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Histoire
par René Berthier • le 15 juillet 2019
Syndicalisme révolutionnaire et anarchisme (6e partie)
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ENTRETIEN DESTINE A L’INSTITUT D’ETUDES LIBERTAIRES DE RIO DE JANEIRO (EN COURS DE TRADUCTION)
IEL : À ton avis, comment placer les figures de Fernand Pelloutier et d’Émile Pouget dans le champ du syndicalisme révolutionnaire?
Mettre en perspective Fernand Pelloutier et Émile Pouget me paraît extrêmement intéressant parce qu’ils représentent l’un et l’autre deux approches absolument complémentaires du syndicalisme révolutionnaire, et il est significatif qu’ils soient l’un et l’autre des militants anarchistes. Pour mémoire, Bakounine envisageait l’organisation de la classe ouvrière sous la forme d’une organisation verticale représentée par les « sections de métier » (les syndicats) et d’une organisation horizontale représentée par les « sections centrales » (bourses du travail). C’est la conjonction de ces deux structures qui constitue selon lui l’organisation de classe des travailleurs. Or Pelloutier et Pouget sont représentatifs selon moi, de cette double structure : Pelloutier pour la structure horizontale et Pouget pour la structure verticale.
Bakounine insistait particulièrement sur la nécessité de ne jamais sous-estimer le rôle des sections centrales, des structures interprofessionnelles, car elles sont des instances éminemment politiques : c’est en leur sein que se fait le travail de réflexion indispensable à l’élaboration d’une stratégie. Fernand Pelloutier l’avait parfaitement compris. Il est celui qui a mis en relief l’importance de la structure géographique (horizontale) dans l’organisation de la classe ouvrière. Il fut tout d’abord un partisan de Jules Guesde, le dirigeant d’un courant socialiste qui préconisait la subordination du syndicat a parti socialiste. Il existait une Fédération nationale des syndicats, créée en 1886, d’inspiration guesdiste, ancêtre de la CGT. Les guesdistes voulaient faire de la FNS une courroie de transmission pour leur politique. Leur contrôle était tel qu’ils convoquaient les congrès de l’organisation syndicale en ouverture ou en clôture du congrès du parti. Ce fut l’attitude même des guesdistes qui empêcha la FNS de se développer, créant des conflits internes, sans parler de l’opposition des anti-guesdistes : allemanistes, anarchistes, blanquistes, positivistes (dont il existait un courant, notamment dans le Livre) et adhérents de sensibilité socialiste mais sans appartenance à un parti.
Le contrôle du courant guesdiste sur la FNS restait cependant précaire : en effet, à un moment où la grève générale avait le soutien de la plus grande partie de la classe ouvrière, les guesdistes y étaient catégoriquement opposés : pourtant, son principe fut adopté lors d’un congrès de la Fédération nationale des syndicats tenu en 1887, en opposition avec les positions des dirigeants guesdistes.
Le recours à la grève générale entrait en contradiction avec la conquête du pouvoir politique par le parti ou... plutôt par les cinq ou six partis socialistes qui briguaient les suffrages de la classe ouvrière. L’extrême division du mouvement socialiste fut l’un des facteurs expliquant la force du syndicat comme centre d’identification de la classe ouvrière. Dans Le Socialiste du 4-11 novembre 1908 (guesdiste), un militant dénombrait « près d’une quarantaine de tendances dans le Parti » [note] . Face à la multiplication des chapelles socialistes et au passage au gouvernement d’ex-socialistes comme Millerand et Briand, le réflexe syndical va l’emporter sur la politique. Le principe de l’indépendance syndicale l’emportera sur l’intransigeance doctrinale. On comprend dès lors que le discours syndicaliste révolutionnaire sur l’unité de la classe ouvrière ait pu être aussi bien entendu par les travailleurs. La fin des querelles entre chapelles socialistes et l’unification du parti en 1905 fournit une alternative légale et pacifique à la stratégie d’action directe du syndicalisme révolutionnaire. Le déclin du mouvement révolutionnaire en France suit très précisément la montée de la perspective parlementaire.
Au sein de la Fédération nationale des syndicats, les tensions entre les partisans de la grève générale et les guesdistes conduisirent les premiers à créer une Fédération des bourses du travail. Les bourses du travail, qui sont un héritage de la Révolution française, existaient déjà; elles avaient été légalisées en 1887 mais restaient isolées les unes des autres. C’est en 1892 qu’une dizaine d’entre elles décidèrent de se fédérer, vite rejointes par d’autres. Mais au sein de cette nouvelle organisation des conflits éclatèrent entre les différents courants qui y cohabitaient. Les anarchistes apparurent comme ceux qui étaient en mesure de modérer les conflits.
Fernand Pelloutier
Fernand Pelloutier fut nommé secrétaire adjoint de la Fédération des bourses en 1894, puis secrétaire l’année suivante et il se dévoua totalement au développement de l’organisation jusqu’à sa mort prématurée en 1901 [note] . Ces bourses étaient initialement des bureaux de placement où ouvriers et patrons négociaient le prix du travail. Les anarchistes en modifieront totalement l’esprit, les transformant en structures horizontales de solidarité, faisant fonction de caisses de grève, de caisses de chômage, de maladie, de décès, se consacrant à l’éducation et à la formation avec des bibliothèques et des cours du soir, dans l’esprit de la « propagande par le fait » telle que l’entendait initialement l’Association internationale des travailleurs.
