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par Francis PIAN • le 2 mars 2024

DES IDEES ET DES LUTTES: COLONISATIONS, NOTRE HISTOIRE

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Colonisations, exploitation, domination

Une histoire-monde livrée grâce à cet ouvrage Colonisations. Notre histoire, publié aux éditions du Seuil en 2023 sous la direction de Pierre Singaravélou. Vous observerez l’utilisation du pluriel. « L’histoire coloniale française est, de fait, loin d’être un processus continu et unifié. Elle a revêtu au contraire une grande diversité de formes. Et si la violence y est omniprésente, elle n’exclut pas des pratiques de résistance, d’accommodement et de coopération. » Cette histoire plurielle appelle des récits multiples, esquissant une nouvelle histoire de France et une manière inédite d’appréhender l’histoire du monde. J’ajoute et c’est un aspect essentiel du livre qu’il ne se limite pas à la dimension française. Le parcours dans le temps remonte jusqu’à la quasi-préhistoire et explore les conquêtes en Asie, sur terre, sur les océans, l’histoire des empires d’Afrique, celle des peuples d’Amérique. En effet, avant la conquête coloniale européenne, il y avait une vie, une histoire, des femmes et des hommes qui ont construit des cultures, des civilisations. Il est bon de le rappeler en ces temps de condescendance et de mépris à l’égard de l’Autre.

Comme à l’accoutumée, l’histoire est écrite par les vainqueurs et même si la colonisation suscite de forts débats, les colonisés sont peu écoutés. « En replongeant dans le passé avec les chercheuses et les chercheurs qui, depuis une trentaine d’années, dans le monde entier, ont profondément renouvelé l’analyse du fait colonial, de sa pluralité et de la discontinuité de son histoire. L’enquête historique ne fait pas bon ménage avec la morale et l’idéologie, dont elle est le meilleur révélateur, éclairant la manière dont se forgent les légendes dorées et les romans nationaux dans les métropoles impériales et les nations nouvellement indépendantes. Elle appréhende avec lucidité et sang-froid les sujets les plus brûlants, retrace leur généalogie, propose une multiplicité d’approches et d’interprétations, excluant la doxa du récit unique. » C’est un grand voyage dans le temps et l’espace que nous proposent ces autrices et auteurs, qui peut se lire d’une traite ou par étapes, en picorant au milieu de ces articles ceux qui nous intéressent pour des raisons personnelles.

La méthode de la bobine
Autre aspect intéressant, l’ouvrage reprend la méthode du grand historien Marc Bloch, celle de la bobine. Au lieu d’engager le récit par les origines, le livre débute par l’actualité pour remonter dans le temps. C’est une histoire de longue durée, chère à Fernand Braudel, autre historien, qui nous est offerte « pour appréhender les continuités, les reconfigurations et les ruptures, et donc de spécifier la situation coloniale par rapport à d’autres formes de domination. »
Mais quelle actualité ? Tout cela est du passé ! Certainement pas ! L’Histoire est bien présente dans l’architecture, la langue, les frontières, les institutions, le droit, les scandales. La France est encore influente dans les anciennes colonies, même si la situation évolue récemment. La Françafrique est encore une réalité (Chronique Des idées et des luttes du 28 novembre 2021, L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, Thomas Borrel, Amzat Boukari-Yabara, Benoît Collombat, Thomas Deltombe. Ed. Seuil, 2021). Indéniablement, c’est un passé qui ne passe pas. Observons les silences, les controverses, l’instrumentalisation, la difficulté d’enseigner le fait colonial. La voix des colonisés est aphone. Pourtant assez tôt la critique du colonialisme émerge chez les intellectuels, les artistes, les écrivains. Vous découvrirez le salon, à Clamart, rue Condorcet, des sœurs Nardal originaires de la Martinique où se rencontrent des écrivains noirs des continents africains et américains. Vous retrouverez Aimé Césaire, René Ménil, Léopold Sédar Senghor.

Le pluriel du monde
Des affirmations difficiles à traiter. Il s’agit du Sud ! Mais quel sud ? Après la création du rapport Nord-Sud dans les années 1980 ? Il faut penser l’universel. Souleymane Bachir Diagne insiste : « Un universel depuis le pluriel du monde, un universel de rencontres horizontales entre les cultures et entre les langues, un universel de traduction. Qui ne sera donc plus impérial et vertical mais pour reprendre le concept de Maurice Merleau-Ponty, latéral. »
La vision française était à l’opposé de l’affirmation précédente. Avant, il n’y avait rien selon les chantres de la colonisation ! Il fallait civiliser, rentabiliser les conquêtes au prix de massacres et d’exploitations des terres. Les témoignages sont nombreux mais ignorés. Rappelons-nous Voyage au Congo d’André Gide, Le rapport Brazza, Misère de la Kabylie d’Albert Camus. Pendant la Première guerre mondiale, les troupes coloniales seront utilisées comme chair à canon sur le front.
Et les mondes d’avant la colonisation, outil de rivalités entre les puissances européennes ? Comment les peuples habitaient les temps ? Y avait-il d’autres géographes ? Quelles cartes de représentations du monde ? Comment les rencontres avec d’autres cultures s’opéraient-elles ? Comment, sur de fragiles embarcations, les Océaniens découvrent-ils le Pacifique jusqu’à Rapa Nui, l’île de Pâques ? Et les routes du Sahara ? Oui, il y a d’autres histoires du monde transmises par l’écrit, par l’oral.

« C’est notre interdépendance… »
Peut-on parler de mondialisation culturelle ? Il est un livre un peu oublié de l’historien Lucien Febvre, Nous sommes des sang-mêlés écrit en 1950 et édité chez Albin Michel en 2012, qui apporte une réponse.
Laissons la parole à Amartya Sen : « Si les interactions coloniales participent à l’évolution de la « civilisation » mondiale, il est important de reconnaître que, longtemps auparavant, les différents peuples ont développé entre eux des relations qui ont contribué à l’épanouissement de la « civilisation » à l’échelle planétaire. C’est notre interdépendance qui fait de nous le type de créatures que nous sommes. Il ne faut pas y voir un objet de honte, mais un motif de fierté. »

• Collectif, direction de Pierre Singaravélou
Colonisations. Notre histoire
Ed. du Seuil, 2023

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
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