ML - Des idées et des luttes: Vies rebelles

Histoire > Des idées et des luttes: Vies rebelles

Histoire

par Francis PIAN • le 1 décembre 2024

Des idées et des luttes: Vies rebelles

Lien permanent : https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=8123

Vivre libres !

Nous savons toutes et tous que les USA ne sont pas une terre de droits et de libertés pour les classes populaires et d’autant plus quand elles sont noires et femmes ! Saidiya Hartman retrace dans son livre Vies rebelles publié aux éditions du Seuil en 2024, des bribes d’existence de ces femmes quittant le sud ségrégationniste des Etats-Unis en quête d’une vie meilleure. Elles gagnent les villes du Nord-Est, New York, Philadelphie, Chicago entre 1890 et 1930. Evidemment, leur déception fut à la hauteur de leurs espoirs. Un sinistre ordre moral, les violences policières, les viols, la prostitution infantile et adulte, le racisme, le mépris structurant la société. Des personnages célèbres en ont fait état mais Saidiya Hartman s’attache au sort des « humbles ». Comment retrouver traces de leur vie ? Dans les sources policières, les écrits des philanthropes, des archives de la justice mais aussi les notes de W.E.B. Du Bois (Les Noirs de Philadelphie: une enquête sociale aux éditions La Découverte en 2019).

Travail d’archives et écriture poétique
Elles sont vivantes, ces femmes vibrantes de volonté, de désir, toutes à leur joie de vivre libre, une forme d’anarchisme. L’Histoire est vivante. Celle des femmes et des hommes noirs, « absents du récit national et pourtant au cœur des grandes dynamiques historiques du pays devenu le leur : les Etats-Unis. » comme le relève Audrey Célestine dans sa préface. Il a fallu se battre et mobiliser des chercheurs, des historiens, des auteurs. Pour traduire cette vie, Saidiya Hartman s’appuie sur ce travail en archives et sur l’écriture poétique et informée. Elle donne à voir, sentir, entendre une époque et ses aspirations. Elle ouvre les portes de l’intime et le lecteur ressentira « des souffles, des soupirs, des sanglots ». Et le récit devient histoire.
Vous êtes dans les rues de Harlem, de Philadelphie, sur les quais du West Side. Vous pénétrez dans les chambres et kitchenettes louées dans toute la Black Belt, la workhouse de Blackwell’s Island, la maison de redressement pour femmes de Bedford Hills, les tripots, dancings et bouis-bouis à chop suey. Les photos complètent le texte et le regard traduit les sentiments évoqués précédemment, notamment celui de cette enfant dénudée et photographiée par un blanc. « La terrible beauté des bas-fonds », du ghetto, des rues sordides, les façades dégradées. Le noir et le blanc des photos ajoutent au drame de la vie quotidienne.

La révolte contre la violence sociétale
Le texte nous rappelle le rejet des noirs, la peur des blancs qui exigent l’enfermement sociétal de ces personnes. Ces dernières doivent se taire et lorsque l’une d’entre elles obtient du travail, « dans une autre vie, elle ne serait pas obligée d’accepter l’inacceptable, et de faire semblant d’être reconnaissante, par-dessus le marché ». la violence de la société se traduit dans les faits, les mots, les insultes, les relations. Et cette photo : des toilettes avec trois portes avec la mention Ladies, Men, Colored.

Elles se révoltent, ces femmes. Ida Wells qui refuse en 1884 de céder sa place dans le train, Esther Brown haïssait ses conditions de travail. Sans oublier Mattie, May, ces inconnues qui veulent être libres de se promener dans la rue avec des hommes, non mariés, refusent d’être arrêtées, violentées. Les pages se succèdent décrivant ces faits odieux, voire même un lynchage en règle… Elles se prostituent, vivent seules, intègrent les milieux de la danse, du théâtre, du jazz évidemment, sources d’ouverture sur la ville. La loi sur les mineurs indisciplinés permet aux « forces de l’ordre » de jouer l’arbitraire. Billie Holliday en subira les conséquences. Les noirs dans la rue, c’est un délit de vagabondage… D’autres croiseront le chemin d’Emma Goldman, de Lucy Parsons dont nous avons souvent parlé dans l’émission Au fil des pages sur Radio libertaire et dans la chronique Des idées et des luttes sur le site du Monde libertaire.
Et n’oubliez pas d’observer leurs regards, tel celui de la jeune femme en couverture de l’ouvrage. « L’idée folle qui anime ce livre est que les jeunes femmes noires étaient des penseuses radicales qui imaginaient inlassablement d’autres façons de vivre et ne cessèrent jamais d’envisager les multiples chemins susceptibles de mener à un monde différent. »

• Saidiya Hartman
Vies rebelles
Histoires intimes de filles noires en révolte, de radicales queers et de femmes dangereuses
Ed. Seuil, 2024

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages sur Radio libertaire

Réagir à cet article

Écrire un commentaire ...

Poster le commentaire

Annuler

Des idées et des luttes: Vies rebelles

Numéro en cours

Fouiller autrement

Glané sur le web