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par Francis PIAN • le 31 août 2024

Thomas Mann: Appel aux Allemands

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« Défendre les valeurs humaines »

« Ce que, de loin, j’avais à vous dire, d’autres bouches jusqu’ici vous l’ont transmis. Aujourd’hui, vous entendez ma propre voix. C’est la voix d’un ami, une voix allemande, la voix d’une Allemagne qui montra et montrera de nouveau au monde un autre visage que le masque hideux de Méduse dont l’hitlérisme l’a revêtue. C’est une voix qui vous avertit… » Cette voix, c’est celle de Thomas Mann, fuyant le nazisme dès 1933, déchu par ce régime de sa nationalité, Prix Nobel de littérature. Il se réfugie aux Etats-Unis et de là il s’adresse à son peuple qu’il appelle à la révolte, qu’il avertit des dangers dus au nazisme. D’octobre 1940 au 10 mai 1945, en 56 messages radiophoniques, il affirme : « L’antihumanisme de l’époque me prouvait clairement que je n’avais jamais fait – ou voulu faire – autre chose que défendre les valeurs humaines. Je ne ferai jamais rien d’autre. »

Avec constance, tant dans le ton que sur le fond, il affiche son antinazisme. Pas de compromis possible. Pendant 8 minutes, chaque mois, il s’adresse aux Allemands sur les grandes ondes depuis l’Amérique. Il faut avoir de la constance pour défendre les valeurs humaines, les apports de l’Allemagne : Dürer, Bach, Schiller, Goethe à la culture mondiale alors que les victoires allemandes s’enchaînent telles des « pas dans un marais sans fin ».

« Un être scélérat possédé du démon »
Les formules sont cinglantes : « Hitler n’est qu’une supercherie, il n’est pas un révolutionnaire mais seulement un brigand », « un être scélérat possédé du démon, jusqu’à la dernière extrémité ». Goebbels, « une gueule béante vomissant le mensonge », Heydrich, « ce valet assassin, qu’en Allemagne même on appelait le bourreau ». Tous commettent « des actes de gens qui savent au fond d’eux-mêmes qu’ils ne peuvent vaincre. » En janvier 1942, sa chronique a pour titre : « Le contenu essentiel de la révolution nazie est la bestialité », il dénonce la déportation de centaines de jeunes juifs vers les camps pour que l’on expérimente sur eux des gaz toxiques. Donc on savait en 1942! L’Europe est au plus profond cauchemar nazi. Certes Heydrich est assassiné en juin 1942. Dans sa chronique du 22 juillet, il annonce que « le fascisme italien est mort. Depuis longtemps aucun chien n’acceptait plus de lui un seul morceau de pain… »
« Allemands, dans combien de temps percevrez-vous, vous aussi, ces accents ! » Il appelle son peuple à la révolte mais l’emprise de la dictature est impitoyable. Pourtant en janvier 1943, Stalingrad ! Thomas Mann écrit : « Les nazis commencent à se préoccuper de leur fin ». Vous vivrez au fil des chroniques les angoisses, le courage, la honte envers ce pays qui a brûlé les livres. Un très beau texte consacré au mouvement de résistance de jeunes Allemands, la Rose blanche, décapité en juin 1943. Certains se sont levés. Et le 14 janvier 1945, il écrit : « L’horreur, la honte et le repentir, voilà ce qui est, en premier lieu, nécessaire. » Le 10 mai 1945, « Grande est l’heure du retour de l’Allemagne à ce qui est humain […] la liberté de l’esprit. » Un clin d’œil à un autre grand écrivain qui s’est exprimé sur les ondes de la BBC à la même époque, défendant les mêmes valeurs, George Orwell.

• Thomas Mann
Appel aux Allemands
Messages radiodiffusés 1940-1945
Ed. Les Belles Lettres, 2024

• George Orwell
Chroniques du temps de la guerre 1941-1943
Ed. Les Belles Lettres, 2021

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages sur Radio libertaire

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