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par Francis PIAN • le 1 octobre 2023

DES IDEES ET DES LUTTES: L’ATTESTATION

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Quadriller et punir

Souvent je me suis posé la question depuis le début de cette épidémie de la Covid 19 : comment avons-nous pu supporter une telle atteinte aux libertés publiques et notamment celle d’aller et venir ? La peur, le repli sur soi, la répression, le désintérêt pour la vie sociale ? En toute hypothèse, il apparaît qu’il y a un avant et un après confinement avec de nombreuses conséquences sociétales. Deux chercheurs sociologues, Théo Boulakia et Nicolas Mariot publient aux éditions Anamosa, un livre sur le document le plus emblématique de cette période, L’attestation avec en sous-titre Une expérience d’obéissance de masse, printemps 2020.

Pendant 55 jours, les forces de l’ordre font le vide sur l’ensemble du territoire, y compris dans les espaces naturels survolés par des drones et des hélicoptères, certains équipés de caméras infrarouges et de hauts parleurs. Comme disait le président Macron, on est en guerre, mais contre qui ? Les habitants ? Les délations, une grande spécialité française, les auxiliaires divers et variés permettent de multiplier les contrôles, soit plus 21 millions et d’infliger 1, 1 million d’amendes, le célèbre 135 euros à tout va. Tout un chacun est surveillé avec des moyens largement déployés et potentiellement sanctionné. Voilà qui permet d’analyser sur tout un peuple l’obéissance à l’Etat, de la claustration totale à quelques refus des règles et de s’interroger sur le maintien de ces contraintes, leur transposition à d’autres situations sociétales. « Cet ouvrage suit les lignes de conduite qu’empruntèrent les confinés, soumis à une surveillance massive dont on trouvait alors en Europe et dans le monde, bien peu d’équivalents. »

Chasser les humains d’un territoire
Rappelons-nous ces rues vides, ces villes fantomatiques, même ces forêts, ces champs, ces montagnes, ces bords de mer… « Pour saisir ce qui a poussé des millions de personnes à déserter l’espace public, il est nécessaire de montrer comment les forces de l’ordre et leurs auxiliaires l’ont occupé, arpenté et finalement transformé. […] le chapitre central de ce livre place en son cœur la matérialité envahissante de la surveillance, les tactiques utilisées pour « surprendre » et « traquer » les contrevenants, les durcissements improvisés des décrets. » Il fallait « chasser les humains d’un territoire au point que les animaux sauvages s’enhardissent et les remplacent ». L’imprévisibilité et le flou des textes officiels permettaient les arbitraires interprétatifs les plus variés. Le livre regorge d’exemples de contrôles, de propos, d’arrêtés préfectoraux et municipaux plus absurdes les uns que les autres.
Cet ouvrage s’appuie sur une enquête empirique à laquelle 16 000 personnes ont accepté de répondre. Vous trouverez les références de celle-ci « La vie en confinement » dans le livre car les auteurs ont souhaité, à la différence de l’Etat, jouer la carte de la transparence dans les données.

Soulignons que ces mêmes auteurs démontrent que le confinement n’a pas eu d’effet significatif sur le nombre de décès, mais il en a eu sur les différentes formes de violence au sein de la société.
Définition du confinement : une interdiction de sortir de son domicile, pendant toute ou partie du jour, sauf pour des besoins essentiels, dont la définition varie suivant les pays. La France est le pays européen ou le confinement fut le plus dur. Pour y parvenir, l’ouvrage rappelle les faits, la restriction des libertés, le tripatouillage juridique. Un décret remplacé par une loi, des arrêtés locaux au bon vouloir de leurs auteurs.

La surveillance de masse
La perversité de l’attestation consiste dans sa rédaction par les personnes contrôlées. Elles deviennent responsables de leurs actes et s’autosanctionnent quasiment. C’est vous qui avez mentionné une heure, coché une case, c’est vous qui êtes responsable et vous devez payer 135 euros pour ne pas avoir respecté vos propres contraintes…
Un objectif : pénibiliser les sorties, multiplier les types d’attestation, jouer avec les nerfs des habitants, inquiéter les personnes. Sur ce dernier point, la presse, les médias ont été au sommet. Aucune critique, aucun contre-pouvoir, toute affirmation était acceptée sans débat. Tout le monde se rappelle les messages en boucle, y compris sur France Musique entre deux concerti. Il fallait conditionner les personnes, casser les relations sociales. Et globalement, ça a marché. Est-ce que, pour reprendre une analyse de l’ami Graeber, nous aimerions la bureaucratie ? Chacun en attendant davantage. Un autre sommet fut certainement atteint avec cette attestation délirante de 5 pages à l’élaboration de bureau en bureau, de ministère en ministère, chacun en rajoutant une couche pour se couvrir en cas de problème.

A l’issue de cette épreuve, les auteurs constatent que, « par petites touches, se précise le portrait d’un Etat parfaitement équipé pour la surveillance de masse, avec d’importantes variations locales liées à l’appétence plus ou moins grande des élus locaux pour les questions sécuritaires ».

Francis PIAN

• Théo Boulakia et Nicolas Mariot
L’attestation
Une expérience d’obéissance de masse, printemps 2020
Ed. Anamosa, 2023

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages Radio libertaire

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