Le soutien au principe de la grève générale était quasi-unanime dans le mouvement ouvrier français, au point qu’un congrès convoqué en 1893, qui regroupa les délégués des bourses du travail et des chambres syndicales, se prononça à l’unanimité pour la grève générale [note] . Les membres du congrès se donnèrent rendez-vous à Nantes l’année suivante, pour en discuter. C’est donc à Nantes [note] , en septembre 1894, que le basculement eut lieu, lors du 6e congrès de la Fédération nationale des syndicats et groupes corporatifs. Ce congrès est particulièrement important car il met un terme à l’idée de subordination du mouvement syndical à la politique électorale des partis socialistes. Les syndicalistes se débarrassent de la tutelle des guesdistes et manifestent leur autonomie.
À la majorité des deux tiers, le congrès se rallie à la thèse de Fernand Pelloutier :
« Considérant qu’en présence de la puissance militaire mise au service du capital, une insurrection à main armée n’offrirait aux classes dirigeantes qu’une occasion nouvelle d’étouffer les revendications sociales dans le sang des travailleurs ; considérant que le dernier moyen révolutionnaire est donc la grève générale, le VIe Congrès national des Syndicats ouvriers de France décide : il y a lieu de procéder immédiatement à l’organisation de la grève générale. »
Pour Pelloutier, le choix de la grève générale répond à une préoccupation très pratique : en 1886 une innovation technique obligea à reconsidérer la pertinence de l’érection de barricades insurrectionnelles et rendit, crut-on alors, le recours à la grève générale plus pertinent et moins sanglant : l’introduction du fusil Lebel dans l’armée française. Ce fusil, qui permettait de tirer huit balles sans recharger, remplaçait le modèle en usage, à un seul coup. Cela confirmait les analyses de Bakounine à la fin de sa vie : l’État a désormais acquis une puissance de répression dépassant largement les moyens dont disposait la classe ouvrière pour l’affronter. Pour Pelloutier, la grève générale, qui situait l’action du prolétariat dans les entreprises et non dans la rue, était le moyen de limiter les affrontements sanglants, sans les supprimer totalement.
En 1894 à Nantes, mille six cent soixante deux organisations ouvrières donnent mandat à la Fédération des Syndicats Ouvriers de Limoges et du Centre d’organiser le VIIe congrès corporatif qui va aboutir à la fondation de la CGT. Les guesdistes sont défaits et décident de se retirer du congrès, abandonnant de ce fait la direction de l’organisation à leurs adversaires anarchistes, allemanistes, blanquistes. « Il n’en est pas moins vrai, commente cependant Jean Maitron, que les anarchistes jouèrent un rôle de premier plan avec des militants comme F. Pelloutier, E. Pouget, G. Yvetot, P. Delesalle, etc. et que le mouvement syndical à cette époque est imprégné d’idéologie libertaire [note] . »
Les guesdistes de la FNS poursuivront tristement leur route quelques années, avant de s’évaporer en 1898, mais sans abandonner l’idée de prendre un jour le contrôle du mouvement syndical. Ils auront cependant leur revanche en 1896 : avec leurs camarades social-démocrates allemands, ils feront exclure des congrès socialistes les anarchistes qui participaient à ces rencontres depuis la fin de l’AIT.
La fondation de la CGT, au congrès tenu à Limoges du 23 au 28 septembre 1895, n’enthousiasma pas Pelloutier, qui y voyait une entité brouillonne et superfétatoire. De fait, ce fut au début une organisation peu structurée, peu efficace, balbutiante. Pendant quelques années, il devait mener contre elle et contre sa direction réformiste une guérilla pour le leadership dans le mouvement syndical. Il est d’ailleurs significatif que la fusion de la Fédération nationale des Bourses du travail au sein de la CGT n’ait pu s’opérer qu’en 1902, après sa mort.
Le congrès de Montpellier de la CGT, en 1902 est en fait la véritable fondation de la Confédération, car sont alors fusionnées la structure verticale (syndicats d’industrie ou de métiers) et la structure horizontale, géographique (les bourses du travail). Répétons-le, cette double structure, qui définit précisément le syndicalisme révolutionnaire et plus tard l’anarcho-syndicalisme, correspond tout à fait au schéma développé par Bakounine [note] . C’est lors du congrès de Montpellier que fut prononcée pour la première fois l’expression « syndicalisme révolutionnaire » [note] .
« C’est à partir du travail effectué par Pelloutier et d’autres anarchistes au sein de la Fédération des bourses du travail à la fin du XIXe siècle que la Confédération générale du travail a été créée et structurée en 1902, organe syndical qui, comme nous l’avons déjà souligné, a servi d’inspiration au mouvement syndical au Brésil et ailleurs dans le monde [note] . »
Pelloutier joua un rôle déterminant dans le tournant grève-généraliste du mouvement syndical, puis dans le tournant syndicaliste du mouvement anarchiste. Dès le lendemain de sa disparition, il fut considéré comme un des « pères fondateurs » du syndicalisme français.
