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par Francis PIAN • le 27 octobre 2024

DES IDEES ET DES LUTTES: La haine des fonctionnaires

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Au service du public

Julie Gervais politiste, Claire Lemercier historienne, Willy Pelletier sociologue ont publié en 2021 aux éditions La Découverte, La Valeur du service public dont nous avions fait état dans la chronique Des idées et des luttes du 19 mars 2022 sur le site du Monde libertaire. Ils y dénonçaient la dégradation du service public, la privatisation, les inégalités de traitement des agents et des usagers, la défaillance dans le financement des prestations. Ils récidivent à juste titre avec La haine des fonctionnaires édité aux éditions Amsterdam. L’angle rédactionnel est légèrement différent, il s’agit de souligner le mépris affiché par une bonne part de la société et des pouvoirs publics à l’égard de celles et ceux qui au quotidien assurent avec courage le maintien des services, leur continuité, l’égalité d’accès, l’adaptabilité, c’est-à-dire le respect des principes du service public à la française qui n’a rien à voir avec un service minimum, bas de gamme suivant une conception libérale.

Qui n’a pas entendu de ces propos véhéments sur les fonctionnaires ? Bien payés, feignants, un qui travaille et trois qui le regardent, avec la garantie de l’emploi et autres jugements qui relèvent de l’insulte. Nos trois auteurs vont nous intéresser à « ces millions « d’existences destinées à passer sans traces », comme dit Michel Foucault, mais sans lesquelles nous n’existons pas. Ce n’est qu’ainsi qu’on jugera si ces vies de travail, souvent intenables mais tenues, méritent l’opprobre. En même temps que l’on saisira à qui sert de les salir et de les condamner. » En effet les usagers critiquent par exemple la lenteur des interventions mais qui connaît les contraintes budgétaires ? Et qui sont les décideurs ?
Le livre contient quantité de témoignages, de propos au sujet de la dégradation des routes, des urgences aux hôpitaux… pour la plus grande satisfaction des technocrates rivés sur leurs tableaux de rentabilité, négligeant la fermeture des urgences en été, les souffrances psychologiques des agents comme les infirmières. Il suffit à ces technos que les fonctionnaires soient qualifiés de fainéants pour occulter que les agents publics travaillent davantage et souvent plus durement que les salariés du privé. Et évidemment n’oublions pas les 892 300 enseignants, les « planqués » de la République avec de super vacances en ignorant les contraintes bureaucratiques de l’Education nationale, la préparation des cours, les corrections de copies, les réunions inutiles et les traitements largement insuffisants …
Qui connaît les conditions de travail des égoutiers dont la durée de vie est de 58 ans contre 79 ans pour la population française ? Qui connaît le poids des barrières de sécurité Vauban maniées à longueur de journée par les agents des services techniques affectés aux fêtes et cérémonies, le dos cassé à 30 ans ? Plus généralement la fatigue du corps ne rentre pas dans les statistiques.

Une stratégie de transfert au privé
La diversité des statuts casse toute action unitaire, les agents bloqués structurellement par les indicateurs de performance n’ont d’autres échappatoires que les arrêts-maladies. Même les encadrants perdent leur autonomie de gestion, obsédés par leur déroulement de carrière. Une autre affirmation : il y a trop de fonctionnaires. Leur réduction sert d’arguments de campagne électorale en milliers en plus ou en moins. Mais de quels agents parle-t-on ? De ceux employés par l’Etat et les collectivités territoriales, des salariés des entreprises publiques, des associations ou des entreprises gérant des services publics, des vacataires précaires du secteur public ? Et s’il y a trop de fonctionnaires on taille dans quel service ? Pour organiser la défaillance et confier les prestations au secteur privé. La gestion des EHPAD, celle des crèches par le privé démontrent quotidiennement leur efficience en matière de sécurité, propreté et qualité de vie au travail… !!! Est-ce moins cher ? C’est faux !! Les auteurs de l’ouvrage le démontrent précisément.

Faire moderne pour mieux casser
Il faut faire moderne, c’est le mot à la mode. Et la dématérialisation produit ses effets de choc. Pourtant l’inégalité d’accès à l’informatique est dénoncée par la Défenseure des droits, Claire Hédon. La fracture numérique dépossède les agents de leur métier et les usagers des prestations du service public comme un rapport de la Cour des comptes le souligne pour la CNAF en septembre 2024.
Les éléments relatifs à la Haute fonction publique insistent sur la politisation, les coteries, les réseaux et ces passages public/privé qui négligent les spécificités de l’intérêt général au profit du discours managérial véhiculé par ces cabinets dont le plus célèbre est McKinsey mais il ne faut pas oublier Capgemini ou Eurogroup. Ils ponctionnent les compétences du public pour valoriser leur « savoir-faire » cassant le service public à coup de présentations PowerPoint et de rapports au coût faramineux. « Le massacre des services publics, la guerre à leurs agents, menées du dehors mais aussi du dedans, ne sont pas terminés. La lutte, par les mots entre autres, mais pour des changements concrets, doit continuer. »

• Julie Gervais, Claire Lemercier, Willy Pelletier
La haine des fonctionnaires
Ed. Amsterdam, 2024

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
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