ML - DES IDEES ET DES LUTTES: DES INEGALITES JUSTIFIEES

Chroniques du temps réel > DES IDEES ET DES LUTTES: DES INEGALITES JUSTIFIEES

Chroniques du temps réel

par Francis PIAN • le 2 mars 2025

DES IDEES ET DES LUTTES: DES INEGALITES JUSTIFIEES

Lien permanent : https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=8242

24%, cela se discute ?
Toujours ce chiffre lancinant malgré les promesses à chaque 8 mars. Le revenu salarial moyen des femmes est inférieur de 24 % à celui des hommes dans le secteur privé. Comment expliquer cette constante ? Comment une société clamant l’égalité est-elle capable de maintenir une telle injustice en en cachant d’autres tout aussi scandaleuses ? Marie Donzel y répond dans son livre mi-essai, mi-pamphlet au ton enjoué et dénonciateur des « bonnes excuses », Les Inégalités justifiées paru aux éditions Rue de l’échiquier en 2024.

Oui, le style est vif, clair, les arguments s’énoncent et dénoncent d’une manière incisive à l’instar du titre de la collection, Les incisives. Le titre paraîtrait déroutant. Comment justifier des inégalités ? Le sous-titre donne l’angle d’attaque du livre : Comment moins payer les femmes en toute bonne conscience ? En prologue, un autre chiffre choc : l’écart inexpliqué ne serait que de 4% en s’appuyant sur la décomposition de Blinder-Oaxaca. Cette démarche permet de justifier ces écarts en acceptant des discriminations, des croyances qui bloquent toute amélioration salariale et sociétale de fond. « Dévoilons donc les impensés (et aussi les logiques idéologiques) qui empêchent l’égalité salariale réelle d’advenir en auscultant ces fameuses inégalités justifiées. »
Après un 19ème siècle où l’inégalité salariale dans les ateliers était systématique et même encouragée par certains syndicalistes, à l’exception notable d’Eugène Varlin, l’Organisation internationale du travail affirme dans le préambule de sa constitution, le principe « à travail égal, salaire égal » introduit dans notre droit français en 1972… Mais pourquoi ? Il faut, selon Marie Donzel, remonter au code civil de 1804. L’homme est le chef de famille, c’est lui qui ramène le salaire, de quoi faire vivre femme et enfants. De plus la femme est mineure et son salaire ne peut être que d’appoint. Vous lirez ces justifications d’un autre âge. Dans les années 1970, la méthode évoquée plus haut saucissonne les inégalités pour aboutir aux 4% inexpliqués. Et ça passe dans la société et dans l’entreprise.

Du droit aux faits…
Sommes-nous dans l’inconscient, les biais cognitifs ? Marie Donzel nous livre et explique une série d’exemples du « langage des biais ». Ajoutons-y les stéréotypes. Elles ne seraient pas capables de négocier comme les hommes, elles acceptent plus facilement leur situation, voire leur état… L’autrice appelle à la mobilisation : « La seule bonne raison de chercher à expliquer les inégalités, c’est de se donner les moyens d’agir efficacement contre leur fabrication et leur perpétuation. »
L’utilisation de la semaine de quatre jours démontre la manipulation patronale. On leur donne un jour pour s’occuper des enfants, on ne peut donc pas les payer à temps plein. Et on met la pression pour que le travail à réaliser sur cinq, le soit sur quatre. Un insidieux accroissement de la productivité qui fait songer, en plus subtil, aux chaînes de montage des usines automobiles des années 70-80 dont les contremaîtres augmentaient la vitesse sans le dire. Moins présentes sur le lieu de travail, elles sont perçues comme moins investies et moins exigeantes.

Une forme de mépris social ?
L’ancienneté des femmes dans l’entreprise ne permet pas d’accéder à l‘égalité salariale. Elles élèvent les enfants, elles subissent la mobilité géographique du conjoint, elles connaissent le plafond de verre aussi bien dans l’entreprise que la fonction publique. Et là, les explications sont étonnantes de mauvaise foi. Elles n’acceptent pas les contraintes du poste, elles ne se sentent pas capables de prendre des responsabilités, elles n’ont pas choisi le bon secteur économique. Pourquoi travailler dans l’enseignement, le social, la magistrature ? Tout le monde sait que cela paie mal. Et une question choc : pourquoi un ingénieur serait payé comme une infirmière ? Lui aurait plus de compétences, de responsabilités, d’horaires de travail et pas l’infirmière !! Comment ne pas y voir une forme de mépris social pour les « petits » ?
La qualification des femmes est aussi mise en cause. Or elles sont plus diplômées que les hommes. Leur résistance physique ne permettrait pas de leur confier les mêmes postes et donc les mêmes salaires et pourtant nous avons tous des exemples quotidiens prouvant le contraire. En fait, la mixité incite à l’égalité dans la performance. Le grand mot est lâché : Performance, le triomphe du libéralisme. Vous lirez ces pages et mesurerez combien les méthodes de travail introduites par des cabinets conseils tels McKinsey et Sandberg maintiennent les valeurs virilistes, socle de la société capitaliste. Avec cette phrase « ce serait mieux si c’était un homme ! », vous avez compris qu’il n’y a pas de progrès de l’égalité. Et Marie Donzel de conclure : « Il est grand temps de renoncer au privilège masculin ».

• Marie Donzel
Les inégalités justifiées
Ed. Rue de l’Echiquier, 2024

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages sur Radio libertaire

Réagir à cet article

Écrire un commentaire ...

Poster le commentaire

Annuler

DES IDEES ET DES LUTTES: DES INEGALITES JUSTIFIEES

Numéro en cours

Fouiller autrement

Glané sur le web