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Littérature
par Patrick Schindler • le 5 juillet 2022
Le rat noir lit à l’ombre en juillet
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« Il se mit à glousser comme une poule hermaphrodite qui aurait échangé trois seiches contre un couffin de dattes »
Boris Vian, Vercoquin et le plancton
Nikos Engonopoulos : Le retour des oiseaux
Petite sélection de vers et proses contenus dans ce volume :
Les voix « … Les lits de porphyre de l’amour / abysses / les eaux noires du port / lampions / elles appellent / lamentation / les ancres rouillées du rêve… » Compagne de mélancolie : « …. Elle était entièrement nue entre les jets d’eau annuels, de son ventre s’écoulaient les dahlias d’une nuit d’incendie et le mur était éclaboussé de sang… »
Eléonora II « … Nos corps disparaîtrons s’effaceront / de nous ne restera jusqu’à la fin des temps / que ce « je t’aime » que je t’ai murmuré en nos heures les plus secrètes… »
Adoration chromatique « … Sperme pur et brûlant / patient instable / fixe / philosophique/ testimonial / quelles vanités musicales / vide de la soif / pyramide automatique / tempête d’éros… »
Les hauts-plateaux dorés « … A l’embouchure du fleuve / les requins nous regardent d’un mauvais œil / et s’éloignent / les caresses ne conviennent guère aux requins… »
Poésie 1948 « … Cette époque / de déchirement fratricide / n’est pas une époque / faite pour la poésie… »
Orphée xénophobe « … Les larmes souillent la vie / vous avez tant pleuré / femmes de Grèce / que maintenant / vos yeux se sont taris… »
Arkésilas « … Quand je suis nu / errant dans les rues / la pluie m’habille : d’un incroyable éclat / et d’une infinie variété de vêtements… »
Le Rat noir s’est glissé discrètement dans l’exposition gratuite d’un musée athénien, consacrée à Nikos Engonopoulos pour y faire quelques clichés :
Christos Chryssopoulos : Monde clos
Christos Chryssopoulos est né à Athènes en 1968. Boursier à la faculté de littérature américaine de Thessalonique, il devient conférencier de l’Université de l’Iowa puis, chercheur à l’université de Chicago. Il séjourne ensuite en Suisse. Aujourd’hui, il publie régulièrement des articles dans des revues littéraires grecques. Ses œuvres reflètent le désenchantement de toute une génération grecque.
Nous allons entrer dans l’intimité de quelques-uns.
Un homme que l’on appelle « Celui qui a marché ». Chaque jour, il raconte à qui veut bien l’entendre, toujours la même histoire. Son séjour dans un camp. Celle d’une femme qui a partagé clandestinement un morceau de sa vie. C’est ce que découvrent deux voisins curieux de la cité qui vont alors essayer de reconstituer leur passé.
Le personnage suivant : Olga, adolescente de dix-sept ans « une fille gentille et tranquille qui gardait les yeux baissés et parlait en chuchotant, répondait aux voisins de façon laconique et s’éloignait rapidement comme un petit animal blessé ». Que lui est-il arrivé un jour de folie pour qu’elle mette le feu à son vieux divan ?
Pourquoi Ektoras, jeune homme tout aussi énigmatique a-t-il été ravi de voir lui aussi, le vieux divan partir en fumée ?
Une vielle femme ensuite qui, à moitié folle « chasse les morts afin qu’ils cessent d’importuner les vivants ». Une autre femme qui revit sans cesse son passé, jusqu’à la névrose.
Un vieil homme qui recueille les chats du quartier rendus aveugles par la cruauté des enfants.
Ektoras qui a gardé l’âme d’un enfant et refuse de quitter l’adolescence.
Deux petits vieux si unis qu’ils ne forment plus qu’un seul corps.
Quels secrets cachent Léon P, « l’homme à la jambe de bois» et le bel Emilios, plus connu dans la Cité sous le nom de « Dépôt » ? Et Philon Corrès, le facteur déchu ? Les descendants d’Isomachos, issus de trois femmes différentes ? Christophoros et Eleni les deux junkies ? Autant de morceaux de vies croisées dans la Cité des réfugiés « Un lotissement qui ressemble à la coquille labyrinthique d’un escargot ».
Un beau voyage.
Eugenia Fakinou : La septième dépouille
Chateaubriand et la révolution de 1830
Fernando Pessoa : Le banquier anarchiste
Comment, en effet, un banquier accompli peut-il prétendre (entre deux bouffées de cigare et deux cognacs) avoir été, mais surtout continuer à être, « un parfait anarchiste » ?
Derrière ce qui pourrait passer pour une pochade se cache en fait, une profonde critique de la société bourgeoise. Si les premiers arguments que le banquier jette à la face de son interlocuteur semblent tenir la route, au fil des pages, ils deviennent de plus en plus douteux. Sophismes, distorsions et paradoxes s’enchaînent. On se sent vite paumés dans ce déluge de contre-vérités. Pour n’en donner qu’une petite idée : après avoir essayé de nous convaincre qu’une révolution ne peut être « ni totale ni mondiale », le banquier prétend qu’elle devient de fait « une nouvelle tyrannie puis qu’elle ne s’accompagne d’aucune compensation personnelle » !