Émile Pouget
Né en 1860, Émile Pouget s’investit très tôt dans le mouvement ouvrier. Dès 1879, il participe à la création du Syndicat des employés du textile. À partir du 24 février 1889, il édite un journal hebdomadaire pamphlétaire, Le père Peinard, où il s’attache à éveiller les consciences ouvrières. Il prône l’action directe et la grève générale comme instruments de lutte préalables à la révolution. Au milieu des années 1890, alors que les anarchistes restent divisés sur la question des attentats, Pelloutier comme Pouget s’y opposèrent [note] et militèrent pour que les anarchistes entrent dans les syndicats. Pouget joua un rôle de plus en plus important au sein de la jeune Confédération générale du travail où il défendait la tendance révolutionnaire du syndicalisme contre les réformistes. Il y fit notamment adopter en 1897 le principe du sabotage [note] comme moyen d’action sur le patronat, et les revendications sur la journée de huit heures et le repos hebdomadaire (congrès de Bourges de 1904). Il prit aussi en charge, à partir de 1900, le premier organe de presse de la CGT, La Voix du Peuple.
C’est à partir du congrès de Bourges qu’il cessa de se revendiquer publiquement de l’anarchisme, sans pour autant le répudier explicitement. Il continua pendant des années de s’entourer d’anarchistes, mais en tant que responsable syndical il fit prévaloir l’unité ouvrière sur ses orientations idéologiques. Il développa l’idée que le syndicat est le « parti du travail » avec sa propre doctrine. Le syndicalisme est la « quintessence des diverses doctrines sociales, après élimination de tout ce qu’elles peuvent avoir d’étroit et de trop systématique » [note] .
Pouget joua comme secrétaire adjoint de la CGT un rôle exceptionnel aux côtés de Victor Griffuelhes, secrétaire d’origine blanquiste. Les deux hommes constituèrent de 1901 à 1908 un tandem d’une extraordinaire complémentarité : « En 1902, Griffuelhes est nommé secrétaire général de la CGT, Émile Pouget est son adjoint à la section des fédérations. Grâce à la diversité de leurs dons, ces deux militants vont former une équipe parfaite [note] . » Pouget assuma son rôle de dirigeant ouvrier, de stratège, d’organisateur, d’éminence grise auprès de son secrétaire Griffuelhes [note] .
Émile Pouget avait écrit en 1901 dans La grève générale révolutionnaire : « La grève générale ne se limite pas à une cessation de travail, mais doit être immédiatement suivie de la prise de possession et de la réorganisation de la production et de la circulation des produits [note] . » Ainsi, l’apport anarchiste sur la question de la grève générale a été essentiel dans le syndicalisme révolutionnaire : analyse du rôle de l’État, refus du parlementarisme et des politiciens, antimilitarisme, antipatriotisme, action directe. Il n’est pas possible de dissocier anarchistes et syndicalistes révolutionnaires sur cette question [note] qui fut posée avec insistance par des militants qui, après la fin de l’AIT, ne se résignaient pas à être « orphelins d’Internationale » et qui s’obstinaient à participer aux congrès socialistes internationaux organisés par la social-démocratie allemande. Ces militants étaient-ils anarchistes ? syndicalistes ? Ils étaient anarchistes, mais en même temps incontestablement syndicalistes révolutionnaires. L’historien brésilien Thiago Lemos Silva, dans sa préface à Anarquistas no sindicato, um debate entre Neno e Joao Crispim, écrit de même que « la tentative de créer une séparation entre l’anarchisme et le syndicalisme révolutionnaire, en réduisant l’ampleur de la contribution de ses militants au mouvement ouvrier, devient donc discutable [note] . »
Émile Pouget participa à Amiens à la rédaction de la fameuse charte qui porte le nom de la ville, et qui n’était à l’origine qu’une résolution de congrès. Cette « charte » résulte d’un compromis entre syndicalistes révolutionnaires et une partie des socialistes réformistes contre une autre fraction socialiste se réclamant de Jules Guesde. Les guesdistes, maintenant minoritaires dans le parti qui s’était unifié l’année précédente, préconisaient la subordination du syndicat au parti. La fraction majoritaire du courant socialiste avait compris que la neutralité syndicale, entendue au sens restrictif, leur convenait tout à fait, dès lors qu’elle imposait à la CGT de ne pas prendre de position politique. La rigidité mentale des guesdistes les empêchait de comprendre que le principe de « neutralité » syndicale leur rendait service. L’enjeu n’était pas seulement d’empêcher les partis politiques de pénétrer dans le syndicat; il était aussi, et peut-être plus, d’empêcher le syndicat d’empiéter sur les attributions des partis politiques. Derrière l’apparente victoire sur les guesdistes, c’était une régression par rapport au syndicalisme révolutionnaire initial.
Si les syndicalistes révolutionnaires, et parmi eux les anarchistes, ont accepté ce compromis, c’est parce que le guesdisme apparaissait comme un danger plus grand, mais la lecture attentive des minutes des congrès socialistes après Amiens montre que l’objectif des réformistes modérés était le même que celui des guesdistes, leur tactique étant simplement beaucoup plus intelligente. Au moment du congrès d’Amiens, le parti socialiste nouvellement unifié apparaît donc comme un nouveau centre d’identification de la classe ouvrière : la CGT n’est plus toute seule.
