

Déjouer les pièges de la bourgeoisie
Un mot qui donne matière à réflexion : « ce sont les pauvres qui créent les langues et ne cessent de les renouveler de fond en comble ; les riches les cristallisent pour pouvoir se moquer de ceux qui ne parlent pas comme eux. » Le texte n’est pas qu’un appel à réformer l’école mais une déclaration de guerre lancée à l’école publique, paradoxalement de classe. Ils s’adressent à leurs parents et proposent « une organisation entre les pauvres pour déjouer les pièges installés par la bourgeoisie dans l’organisation de l’école publique détournée à son seul profit. Il réveille la lutte à s’attaquer à la classe qui occupe toutes les fonctions du pouvoir. »

Certes, il y a un style, un ton un peu « conte de fée », presque irréel, mais les propos, eux, sont acerbes, justes souvent. L’approche du redoublement reste toujours d’actualité. De même l’attitude des enseignants à l’égard des enfants est justement dénoncée. Comment traiter également des élèves dans une situation inégale ? Comment reconnaître l’effort, le travail accompli ?
Certainement pas en faisant abstraction des conditions sociales de l’élève. « Car rien n’est plus injuste que de traiter également des inégaux. » Souvent les parents n’osent pas affronter le système et les enseignants, injustice de classe, humilité et humiliation de classe. Encore aujourd’hui, des enseignants relevant les difficultés d’un élève conseillent simplement aux parents de lui donner des cours particuliers, le constat de l’inefficacité de leur propre enseignement, selon l’école de Barbiana.

La révolte des enfants s’exprime aussi par la dénonciation du Parti Italien des diplômés, et de droite et de gauche.
Actualité aujourd’hui en France.

Leurs propositions : « Pour que notre rêve d’égalité ne reste pas qu’un rêve, nous vous proposons trois réformes :
I Ne pas recaler.
II A ceux qui ont l’air crétin, donner l’école à plein temps.
III Pour les cancres, un simple but suffira. »

Termes rudes et forts en apparence, vous lirez !!

Dernière citation : « Connaître les enfants des pauvres et aimer la politique, çà revient au même. On ne peut pas aimer les enfants qui sont marqués par des lois injustes et ne pas vouloir des lois meilleures. »

Francis Pian

Lettre à une enseignante, Les enfants de Barbiana. Ed. Agone, 2022

Note de la rédaction :
"Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide" Albert Einstein"

PAR : Francis Pian
Groupe Commune de Paris

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