Laissons ici la suite en suspens, pour laisser au lecteur le plaisir de découvrir une sacrée dose de mauvaise foi. Pour finir, tout comme nous, l’interlocuteur du banquier devient de plus dubitatif et ce, jusqu’à l’apothéose finale… La seconde partie de ce désopilant petit volume nous offre les « variantes et ajouts non intégrés par l’auteur au texte original de 1922 » et retrouvés ultérieurement dans ses males, avec d’autres trésors oubliés.
Ilios Chailly : Le surréalisme et la fin de « l’ère Artaud »
Sa rupture avec Jacques Rivière de la NRF et son entrée en 1924, dans le petit cercle du mouvement d’André Breton, « plus rationnel, éthique et freudien que le mouvement Dada ». Puis, comment rapidement, Antonin Artaud en devient le « nouveau dictateur », selon le terme de Louis Aragon. Jusqu’à ce que Breton reprenne la barre du navire surréaliste et le dirige sur la route du marxisme, au grand dépit d’Artaud et de ses adeptes (qui finiront par en être exclus « comme des malpropres », entre 1925 et 1926) !
C’est le début de la cabale menée par Breton et ses affidés contre Artaud, auquel ils reprochent ses compromissions avec le monde du cinéma. Et de façon plus virulente, son article incendiaire « Barbares » et sa parodie du Partage de Minuit de Paul Claudel avec le Théâtre Alfred Jarry, dont Artaud est le co-fondateur. La querelle prend alors des allures incendiaires. Ilios Chailly raconte en détail son déroulement tragi-comique jusqu’à la rupture définitive. Artaud décide alors de prendre sa propre direction et se tourne vers ce qu’il nomme « la révolution de l’esprit », laissant aux autres leurs « aspirations communistes » qui vont les conduire à abandonner la vision libertaire pour les thèses marxistes [note].
Pour sa part, ce n’est qu’à son arrivée au Mexique qu’Artaud clarifiera ses positions. Son principal leitmotiv étant que « le marxisme constitue un avatar de la culture européenne chrétienne » … Ilios nous raconte ensuite le retournement de Breton et son copinage avec Léon Trotsky, Diego Rivera et Frida Khalo. Puis, l’internement d’Artaud à son retour d’un voyage en Irlande, dans l’asile de Ville Evrard (Seine & Oise) qui va mettre un terme à leurs dissensions.
Le plus surprenant étant que Breton finira par considérer Artaud après sa mort, comme « le seul vrai surréaliste » ! Dans le dernier chapitre, Ilios Chailly nous raconte la transformation progressive de « l’image Artaud » en véritable icône « au mépris même de sa propre démarche ».
Merci à Ilios Chailly pour cet essai énergique et rondement mené autour des deux tendances incompatibles qui déchirèrent les surréalistes …
Samuel Zaoui : Humaine machine
Pourquoi son concepteur a-t-il pris soin de distinguer son « corps » de son cerveau ? Pour quelles raisons lui a-t-il également implanté une base de données sur l’histoire des genres, après que le monde a radicalement changé à la suite de la « révolution conservatrice mondiale » ? Révolution qui a entrainé un renversement des rapports entre les sexes et remis en cause les luttes féministes, tandis que les femmes n’ont eu d’autre choix que de « s’hyper féminiser » pour survivre et coller aux nouveaux critères imposés par les hommes. Ces derniers ayant pris définitivement le pouvoir du Japon aux nouveaux « Etats-réunis ». Voilà les questions auxquelles Soudka va tenter de répondre à partir de sa mémoire, tandis qu’elle arrive au bout de son parcours. C’est également ce que parallèlement, tentent de faire les enquêteurs qui gardent en détention Malenki Krum, son concepteur, depuis que Soudka a disparu. Nous allons donc remonter le fil de sa courte existence. Faire la connaissance de son amie Rose (son alter ego humaine), ainsi que toute une panoplie de femmes exploitées, battues, violées. Dans le corps desquelles, les « mâles dominants » ont implanté des puces les condamnant à accepter leur condition ! Ainsi du contexte. Reste à préciser que la quête de Soudka sera soutenue par les pensées de Virginia Woolf mais surtout de celles de Kant. « Non pas parce qu’il faut prendre Kant comme une bible, mais plutôt ses textes comme autant de « maximes prêtes à l’emploi » et utilisables comme celles contenues dans les emballages de chewing-gum » ! Le résultat nous donne un livre d’une rare intelligence, basé sur les dernières statistiques comportementales entre les sexes. Ces statistiques que nombre d’homme refusent de prendre au sérieux, voire de simplement regarder. Si le Rat noir était magicien, il forcerait ces derniers à lire Humaine machine, un peu dans le même esprit que la thérapie employée dans le film de Stanley Kubrik, Orange mécanique, mais en plus efficace !