Le congrès d’Amiens entérine en fait la division social-démocrate du travail entre lutte économique et lutte politique. D’une certaine façon, la charte d’Amiens est une victoire indirecte du guesdisme. La CGT se trouve alors fractionnée en trois tendances : une tendance guesdiste encore forte; une tendance réformiste en ascension; une tendance syndicaliste révolutionnaire.
Ce congrès par ailleurs marque le début d’une évolution qui va profondément transformer la CGT – évolution qui explique sans doute le retrait de Pouget de l’activité syndicale en 1909. Des grèves très dures avaient affaibli la direction confédérale. La terrible grève de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges en 1908-1909, pendant laquelle plusieurs ouvriers furent tués par la police, avait abouti à l’arrestation de la quasi-totalité du bureau confédéral de la CGT, dont Émile Pouget. Les réformistes en avaient profité pour occuper les postes laissés vides, que les syndicalistes révolutionnaires réussirent à récupérer une fois libérés., non sans pertes. En 1909 Pouget tente de lancer un grand quotidien syndicaliste révolutionnaire, La Révolution, qui cessera rapidement faute de moyens. Significativement, 1909 est également la date de création de La Vie ouvrière par Monatte, qui devint le porte-parole d’un syndicalisme révolutionnaire qu’on pourrait qualifier de « révisionniste », ou de « moderniste », animé par Pierre Monatte. Ce dernier était allé au congrès anarchiste international d’Amsterdam à la place de Pouget, qui s’était désisté. Pouget se retire alors du mouvement syndicaliste et meurt discrètement en 1931.
L’activité de Pelloutier et celle de Pouget étaient parfaitement complémentaires, chacun dans son domaine d’activité, sans jamais perdre de vue la perspective générale du mouvement ouvrier et du mouvement anarchiste.
Pouget, réfugié à Londres, profita de l’amnistie de 1895 pour rentrer en France. Il publia, de mai 1895 à octobre 1896, l’hebdomadaire La Sociale. C’est une période d’active collaboration avec Fernand Pelloutier et Bernard Lazare : les trois hommes tentent de mettre en œuvre un rapprochement européen des anarchistes et des socialistes anti-parlementaires afin de combattre l’influence croissante de la social-démocratie. Syndicalisme, anti-parlementarisme, grève générale devaient être les trois piliers de ce rapprochement.
Au printemps 1896 ils essayèrent de lancer un quotidien, La Clameur, auquel ils souhaitaient associer Jean Allemane [note] . Le projet avorta, le congrès de Tours de la CGT (septembre 1896) ayant refusé de leur apporter son soutien : rappelons qu’à sa fondation la CGT restait dominée par les réformistes. Toutefois en octobre 1896 Pelloutier et Pouget tentaient toujours de récolter des fonds pour faire aboutir leur projet (cf. Le Père Peinard, 25 octobre 1896).
En juillet 1896, Pelloutier et Pouget, encore, avec Hamon, Lazare et Malatesta, organisèrent une opération antiparlementaire au congrès socialiste international de Londres. Pelloutier fut le délégué de la Fédération des Bourses, participant aux conférences de Saint Martin’s Hall qui rassemblèrent, en marge du congrès socialiste, les représentants européens de l’anarchisme et du socialisme antiparlementaire. Bien que ce congrès se fût achevé par l’exclusion définitive des anarchistes des congrès socialistes internationaux et, Jean Maitron estime qu’il fut un succès pour Pelloutier. « Les guesdistes et les parlementaires socialistes, écrit Maitron, furent mis en minorité dans la délégation française, dominée par une coalition d’allemanistes, d’anarchistes et de syndicalistes réformistes. » Léon de Seilhac, cité par Maitron, vit dans le congrès de Londres – c’est-à-dire la séparation définitive des anarchistes et des socialistes – « le point culminant de la carrière de Pelloutier », un « coup d’habileté et de force qui libéra à jamais les ouvriers des politiciens », un « guet-apens » où « les guesdistes se virent surpris et écrasés par les cohortes romaines, sous le commandement de Pelloutier, Pouget, etc. Ce fut un coup de génie » [note] ... Je pense que Maitron se laisse emporter par sa verve lyrique.
Pelloutier appelait les anarchistes à s’engager davantage dans le mouvement syndical. « Les syndicats [prétendent] semer dans la société capitaliste le germe de groupes libres de producteurs par qui semble devoir se réaliser notre conception communiste et anarchiste. Devons-nous donc, en nous abstenant de coopérer à leur tâche, courir le risque qu’un jour les difficultés ne les découragent et qu’ils ne se rejettent dans les bras de la politique [note] ? »
Pouget n’avait dit rien d’autre, en octobre 1894, dans le périodique The Torch auquel il collabora pendant son exil à Londres : « Nous savons que la Révolution sera accomplie par les travailleurs en personne et, par conséquent, nous croyons en l’entrée des anarchistes dans les associations de travailleurs [note] . » Le même mois il écrivait dans le Père Peinard un article (« À roublard, roublard et demi »), qui marqua le tournant de l’anarchisme vers le syndicalisme : « On a eu le sacré tort de trop se restreindre aux groupes d’affinités. Les groupes d’affinités n’ont pas de racines dans la masse populaire. » (Ibid.)
