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par Francis PIAN • le 24 août 2024

Des idées et des luttes: La Retirada en héritage?

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Entre mémoire et oubli

Une couverture, une photo en noir et blanc, un ciel chargé, une plage, une mer, et des panneaux. Nous sommes sur la plage d’Argelès-sur-Mer, une exposition installée pour les 80 ans de la Retirada (février 2019). Un cliché de Jean-François Noël, photographe auteur, historien de formation. Ils furent des milliers (500 000) à passer la frontière pendant l’hiver 1939 et à être parqués sous la surveillance des troupes sénégalaises, en plein vent glacial, couchés sur le sable. Les cadavres étaient nombreux au petit matin, ceux qui n’avaient pas supporté les souffrances de la fuite, le début de l’exil. Que savons-nous de leur histoire ? Les livres sont nombreux mais chaque vie est une histoire et mérite d’être écrite. La Retirada en héritage ? publié aux éditions de l’Harmattan « nous plonge dans des récits de vie et dans des images d’un passé que ni le temps ni l’oubli ne parviennent à effacer. "Des images au présent où le passé s’immisce grâce à l’œil du photographe et à la voix du narrateur " comme le souligne Veronica Estay Stange dans sa préface.

Les chapitres alternent les pages photographies avec celles où s’entremêlent des récits mémoriels très divers. Faut-il transmettre ? Ou au contraire, tourner la page ? Et les descendants, que gardent-ils de cet héritage ? Le lecteur peut comprendre les trous de mémoire, effet des souffrances, des humiliations subies, suivies d’un si long exil. Les espoirs déçus, Franco maintenu en place en raison de la Guerre froide. Cette valise non défaite cachée sous le lit, il a bien fallu l’ouvrir et ancrer sa vie en France, y élever les enfants et voir grandir les petits-enfants.

Des cols pyrénéens aux camps
Les autorités françaises ne les ont pas accueillis avec enthousiasme, elles méfiaient de ces « indésirables », ces Rouges. Jean-François Noël introduit, dans ses pages, des poèmes comme Le Tango d’Argelès, Le Cafard.

« Nous sommes les tristes réfugiés arrivés d’Espagne
Après avoir tant marché,
Nous avons passé la frontière à pied, par la route
Avec notre paquetage.
Couvertures, ballots et valises, trois boîtes de conserve
Et un peu d’humour ;
C’est tout ce que nous avons sauvé après avoir tant lutté
Contre l’envahisseur fasciste.

Et, dans le camp d’Argelès-sur-Mer
On nous a enfermés pour ne pas manger !
Et dire que, il y a trois ans, l’Espagne entière
Était une nation heureuse, libre et ouvrière. »

Jean-François Noël nous conduit aux camps de Rivesaltes, de Barcarès, Agde, à la prison Collioure, Gurs. Certains ont quasiment disparu, la France a-t-elle honte de son passé ? Même enfant de cinq ans, les réfugiés se souviennent de la brutalité, du froid, de la faim. L’auteur les fait longuement parler. Les exactions des fascistes, la montée vers les cols, vous refaites la route avec eux, col du Perthus, col de Coustouges, col de Manrella, les statues, les mémoriaux, « la grande débandade » sous le regard chargé de mépris des « forces de l’ordre » françaises. Allez sur ces chemins pour imaginer ce qu’ils vécurent.

« Un nuage espagnol »
Tout témoignage porte sa valeur. Celui d’inconnus comme Isabelle qui veut transmettre à ses filles. D’autres sont chargés d’un héritage libertaire, tels les frères Serge et Michel Utgé-Royo. Pourtant c’est aussi le silence et le regret des enfants de ne pas savoir. Ils s’installent partout en France : le Cher, la Vienne, l’Yonne, Paris. Les tombes sont mémoires comme celle de Machado à Collioure, d’autres comme Walter Benjamin dont on ne retrouvera pas le corps a droit à un cénotaphe. A la mort de Franco, les bouches commencèrent à s’ouvrir, des familles désunies se retrouvent sur cette terre d’Espagne qui s’ouvre, elle aussi sur des fosses communes, témoignages des milliers de fusillés.
Et pour montrer que le combat contre le fascisme n’est jamais terminé, rappelons-nous, en ce jour du 24 août, « les soldats républicains espagnols de la Nueve, ces Espagnols qui ont libéré Paris sur leurs blindés nommés Belchite, Teruel ou Guadalajara » et les paroles de la chanson Un nuage espagnol de Serge Utgé-Royo :
« Il faudra bien, un jour, crier dans le silence
Qu’un nuage espagnol a libéré Paris. »

• Jean-François Noël
La Retirada en héritage ?
Ed. L’Harmattan, 2024

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages sur radio libertaire

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