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par Francis PIAN • le 4 mai 2024

DES IDEES ET DES LUTTES: ABEL PAZ

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Salud companero !

Oui ! Salut compagnon Abel Paz ! Merci pour ces mémoires en trois tomes, deux aux éditions de la rue des cascades et un autre à La Divergence. Une vie consacrée à l’Espagne libertaire. Un enfant issu d’une famille pauvre qui devient un des historiens reconnus de cette période. Il a eu raison Diego Camacho Escamez, alias Abel Paz, de rassembler ses souvenirs pour nous faire partager ces évènements portés par cet idéal qui, comme il l’écrit, ne reviendront jamais. Plutôt que de présenter de façon académique cette période, Abel Paz choisit de nous faire rentrer dans sa vie, de l’accompagner dans son parcours.

Première période : 1921-1936 au titre évocateur Scorpions et figues de barbarie. C’est l’enfance et la découverte de l’Espagne libertaire. Il naît le 12 août 1921 à Almeria en Andalousie. Nous sommes dans la vie quotidienne d’une famille. Dure, cette vie ! Le père aux champs, dans les vignes, toujours les routes en quête de travail à la journée, fabriquant des tonneaux. La mère plus contestatrice est fière et émue lorsqu’elle découvre que son fils sait lire. Là, au fil des pages, la vie du peuple, les repas, les mœurs, l’architecture, les fêtes locales, des rêves d’enfant. « Je me couchais sur le dos pour fixer les étoiles. Je m’endormis souvent dans cette position. Je ne sais pour quelle raison la nuit avait pour moi un pouvoir magique. Je la préférais à la journée. » Et les anarchistes menaient campagne pour défendre le peuple, malgré la répression. C’est le moment où les parents envoient leur fils à Barcelone dans la famille. Les pages consacrées à la vie dans la capitale catalane sont passionnantes car elles montrent la présence de la CNT, de la FAI, des Jeunesses libertaires, la solidarité, une forme de contresociété, une communauté anarchiste est en place avec par exemple les athénées, les écoles fondées sur la pédagogie de Ferrer. Mais aussi le théâtre, les fanfares, les festivals. Abel Paz vit dans le quartier Le Clot. Il prend conscience de la répression, des arrestations, du saccage de locaux syndicaux. Avec des mots, des réactions d’enfant, d’adolescent, il nous livre des informations d’adultes. Les rivalités politiques. En 1936, l’anarchisme est partout à Barcelone. Vous vivez la fête mais aussi l’inquiétude, la menace du coup d’Etat. Vous en vivrez les heures, l’attente et puis dans l’après-midi du 17 juillet 1936, « le camion de journaux est arrivé et les paquets se sont mis à tourner de main en main. Et c’est là qu’a retenti ce cri qui nous a tous collé la chair de poule : C’est parti ! ça a commencé ! » Le soulèvement militaire au Maroc.

Le tome 2 des mémoires d’Abel Paz a fait l’objet d’une publication aux éditions La Digitale en 2001. Ce livre porte sur le vécu des journées de Barcelone avec en sous-titre Un adolescent au cœur de la révolution espagnole. Toujours la même approche, le témoignage, la vie quotidienne, la réflexion sur le sens de la lutte. Il s’insère avec justesse et précision entre l’enfance et le tome 3 Au pied du mur (Mémoires 1942-1954). On pourrait trouver un lien avec la trilogie de Vallès, L’Enfant, Le Bachelier, L’Insurgé.

Dans ce tome 3, Abel Paz décide de rentrer en Espagne. Après un parcours complexe pour passer la frontière, il discerne la peur dans les regards. Qui va parler ? Qui est un traître ? Oui, l’Espagne est une prison et pour qui a quitté sa terre en lutte contre la dictature, retrouver son peuple ainsi tenu, c’est insupportable. Abel Paz revient pour se battre, reconstituer des forces révolutionnaires. Mais l’Espagne est une prison. Le témoignage vibrant de terreur d’un militant : « L’Espagne tout entière est une prison, ou, si vous préférez, un cimetière de tombes ouvertes qui attendent les morts. Vous en voulez une ? Non, non ! Il faut laisser passer l’orage, ne pas aller se fourrer dans la gueule du loup… Tu ne peux te fier à personne. Un militant connu qui marche seul dans la rue est suspect par le seul fait d’être libre. Les gens ont peur. »
Au fil des rues, les réminiscences du militant, du combattant et les tentatives d’organisation échouent. Abel Paz est arrêté, passé à tabac. La Phalange tient tout y compris les prisons, même les aspects les plus intimes. Bien sûr comme dans les camps de concentration, il y a une organisation anarchiste pour placer des amis. Les pages consacrées à la psychologie des détenus sont très intéressantes. Alors on essaie de se cultiver, on lit clandestinement, des cours sont organisés et rappellent les athénées.
Les débats entre militants abordent la question de la CNT, de son rôle pendant la guerre et les perspectives de libération mais celle de la scission est en germe. La prison est toujours là avec le parloir, la fausse justice, les pages sont poignantes. Les illusions liées à la fin de la Seconde guerre mondiale s’effilochent. Franco n’est pas près de tomber et les pénitenciers regorgent de militants emprisonnés depuis longtemps et pour longtemps.
Et puis un jour, Abel Paz est libéré, retourne en France. Il assiste au congrès de l’AIT de 1953. Il devient peu à peu un historien incontournable du mouvement libertaire espagnol dont il connut les évolutions de l’intérieur. Il existe sous forme de manuscrit un tome 4 qui attend son éditeur.

Abel Paz
• Scorpions et figues de barbarie
Ed. rue des cascades, 2020
• Au pied du mur
Mémoires 1942-1954
Ed. rue des cascades, 2023
• Barcelone 1936
Un adolescent au cœur de la révolution espagnole
Ed. La Digitale, 2001

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
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