Si on devait désigner le principal point commun qui unissait Fernand Pelloutier et Émile Pouget, je dirais qu’ils jouèrent un rôle déterminant dans l’engagement des anarchistes dans le mouvement syndical et qu’ils furent l’un et l’autre des tacticiens et des organisateurs hors pair.
Mettre en perspective Fernand Pelloutier et Émile Pouget me paraît extrêmement intéressant parce qu’ils représentent l’un et l’autre deux approches absolument complémentaires du syndicalisme révolutionnaire, et il est significatif qu’ils soient l’un et l’autre des militants anarchistes. Pour mémoire, Bakounine envisageait l’organisation de la classe ouvrière sous la forme d’une organisation verticale représentée par les « sections de métier » (les syndicats) et d’une organisation horizontale représentée par les « sections centrales » (bourses du travail). C’est la conjonction de ces deux structures qui constitue selon lui l’organisation de classe des travailleurs. Or Pelloutier et Pouget sont représentatifs selon moi, de cette double structure : Pelloutier pour la structure horizontale et Pouget pour la structure verticale.
Bakounine insistait particulièrement sur la nécessité de ne jamais sous-estimer le rôle des sections centrales, des structures interprofessionnelles, car elles sont des instances éminemment politiques : c’est en leur sein que se fait le travail de réflexion indispensable à l’élaboration d’une stratégie. Fernand Pelloutier l’avait parfaitement compris. Il est celui qui a mis en relief l’importance de la structure géographique (horizontale) dans l’organisation de la classe ouvrière. Il fut tout d’abord un partisan de Jules Guesde, le dirigeant d’un courant socialiste qui préconisait la subordination du syndicat a parti socialiste. Il existait une Fédération nationale des syndicats, créée en 1886, d’inspiration guesdiste, ancêtre de la CGT. Les guesdistes voulaient faire de la FNS une courroie de transmission pour leur politique. Leur contrôle était tel qu’ils convoquaient les congrès de l’organisation syndicale en ouverture ou en clôture du congrès du parti. Ce fut l’attitude même des guesdistes qui empêcha la FNS de se développer, créant des conflits internes, sans parler de l’opposition des anti-guesdistes : allemanistes, anarchistes, blanquistes, positivistes (dont il existait un courant, notamment dans le Livre) et adhérents de sensibilité socialiste mais sans appartenance à un parti.
Le contrôle du courant guesdiste sur la FNS restait cependant précaire : en effet, à un moment où la grève générale avait le soutien de la plus grande partie de la classe ouvrière, les guesdistes y étaient catégoriquement opposés : pourtant, son principe fut adopté lors d’un congrès de la Fédération nationale des syndicats tenu en 1887, en opposition avec les positions des dirigeants guesdistes.
Le recours à la grève générale entrait en contradiction avec la conquête du pouvoir politique par le parti ou... plutôt par les cinq ou six partis socialistes qui briguaient les suffrages de la classe ouvrière. L’extrême division du mouvement socialiste fut l’un des facteurs expliquant la force du syndicat comme centre d’identification de la classe ouvrière. Dans Le Socialiste du 4-11 novembre 1908 (guesdiste), un militant dénombrait « près d’une quarantaine de tendances dans le Parti » [note] . Face à la multiplication des chapelles socialistes et au passage au gouvernement d’ex-socialistes comme Millerand et Briand, le réflexe syndical va l’emporter sur la politique. Le principe de l’indépendance syndicale l’emportera sur l’intransigeance doctrinale. On comprend dès lors que le discours syndicaliste révolutionnaire sur l’unité de la classe ouvrière ait pu être aussi bien entendu par les travailleurs. La fin des querelles entre chapelles socialistes et l’unification du parti en 1905 fournit une alternative légale et pacifique à la stratégie d’action directe du syndicalisme révolutionnaire. Le déclin du mouvement révolutionnaire en France suit très précisément la montée de la perspective parlementaire.
Au sein de la Fédération nationale des syndicats, les tensions entre les partisans de la grève générale et les guesdistes conduisirent les premiers à créer une Fédération des bourses du travail. Les bourses du travail, qui sont un héritage de la Révolution française, existaient déjà; elles avaient été légalisées en 1887 mais restaient isolées les unes des autres. C’est en 1892 qu’une dizaine d’entre elles décidèrent de se fédérer, vite rejointes par d’autres. Mais au sein de cette nouvelle organisation des conflits éclatèrent entre les différents courants qui y cohabitaient. Les anarchistes apparurent comme ceux qui étaient en mesure de modérer les conflits.
Fernand Pelloutier
Fernand Pelloutier fut nommé secrétaire adjoint de la Fédération des bourses en 1894, puis secrétaire l’année suivante et il se dévoua totalement au développement de l’organisation jusqu’à sa mort prématurée en 1901 [note] . Ces bourses étaient initialement des bureaux de placement où ouvriers et patrons négociaient le prix du travail. Les anarchistes en modifieront totalement l’esprit, les transformant en structures horizontales de solidarité, faisant fonction de caisses de grève, de caisses de chômage, de maladie, de décès, se consacrant à l’éducation et à la formation avec des bibliothèques et des cours du soir, dans l’esprit de la « propagande par le fait » telle que l’entendait initialement l’Association internationale des travailleurs.
