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par Francis Pian • le 17 avril 2023

Des idées et des luttes : L’hécatombe invisible

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Il en meurt tous les jours

Ouvrez le livre de Matthieu Lépine, vous serez consternés par le nombre d’accidents du travail, les uns mortels, les autres causant des pathologies lourdes, des handicaps dans une ambiance de désintérêt, voire de culpabilisation, à l’égard des victimes. Vous en avez certainement déjà vu des ouvriers du bâtiment sur les toits, sans sécurité, sous un soleil de plomb. Parfois, certains, par leur jeunesse, montrent leur statut d’apprenti mal protégé, surutilisés.

Le point de départ de ce livre, L’hécatombe invisible, Enquête sur les morts au travail, publié au Seuil ? Les propos d’Emmanuel Macron qui estime que les chefs d’entreprise prennent tous les risques. Surement pas jusqu’à tomber d’un échafaudage, d’être amputé par une machine obsolète. Le mépris de classe qui caractérise le pouvoir politique avec éclat et cynisme a toujours existé mais aujourd’hui il ne se cache plus, il est légitimé par le numéro 1 de l’État. Choqué, notre auteur décide de recenser les accidents du travail, de les publier via les réseaux sociaux. Les résultats sont édifiants.

Il reçoit des témoignages des victimes, des familles. Des avocats, des journalistes abondent ses informations. Et un jour, « fort de leurs témoignages, et surtout de leur confiance, mon travail s’est amplifié. Ce livre en est le résultat. Il n’est pas l’œuvre d’un « spécialiste » mais le fruit de mon engagement et de ma persévérance ». C’est bien ce qui m’a plu dans ce livre, l’engagement, la force de l’indignation, un style accessible et des notions clairement expliquées. Il en est ainsi du statut d’autoentrepreneur, faussement source de liberté. La faiblesse des ressources conduit des personnes âgées à poursuivre avec ce statut des activités trop lourdes pour elles. Sous-traitantes, elles en meurent et les sociétés en charge du chantier ne sont pas toujours déclarées responsables.

Quand l’abject rejoint l’horreur !
En 2019, Matthieu Lépine crée son compte Twitter « Accident du travail : silence, des ouvriers meurent ». Il interpelle le ministre du travail, souligne que le ministère créé après le coup de grisou de Courrières en 1906 devait protéger les ouvriers, les mineurs, les travailleurs. La remise en cause des lois sociales depuis plusieurs années conduit à une fragilisation du sort des plus faibles. Matthieu prend l’exemple des livreurs, des coursiers : « c’est le labeur et parfois même la mort que ce système réserve aux livreurs ».

Dans d’autres métiers, c’est aussi le suicide qui clôt une vie comme cette directrice d’école épuisée par le système scolaire qui ne protège pas ses agents. Évidemment, les institutions et les entreprises chercheront à reporter sur la victime, voire son environnement familial, la cause de son décès. Quand l’abject rejoint l’horreur !

Le droit du travail est détourné ou affaibli, nous le savons tous. La définition de l’accident de travail qu’en donne l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale exclut les autoentrepreneurs car ceux-ci ne sont pas sous l’autorité d’un employeur et encore moins liés par un contrat de travail. Ils sont donc démunis en cas d’accident. Trop souvent la rentabilité l’emporte sur la sécurité. 8 000 décès supplémentaires sont à craindre d’ici 2030.

Le sort des apprentis est inquiétant car leur enseignement général se réduit au profit de stages où ils sont soumis à la pression des patrons et à la prise de risque. C’est tout bénéfice pour l’entreprise, l’apprenti est gratuit. On expliquera qu’il n’a pas écouté les consignes.

Sans statut et sous pression
La pression est aussi insupportable dans des métiers durs et répétitifs. Songeons au livre de Joseph Ponthus, A la ligne (Ed de la Table ronde, 2019). Les sans papiers sont utilisés dans le nucléaire, le BTP mais il ne faut pas le dire, on se débarrassera de leurs corps fracassés et sans statut. Le contrôle est très difficilement gérable en raison de la chute du nombre d’inspecteurs du travail et des pressions exercées pour ne pas déclarer les accidents qui pèsent sur le budget et l’image de l’entreprise. Parfois, on paie au black les victimes pour qu’elles se taisent. Pour celles qui veulent engager un contentieux, c’est un parcours du combattant où l’argent permet de faire durer les procédures pour le plus grand bénéfice des entreprises. Il suffit parfois d’attendre que la victime décède… Un odieux cynisme institutionnalisé.

L’état des lieux n’est guère brillant. Parfois, nous avons le sentiment de lire des textes du siècle dernier lorsque les syndicats se mobilisaient et dénonçaient cette réalité. J’ai commenté de nombreux ouvrages sur ces luttes dans cette rubrique. Nous vivons un inquiétant retour en arrière avec un État servile, « avec plus de 1 200 morts par an liés au travail (accidents, maladies …) et le taux d’incidence le plus élevé d’Europe (deux fois supérieure à la moyenne de l’Union Européenne, la France est en mauvaise posture ». Pourtant comme le souligne en conclusion Matthieu Lépine, « Mourir au travail, ni même y souffrir, n’est pas une fatalité ».

Francis Pian

L’hécatombe invisible. Enquête sur les morts au travail, Matthieu Lépine. Ed. du Seuil, 2023

PAR : Francis Pian
Groupe Commune de Paris

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