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par Pierre Sommermeyer • le 23 janvier 2023
Dieu, l’antisémitisme et l’islamophobie
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article extrait du Monde libertaire n° 1844 de novembre 2022
Un Juif athée est-il antisémite ? Voilà la drôle de question que je me pose depuis un certain temps. Renversons la proposition, un Juif peut-il être athée ? De quelque côté que l’on se tourne, on se trouve confronté à cette réflexion. Le peuple juif, quelle que soit son histoire, son origine ou son absence d’origine pour certains, sans dieu, existerait-il ?
Il y a 32 ans, dans la nuit du 8 au 9 mai 1990, un groupe de néo-nazis s’introduisait dans le cimetière juif de Carpentras et profanait une trentaine de sépultures. Un corps fut exhumé et exposé, nu, dans un simulacre d’empalement. Quelques jours plus tard, le 15 mai, le philosophe Jean-François Lyotard publiait une tribune dans le journal Libération, sur la persistance de l’antisémitisme en Europe, un demi-siècle après la Shoah.
Ce qui nous intéresse ici n’est pas son argumentation pour attaquer l’antisémitisme mais, à cet effet, l’utilisation de la Bible pour l’expliquer. Dans le conflit entre l’apôtre Paul et le judaïsme religieux, Lyotard voit, avec raison, le « début de la modernité ». Ce qui a marqué le début du christianisme a continué selon lui en façonnant « l’histoire sociale, politique, religieuse, spéculative de l’Europe chrétienne ».
L’antijudaïsme puis l’antisémitisme se sont appuyés sur ces origines pour produire la Shoah et les soubresauts suivants. Lyotard rappelle avec raison que « Ce n’est pas un Autre qui nous donne la loi » c’est selon lui « la communauté civique qui la fait, qui oblige, interdit, permet ». Exit Dieu.
Alors que faire ? Peut-on réduire le judaïsme à un ensemble de gens qui suivent les préceptes d’une, selon nous, inexistence ? Le grand nombre de Juifs athées au cours de l’histoire rend cela impossible mais, en même temps, ouvre la question, comment peut-on l’être et en même temps refuser cette spécificité ? Pour complexifier la chose il faut reprendre ce que dit David Nirenberg dans son livre Antijudaïsme (Labor et Fides). Il pense que c’est dans « l’Alexandrie hellénistique [...] que se structure un discours égyptien visant les Juifs, repris ensuite par les auteurs latins. Les Juifs sont désignés comme alliés ou agents du pouvoir ». Il oublie de dire que le judaïsme émergeant alors implique une transformation radicale du rapport à la spiritualité.
Alors existait un polythéisme de bon aloi, la multiplicité des dieux en faisait un vivre ensemble possible. Le monothéisme juif récupéré par le christianisme naissant devient l’outil indispensable de l’établissement du pouvoir du moment. Pour que cette récupération soit, il fallait exacerber le conflit entre ces deux religions, exacerbation jusqu’à l’hystérie en ce qui concerne l’ecclésiologie catholique dépassée en cela par Luther. Folie de théologies concurrentes qui s’incarnèrent, à un moment avec le nazisme, dans une négation de cette théologie ainsi que de ceux qui en étaient à l’origine.
Comment faire aujourd’hui pour tout à la fois nier l’existence de ce Dieu auquel se réfèrent nombre de Juifs et l’État d’Israël et ne pas être accusé d’antisémitisme ? En Israël certains se posent la question. Selon le sociologue Ouri Weber, figure de la gauche israélienne, « tout un courant est en train de se développer dans lequel des athées enseignent un judaïsme laïque où Dieu n’a sa place que comme personnage historique et non comme source d’autorité ». Une ancienne ministre de la Justice, israélienne, avance même que la langue juive utilisée subit des modifications comme dans n’importe quel pays totalitaire : « les colonies sont maintenant des communautés, les avant-postes illégaux sont des communautés de jeunes familles, et ceux qui les critiquent, sont opposés à la nation dans son ensemble. […] C’est ainsi qu’on impose un récit, et cela conduira certainement à notre disparition en tant qu’État juif démocratique. [note] ».
Arrivé là, on a changé de paradigme. La question de Dieu a laissé la place à celle du pouvoir.
Qu’on ne s’y trompe pas, il en est de même en ce qui concerne l’islamophobie. Les musulmans qui, en France, subissent vexations, mise au ban, sont souvent des croyants qui pensent que leur Dieu leur ordonne de faire ci ou ça. Pour les anarchistes qui prônent le ni dieu ni maître, leur solidarité trouve là ses limites.
Dans les deux cas notre solidarité n’a de sens qu’en tant que protestation contre l’injustice que subissent des individus du fait de leur croyance ou de leur origine. En aucune façon il n’y a assentiment à cette croyance.
Pierre Sommermeyer
Individuel
Il y a 32 ans, dans la nuit du 8 au 9 mai 1990, un groupe de néo-nazis s’introduisait dans le cimetière juif de Carpentras et profanait une trentaine de sépultures. Un corps fut exhumé et exposé, nu, dans un simulacre d’empalement. Quelques jours plus tard, le 15 mai, le philosophe Jean-François Lyotard publiait une tribune dans le journal Libération, sur la persistance de l’antisémitisme en Europe, un demi-siècle après la Shoah.
Ce qui nous intéresse ici n’est pas son argumentation pour attaquer l’antisémitisme mais, à cet effet, l’utilisation de la Bible pour l’expliquer. Dans le conflit entre l’apôtre Paul et le judaïsme religieux, Lyotard voit, avec raison, le « début de la modernité ». Ce qui a marqué le début du christianisme a continué selon lui en façonnant « l’histoire sociale, politique, religieuse, spéculative de l’Europe chrétienne ».
L’antijudaïsme puis l’antisémitisme se sont appuyés sur ces origines pour produire la Shoah et les soubresauts suivants. Lyotard rappelle avec raison que « Ce n’est pas un Autre qui nous donne la loi » c’est selon lui « la communauté civique qui la fait, qui oblige, interdit, permet ». Exit Dieu.
Alors que faire ? Peut-on réduire le judaïsme à un ensemble de gens qui suivent les préceptes d’une, selon nous, inexistence ? Le grand nombre de Juifs athées au cours de l’histoire rend cela impossible mais, en même temps, ouvre la question, comment peut-on l’être et en même temps refuser cette spécificité ? Pour complexifier la chose il faut reprendre ce que dit David Nirenberg dans son livre Antijudaïsme (Labor et Fides). Il pense que c’est dans « l’Alexandrie hellénistique [...] que se structure un discours égyptien visant les Juifs, repris ensuite par les auteurs latins. Les Juifs sont désignés comme alliés ou agents du pouvoir ». Il oublie de dire que le judaïsme émergeant alors implique une transformation radicale du rapport à la spiritualité.
Alors existait un polythéisme de bon aloi, la multiplicité des dieux en faisait un vivre ensemble possible. Le monothéisme juif récupéré par le christianisme naissant devient l’outil indispensable de l’établissement du pouvoir du moment. Pour que cette récupération soit, il fallait exacerber le conflit entre ces deux religions, exacerbation jusqu’à l’hystérie en ce qui concerne l’ecclésiologie catholique dépassée en cela par Luther. Folie de théologies concurrentes qui s’incarnèrent, à un moment avec le nazisme, dans une négation de cette théologie ainsi que de ceux qui en étaient à l’origine.
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