Le soutien au principe de la grève générale était quasi-unanime dans le mouvement ouvrier français, au point qu’un congrès convoqué en 1893, qui regroupa les délégués des bourses du travail et des chambres syndicales, se prononça à l’unanimité pour la grève générale [note] . Les membres du congrès se donnèrent rendez-vous à Nantes l’année suivante, pour en discuter. C’est donc à Nantes [note] , en septembre 1894, que le basculement eut lieu, lors du 6e congrès de la Fédération nationale des syndicats et groupes corporatifs. Ce congrès est particulièrement important car il met un terme à l’idée de subordination du mouvement syndical à la politique électorale des partis socialistes. Les syndicalistes se débarrassent de la tutelle des guesdistes et manifestent leur autonomie.
À la majorité des deux tiers, le congrès se rallie à la thèse de Fernand Pelloutier :
« Considérant qu’en présence de la puissance militaire mise au service du capital, une insurrection à main armée n’offrirait aux classes dirigeantes qu’une occasion nouvelle d’étouffer les revendications sociales dans le sang des travailleurs ; considérant que le dernier moyen révolutionnaire est donc la grève générale, le VIe Congrès national des Syndicats ouvriers de France décide : il y a lieu de procéder immédiatement à l’organisation de la grève générale. »
Pour Pelloutier, le choix de la grève générale répond à une préoccupation très pratique : en 1886 une innovation technique obligea à reconsidérer la pertinence de l’érection de barricades insurrectionnelles et rendit, crut-on alors, le recours à la grève générale plus pertinent et moins sanglant : l’introduction du fusil Lebel dans l’armée française. Ce fusil, qui permettait de tirer huit balles sans recharger, remplaçait le modèle en usage, à un seul coup. Cela confirmait les analyses de Bakounine à la fin de sa vie : l’État a désormais acquis une puissance de répression dépassant largement les moyens dont disposait la classe ouvrière pour l’affronter. Pour Pelloutier, la grève générale, qui situait l’action du prolétariat dans les entreprises et non dans la rue, était le moyen de limiter les affrontements sanglants, sans les supprimer totalement.
En 1894 à Nantes, mille six cent soixante deux organisations ouvrières donnent mandat à la Fédération des Syndicats Ouvriers de Limoges et du Centre d’organiser le VIIe congrès corporatif qui va aboutir à la fondation de la CGT. Les guesdistes sont défaits et décident de se retirer du congrès, abandonnant de ce fait la direction de l’organisation à leurs adversaires anarchistes, allemanistes, blanquistes. « Il n’en est pas moins vrai, commente cependant Jean Maitron, que les anarchistes jouèrent un rôle de premier plan avec des militants comme F. Pelloutier, E. Pouget, G. Yvetot, P. Delesalle, etc. et que le mouvement syndical à cette époque est imprégné d’idéologie libertaire [note] . »
Les guesdistes de la FNS poursuivront tristement leur route quelques années, avant de s’évaporer en 1898, mais sans abandonner l’idée de prendre un jour le contrôle du mouvement syndical. Ils auront cependant leur revanche en 1896 : avec leurs camarades social-démocrates allemands, ils feront exclure des congrès socialistes les anarchistes qui participaient à ces rencontres depuis la fin de l’AIT.
La fondation de la CGT, au congrès tenu à Limoges du 23 au 28 septembre 1895, n’enthousiasma pas Pelloutier, qui y voyait une entité brouillonne et superfétatoire. De fait, ce fut au début une organisation peu structurée, peu efficace, balbutiante. Pendant quelques années, il devait mener contre elle et contre sa direction réformiste une guérilla pour le leadership dans le mouvement syndical. Il est d’ailleurs significatif que la fusion de la Fédération nationale des Bourses du travail au sein de la CGT n’ait pu s’opérer qu’en 1902, après sa mort.
Le congrès de Montpellier de la CGT, en 1902 est en fait la véritable fondation de la Confédération, car sont alors fusionnées la structure verticale (syndicats d’industrie ou de métiers) et la structure horizontale, géographique (les bourses du travail). Répétons-le, cette double structure, qui définit précisément le syndicalisme révolutionnaire et plus tard l’anarcho-syndicalisme, correspond tout à fait au schéma développé par Bakounine [note] . C’est lors du congrès de Montpellier que fut prononcée pour la première fois l’expression « syndicalisme révolutionnaire » [note] .
« C’est à partir du travail effectué par Pelloutier et d’autres anarchistes au sein de la Fédération des bourses du travail à la fin du XIXe siècle que la Confédération générale du travail a été créée et structurée en 1902, organe syndical qui, comme nous l’avons déjà souligné, a servi d’inspiration au mouvement syndical au Brésil et ailleurs dans le monde [note] . »
Pelloutier joua un rôle déterminant dans le tournant grève-généraliste du mouvement syndical, puis dans le tournant syndicaliste du mouvement anarchiste. Dès le lendemain de sa disparition, il fut considéré comme un des « pères fondateurs » du syndicalisme français.
