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par Francis PIAN • le 7 avril 2024

S’exiler, une souffrance éternelle

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Les Éditions d’une rive à l’autre ont pris une belle initiative éditoriale. Rappelons, je cite, qu’elles « sont nées du désir de créer des résonances entre la photographie et les sciences humaines. Chaque livre publié accueille ainsi les images d‘un·e photographe et les mots d’un·e sociologue, d’un·e historien·ne, d’un·e anthropologue ou d’un·e philosophe. Ces regards croisés suscitent en nous des réflexions et éclairent d’un jour nouveau les questions que notre époque soulève ».
Leur récente publication Penser avec la frontière s’appuie sur les photographies de Bastien Deschamps et un texte de Sophie Djigo, philosophe. Un ensemble qui impressionne le lecteur et marque, texte et photographies à l’appui, la réflexion. Indéniablement, vous ne regarderez plus les exilés de la même manière.

Violences aux frontières de l’Europe
Un livre en gris et noir, des photos en noir et blanc intenses en première partie comme pour mieux nous imprégner de l’atmosphère. Un flou, une aube qui se lève ? Des visages cachés, dans la rue, l’attente, celle de passer en Europe. Pas de légende. A quoi bon, les prises de vue sont presque intemporelles, certaines relèvent de la gravure comme cette façade en bois. Des témoignages, celui d’un dos couvert d’ecchymoses, symbole de la violence des gardes-frontières grecs et turcs. L’immensité des montagnes à traverser, une zone de tous les dangers entre deux pays qui ne s’estiment guère. Comment peut-on croire que les exilés s’aventurent là pour leur bon plaisir ? Plus loin des objets, des semelles, des chiffons, un chemin entraperçu. Les images pourraient suffire mais le texte de Sophie Djigo explique, souligne et donne à réfléchir sur les violences aux frontières de l’Europe. « Le dos de Youssef ressemble à une photographie aérienne de la vallée de l’Evros. On y aperçoit les sillons gravés par les violents refoulements à la frontière, les traces de coups qui érodent la chair, creusent comme des gorges plus sombres à même la peau. La terre ne ment pas, le corps non plus. Leur matérialité nous offre une cartographie de ce qui se vit aux frontières, une preuve à charge contre des politiques brutales savamment dissimulés. »

Sur 480 km de frontières, la même violence, un fleuve, l’Evros qui recueille les corps des noyés, des rejetés sur une de ses îles, coincés entre les gardes-frontières des deux rives. Des associations dénoncent ces refoulements perpétrés, transformant la frontière en zone de non-droit où la force prime sur la justice, où l’on exclut du droit des zones frontières. On va dire que c’est loin de chez nous… Pourtant, c’est l’Europe qui met en œuvre et cette même approche de refus d’appliquer le droit à ces exilés se retrouve en France, à Calais notamment. Comment faire ? Simplement par des pushbacks, c’est-à-dire des expulsions qui ne sont pas légitimées par des décisions de justice et agrémentées de violences invisibles sur ces territoires de non-droit. C’est assez étonnant de constater que ces institutions européennes porteuses de l’Etat de droit soient si peu sourcilleuses de son application. Soyons clair, on organise une chasse à l’étranger, on fabrique l’inhospitalité, comme le dénonce Sophie Djigo, en saccageant les territoires pour les rendre inhabitables. On oppose le citoyen à l’étranger. Est-ce que la politique sécuritaire ralentit la venue de ces exilés ? Non, selon Sophie Djigo, « elle augmente le nombre de ceux qui meurent ». 50 000 sont morts officiellement depuis 2014.

En quête d’un refuge
La vie politique en Europe rend difficile, en raison des clivages, toute discussion sur le sujet et la violence l’emporte sur la raison. L’atmosphère aux relents fascisants s’alimente des contradictions : souveraineté nationale et justice internationale, demande légitime de l’hospitalité ou métaphore foudroyante. Et toujours cette irrationnelle raison d’Etat qui permet la négation du droit et des droits de la personne humaine.
L’exil, la souffrance comme l’écrivait Stefan Sweig. « S’exiler. S’arracher à la terre qui vous a vu naître, à sa famille, à sa langue maternelle, à sa culture, à son pays. Qui peut croire que les exilés sont des aventuriers sur le modèle des explorateurs ou des colons européens ? Ce ne sont pas des personnes en quête de profit mais en quête d’un refuge » insiste Sophie Djigo.
Reprenons la conclusion du livre : « Les frontières ne sont pas seulement fermées pour ceux qui, en exil, tentent de les franchir. Elles enferment aussi ceux qui vivent à l’intérieur. Le dénouement, c’est donc l’émancipation par l’ouverture des frontières. »

• Bastien Deschamps et Sophie Djigo
Penser avec la frontière
Ed. D’une rive à l’autre, 2024

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages sur Radio libertaire

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