Malo Morvan : Classer nos manières de parler
Dans la première partie de son essai, l’auteur nous propose plusieurs pistes qui prennent en compte, aussi bien le contexte historique (migrations, conquêtes militaires, relations commerciales), que le contexte régional (villes, campagnes isolées ou zones frontalières) et enfin, le contexte social (professions, statut, etc.). Malo Morvan s’interroge ensuite sur la différence entre les « langues vivantes », les « langues anciennes » et les « langues mortes ». Pour nous amener à réfléchir sur les tentatives « d’unification de la langue française » [note] , à partir des plus anciens textes connus en Français : Les Serments de Strasbourg et ce, jusqu’à la IIIème République (en passant par les tentatives révolutionnaires) et sur leurs conséquences sur les relations sociales, commerciales et plus globalement sur la communication.
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Quelles sont les institutions qui décident du « bon parlé français » et selon quels critères ? Dans la seconde partie de l’essai, l’auteur interroge sur les limites de la sociolinguistique en déclinant les différentes pratiques linguistiques et leurs particularités. Selon des critères géographiques (régionaux, dialectes etc.), politiques (pouvoirs étatiques et religieux) et enfin, sociologiques (argot, patois, sociolectes, technolectes, etc.). Sont alors confrontées les analyses de Pierre Bourdieu, celles dites « variationistes » de William Labor, celles dites « disglossistes » de Charles Fergusson et celles dites « générationnelles » de Joshua Fishman. Autre chapitre passionnant que celui qui évoque l’arabe classique opposé à l’arabe local, l’allemand officiel vs/allemand local, le Français vs/Créole, ou encore grec populaire (démotique) vs/grec « purifié » (katharévousa). On apprend au passage que la Corse se situe à part puisque sa langue accepte tous les dialectes (Eh oui Mr. Sylvain) ! Mais comment essayer de s’affranchir de ces cadres trop fixes, ou « pas assez étanches » ? C’est ce sur quoi nous propose de réfléchir Malo Morvan, dans le chapitre « échanges, circulations et influences réciproques ». Et ce à partir d’exemples concrets empruntés de l’Afrique aux Caraïbes, en passant par le bassin méditerranéen et la Chine.
La troisième partie du livre a pour chimère d’essayer de « se démarquer de toute tentative de classification des langues pour échapper à toute normalisation – qu’elle soit éducative, sociologique, politique ou identitaire ». En effet, selon l’auteur « un même individu peut appartenir à plusieurs groupes et peut ainsi échapper à toute distinction entre « le nous et les autres » ! On trouve tout au long de cet ouvrage des encarts qui abordent toutes sortes de spécificités : des accents régionaux à l’histoire de l’Espéranto, en passant par la problématique des langues régionales. En guise de conclusion, l’auteur s’interroge sur la pertinence, non seulement de la sociolinguistique mais également, sur celle même de son essai : chapeau l’artiste !
F. La Ceda & P. Zanini : Une morale pour la vie de tous les jours
Réflexions qui portent non seulement sur nos propres habitudes, mais surtout sur celles des autres. « Lorsque l’on voyage, on s’aperçoit rapidement que les rythmes, les rituels et les et les règles, les routines et la place accordée à la rêverie diffèrent d’un pays à l’autre ».
La notion de morale ne pourrait-elle pas alors être remplacée par les notions de « code du comportement », de « normes communes », de convivialité ou encore du « plaisir d’être ensemble », se demandent les auteurs ? Ceci dans le but d’éviter que « des anthropologues ressemblant à des missionnaires » et ne répondent à la place des peuples « indigènes » et éviter ainsi « d’essentialiser une culture en l’immobilisant ».
Entre autres exemples cités : la notion de violence aux Philippines ; les tabous encore imposés aux Vézos de Madagascar, etc. Que se passe-t-il lorsque deux systèmes de pensée antagonistes se rencontrent ? Quand les règles collectives s’effondrent ?
Pour illustrer leurs propos, Franco La Ceda et Piero Zanini nous proposent des histoires individuelles ou collectives marquantes prises aussi bien au sein de la communauté marocaine norvégienne, qu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée que chez les paysans chinois ayant eu à affronter les changements radicaux après a fin du « règne de Mao Tse Toung ». Le tout émaillé de citations tirées des œuvres de Walter Benjamin, Frantz Kafka, Marcel Proust, Joseph Brodsky, Socrate, Alcibiade, etc. Pour conclure, les auteurs s’interrogent autant sur les dangers et les qualités du téléphone portable, que sur la notion de « sens du local » dans un monde globalisé « où les Droits de l’Homme sont devenus la version laïcisée universelle ayant remplacé les religions pour nous imposer leur morale » ! Enfin, avons-nous loupé une marche avec la parenthèse de la pandémie Covid ? Celle-ci en effet n’aurait-elle pas pu nous aider à reprendre conscience du « vivre ensemble et des bienfaits de la nature » ?
Vaste question !
Patrick Schindler, individuel FA Athènes
PAR : Patrick Schindler
individuel FA Athènes
individuel FA Athènes
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1 |
le 16 juillet 2022 09:53:11 par max |
Ah bien de quoi être au top à l’ombre avant la fin de l’été