Émile Pouget
Né en 1860, Émile Pouget s’investit très tôt dans le mouvement ouvrier. Dès 1879, il participe à la création du Syndicat des employés du textile. À partir du 24 février 1889, il édite un journal hebdomadaire pamphlétaire, Le père Peinard, où il s’attache à éveiller les consciences ouvrières. Il prône l’action directe et la grève générale comme instruments de lutte préalables à la révolution. Au milieu des années 1890, alors que les anarchistes restent divisés sur la question des attentats, Pelloutier comme Pouget s’y opposèrent [note] et militèrent pour que les anarchistes entrent dans les syndicats. Pouget joua un rôle de plus en plus important au sein de la jeune Confédération générale du travail où il défendait la tendance révolutionnaire du syndicalisme contre les réformistes. Il y fit notamment adopter en 1897 le principe du sabotage [note] comme moyen d’action sur le patronat, et les revendications sur la journée de huit heures et le repos hebdomadaire (congrès de Bourges de 1904). Il prit aussi en charge, à partir de 1900, le premier organe de presse de la CGT, La Voix du Peuple.
C’est à partir du congrès de Bourges qu’il cessa de se revendiquer publiquement de l’anarchisme, sans pour autant le répudier explicitement. Il continua pendant des années de s’entourer d’anarchistes, mais en tant que responsable syndical il fit prévaloir l’unité ouvrière sur ses orientations idéologiques. Il développa l’idée que le syndicat est le « parti du travail » avec sa propre doctrine. Le syndicalisme est la « quintessence des diverses doctrines sociales, après élimination de tout ce qu’elles peuvent avoir d’étroit et de trop systématique » [note] .
Pouget joua comme secrétaire adjoint de la CGT un rôle exceptionnel aux côtés de Victor Griffuelhes, secrétaire d’origine blanquiste. Les deux hommes constituèrent de 1901 à 1908 un tandem d’une extraordinaire complémentarité : « En 1902, Griffuelhes est nommé secrétaire général de la CGT, Émile Pouget est son adjoint à la section des fédérations. Grâce à la diversité de leurs dons, ces deux militants vont former une équipe parfaite [note] . » Pouget assuma son rôle de dirigeant ouvrier, de stratège, d’organisateur, d’éminence grise auprès de son secrétaire Griffuelhes [note] .
Émile Pouget avait écrit en 1901 dans La grève générale révolutionnaire : « La grève générale ne se limite pas à une cessation de travail, mais doit être immédiatement suivie de la prise de possession et de la réorganisation de la production et de la circulation des produits [note] . » Ainsi, l’apport anarchiste sur la question de la grève générale a été essentiel dans le syndicalisme révolutionnaire : analyse du rôle de l’État, refus du parlementarisme et des politiciens, antimilitarisme, antipatriotisme, action directe. Il n’est pas possible de dissocier anarchistes et syndicalistes révolutionnaires sur cette question [note] qui fut posée avec insistance par des militants qui, après la fin de l’AIT, ne se résignaient pas à être « orphelins d’Internationale » et qui s’obstinaient à participer aux congrès socialistes internationaux organisés par la social-démocratie allemande. Ces militants étaient-ils anarchistes ? syndicalistes ? Ils étaient anarchistes, mais en même temps incontestablement syndicalistes révolutionnaires. L’historien brésilien Thiago Lemos Silva, dans sa préface à Anarquistas no sindicato, um debate entre Neno e Joao Crispim, écrit de même que « la tentative de créer une séparation entre l’anarchisme et le syndicalisme révolutionnaire, en réduisant l’ampleur de la contribution de ses militants au mouvement ouvrier, devient donc discutable [note] . »
Émile Pouget participa à Amiens à la rédaction de la fameuse charte qui porte le nom de la ville, et qui n’était à l’origine qu’une résolution de congrès. Cette « charte » résulte d’un compromis entre syndicalistes révolutionnaires et une partie des socialistes réformistes contre une autre fraction socialiste se réclamant de Jules Guesde. Les guesdistes, maintenant minoritaires dans le parti qui s’était unifié l’année précédente, préconisaient la subordination du syndicat au parti. La fraction majoritaire du courant socialiste avait compris que la neutralité syndicale, entendue au sens restrictif, leur convenait tout à fait, dès lors qu’elle imposait à la CGT de ne pas prendre de position politique. La rigidité mentale des guesdistes les empêchait de comprendre que le principe de « neutralité » syndicale leur rendait service. L’enjeu n’était pas seulement d’empêcher les partis politiques de pénétrer dans le syndicat; il était aussi, et peut-être plus, d’empêcher le syndicat d’empiéter sur les attributions des partis politiques. Derrière l’apparente victoire sur les guesdistes, c’était une régression par rapport au syndicalisme révolutionnaire initial.
Si les syndicalistes révolutionnaires, et parmi eux les anarchistes, ont accepté ce compromis, c’est parce que le guesdisme apparaissait comme un danger plus grand, mais la lecture attentive des minutes des congrès socialistes après Amiens montre que l’objectif des réformistes modérés était le même que celui des guesdistes, leur tactique étant simplement beaucoup plus intelligente. Au moment du congrès d’Amiens, le parti socialiste nouvellement unifié apparaît donc comme un nouveau centre d’identification de la classe ouvrière : la CGT n’est plus toute seule.
Le congrès d’Amiens entérine en fait la division social-démocrate du travail entre lutte économique et lutte politique. D’une certaine façon, la charte d’Amiens est une victoire indirecte du guesdisme. La CGT se trouve alors fractionnée en trois tendances : une tendance guesdiste encore forte; une tendance réformiste en ascension; une tendance syndicaliste révolutionnaire.
