ML - DES IDEES ET DES LUTTES: UNE RAGE DE LIRE

Littérature > DES IDEES ET DES LUTTES: UNE RAGE DE LIRE

Littérature

par Francis PIAN • le 23 septembre 2023

DES IDEES ET DES LUTTES: UNE RAGE DE LIRE

Lien permanent : https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=7458

Un seul désir : être écrivain

C’est une forme de lutte que d’affronter le regard encore plus condescendant que méprisant des classes dites supérieures, de celles qui disposent de diplômes, de la connaissance des codes quand on est un enfant de classe défavorisée avec pour tout bagage, un certificat d’études primaires mais heureusement aussi une volonté et une curiosité pour rencontrer le monde. C’est ce que vécut Michel Ragon dans sa jeunesse et que nous relate Thierry Maricourt dans son livre Une rage de lire, Le jeune Michel Ragon paru tout récemment aux éditions L’Echappée avec une très intéressante iconographie.

D’où vient-il, ce jeune Michel Ragon ? Orphelin de père, une mère qui travaille dur pour joindre les deux bouts, un milieu populaire d’une petite sous-préfecture de Vendée, Fontenay-le -Comte. « Je n’ai pas été conçu dans un ventre de riche. » Il pouvait au mieux espérer un bon métier, une place dans un bureau, le rêve de sa mère. Mais non ! « Je n’avais qu’un seul désir, pratiquement irréalisable, complètement déraisonnable, utopique : être écrivain. »
Je cite Thierry Maricourt : « Il ne sera ni militaire, ni bourrelier. Lira. Ecrira. Exercera mille métiers manuels ou intellectuels, d’abord au bas de l’échelle. Se faufilera. Creusera sa place. Avec ce leitmotiv : vivre de sa plume. »

« Son être en est révolté. »
La passion de la lecture le saisit très jeune, il lit tout et de tout. Autodidacte, il cherche au hasard, sans soutien. Difficile de lire dans un milieu qui valorise l’effort physique. Il y a, toutes proportions gardées ; du Camus dans ce texte, celui du Premier homme publié à titre posthume en 1994 chez Gallimard. Son arrivée à Nantes, ses recherches d’emploi, lui font ressentir le mépris. Il vit mal de statut d’autodidacte. « La vie est injuste, chaque nouvelle journée l’en persuade, son être en est révolté. » souligne Thierry Maricourt. Son anarchisme s’affirme. Il lit, il lui faut rattraper du temps, des connaissances, de la culture. Il est encore timide. C’est au hasard des rues, qu’il rencontre l’une de ses passions, la peinture, les tableaux, son goût se forme. Embauché à la Préfecture de Loire-Atlantique, il réalise pendant l’Occupation des faux papiers, doit se cacher dans le bocage vendéen. Il rencontre le monde de la poésie avec René Guy Cadou, l’école de Rochefort. Les noms des poètes, une autre passion commence à animer les pages de ses lectures, notamment celles qu’il découvre dans une librairie du passage Pommeraye à Nantes. « Malgré l’amabilité des uns et des autres, malgré l’indulgence dont il est l’objet, lui le tout jeune, lui le prolétaire pur jus, les différences de classes sociales lui sautent aux yeux. »
Pourtant, il se confronte aux autres, à l’avis des autres, argumente dans ce qui deviendra l’art contemporain. Ces ouvrages sont encore des références. Je renverrai, entre autres, à son petit ouvrage Les ateliers de Soulages, qu’il connut en 1949, après son arrivée à Paris. Sa sûreté d’analyse tient à une maturité qui se forme dans ses années de jeunesse. En 1945, il arrive à Paris, loge rue Petit près des Buttes-Chaumont, ce sont des années de vaches maigres.

L’art et le peuple
Troisième rencontre après la peinture et la poésie, la littérature prolétarienne, Henri Poulaille apprécie ce garçon et lui confie la rédaction en chef des Cahiers du peuple. Dans la revue Ophrys, il dirige un numéro spécial « l’art et le peuple, la jeune littérature d’expression populaire ». il rencontre les anars, ceux de la FA. Dans son premier livre publié en 1946, il écrit ces vers :
« Vous qui avez paisiblement fleuri
Comme les fleurs des bourgeois
Qu’on couve et qu’on abrite
Des courants d’air
Vous ne pourrez jamais comprendre mes désirs
Et mes haines… »

Il devient libraire dans le 16ème arrondissement, sera bouquiniste sur les quais de Seine, toujours le livre ! La dynamique est lancée, des livres, il en écrira des dizaines, des articles, des poèmes. A la cinquantaine, il présente une thèse, l’enfant au certificat d’études primaires ! Parmi ses publications les plus connues : La mémoire des vaincus, La voie libertaire, L’accent de ma mère. J’insiste aussi sur sa curiosité intellectuelle et son éclectisme, en musique, il aimait Gabriel Fauré et les chœurs grégoriens.

Et toujours cette affirmation : « l’accès à la culture devrait être une priorité pour les classes modestes, dès lors qu’elles font de leur émancipation un axe de lutte politique. […] l’art et la culture doivent être au service du bien-être de tous. Le monde prolétaire a tout à y gagner. »

Francis PIAN
• Une rage de lire, Le jeune Michel Ragon
Thierry Maricourt
Ed. L’Echappée, 2023

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages Radio libertaire

Réagir à cet article

Écrire un commentaire ...

Poster le commentaire

Annuler

DES IDEES ET DES LUTTES: UNE RAGE DE LIRE

Numéro en cours

Fouiller autrement

Glané sur le web