Ce congrès par ailleurs marque le début d’une évolution qui va profondément transformer la CGT – évolution qui explique sans doute le retrait de Pouget de l’activité syndicale en 1909. Des grèves très dures avaient affaibli la direction confédérale. La terrible grève de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges en 1908-1909, pendant laquelle plusieurs ouvriers furent tués par la police, avait abouti à l’arrestation de la quasi-totalité du bureau confédéral de la CGT, dont Émile Pouget. Les réformistes en avaient profité pour occuper les postes laissés vides, que les syndicalistes révolutionnaires réussirent à récupérer une fois libérés., non sans pertes. En 1909 Pouget tente de lancer un grand quotidien syndicaliste révolutionnaire, La Révolution, qui cessera rapidement faute de moyens. Significativement, 1909 est également la date de création de La Vie ouvrière par Monatte, qui devint le porte-parole d’un syndicalisme révolutionnaire qu’on pourrait qualifier de « révisionniste », ou de « moderniste », animé par Pierre Monatte. Ce dernier était allé au congrès anarchiste international d’Amsterdam à la place de Pouget, qui s’était désisté. Pouget se retire alors du mouvement syndicaliste et meurt discrètement en 1931.
L’activité de Pelloutier et celle de Pouget étaient parfaitement complémentaires, chacun dans son domaine d’activité, sans jamais perdre de vue la perspective générale du mouvement ouvrier et du mouvement anarchiste.
Pouget, réfugié à Londres, profita de l’amnistie de 1895 pour rentrer en France. Il publia, de mai 1895 à octobre 1896, l’hebdomadaire La Sociale. C’est une période d’active collaboration avec Fernand Pelloutier et Bernard Lazare : les trois hommes tentent de mettre en œuvre un rapprochement européen des anarchistes et des socialistes anti-parlementaires afin de combattre l’influence croissante de la social-démocratie. Syndicalisme, anti-parlementarisme, grève générale devaient être les trois piliers de ce rapprochement.
Au printemps 1896 ils essayèrent de lancer un quotidien, La Clameur, auquel ils souhaitaient associer Jean Allemane [note] . Le projet avorta, le congrès de Tours de la CGT (septembre 1896) ayant refusé de leur apporter son soutien : rappelons qu’à sa fondation la CGT restait dominée par les réformistes. Toutefois en octobre 1896 Pelloutier et Pouget tentaient toujours de récolter des fonds pour faire aboutir leur projet (cf. Le Père Peinard, 25 octobre 1896).
En juillet 1896, Pelloutier et Pouget, encore, avec Hamon, Lazare et Malatesta, organisèrent une opération antiparlementaire au congrès socialiste international de Londres. Pelloutier fut le délégué de la Fédération des Bourses, participant aux conférences de Saint Martin’s Hall qui rassemblèrent, en marge du congrès socialiste, les représentants européens de l’anarchisme et du socialisme antiparlementaire. Bien que ce congrès se fût achevé par l’exclusion définitive des anarchistes des congrès socialistes internationaux et, Jean Maitron estime qu’il fut un succès pour Pelloutier. « Les guesdistes et les parlementaires socialistes, écrit Maitron, furent mis en minorité dans la délégation française, dominée par une coalition d’allemanistes, d’anarchistes et de syndicalistes réformistes. » Léon de Seilhac, cité par Maitron, vit dans le congrès de Londres – c’est-à-dire la séparation définitive des anarchistes et des socialistes – « le point culminant de la carrière de Pelloutier », un « coup d’habileté et de force qui libéra à jamais les ouvriers des politiciens », un « guet-apens » où « les guesdistes se virent surpris et écrasés par les cohortes romaines, sous le commandement de Pelloutier, Pouget, etc. Ce fut un coup de génie » [note] ... Je pense que Maitron se laisse emporter par sa verve lyrique.
Pelloutier appelait les anarchistes à s’engager davantage dans le mouvement syndical. « Les syndicats [prétendent] semer dans la société capitaliste le germe de groupes libres de producteurs par qui semble devoir se réaliser notre conception communiste et anarchiste. Devons-nous donc, en nous abstenant de coopérer à leur tâche, courir le risque qu’un jour les difficultés ne les découragent et qu’ils ne se rejettent dans les bras de la politique [note] ? »
Pouget n’avait dit rien d’autre, en octobre 1894, dans le périodique The Torch auquel il collabora pendant son exil à Londres : « Nous savons que la Révolution sera accomplie par les travailleurs en personne et, par conséquent, nous croyons en l’entrée des anarchistes dans les associations de travailleurs [note] . » Le même mois il écrivait dans le Père Peinard un article (« À roublard, roublard et demi »), qui marqua le tournant de l’anarchisme vers le syndicalisme : « On a eu le sacré tort de trop se restreindre aux groupes d’affinités. Les groupes d’affinités n’ont pas de racines dans la masse populaire. » (Ibid.)
Si on devait désigner le principal point commun qui unissait Fernand Pelloutier et Émile Pouget, je dirais qu’ils jouèrent un rôle déterminant dans l’engagement des anarchistes dans le mouvement syndical et qu’ils furent l’un et l’autre des tacticiens et des organisateurs hors pair.
PAR : René Berthier
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