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par Patrick Schindler le 5 juillet 2022

Le rat noir lit à l’ombre en juillet

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Pour ce mois de juillet, le Rat noir vous invite à attendre Le retour des oiseaux avec Nikos Engonopoulos. Rejoindre Le monde clos de Christos Chyssopoulos. Aller chercher La septième dépouille en compagnie d’Eugenia Fakinou. Découvrir la vision de Chateaubriand sur la révolution de 1830. Ecouter Fernando Pessao nous expliquer « comment un banquier peut être anarchiste » ! Ilios Chailly nous raconter La fin de l’ère Artaud dans le mouvement surréaliste. Partir avec l’étonnante Humaine machine de Samuel Zaoui. Terminer ce voyage estival par deux ouvrages de réflexion. Le premier, sur le langage Classer nos manières de parler de Malo Morvan. Le second, Une morale pour la vie de tous les jours de Franco La Ceda & Piero Zanini.

« Il se mit à glousser comme une poule hermaphrodite qui aurait échangé trois seiches contre un couffin de dattes »
Boris Vian, Vercoquin et le plancton

Nikos Engonopoulos : Le retour des oiseaux



Nikos Engonopoulos, peintre et poète grec né en 1907 à Athènes, fut un des premiers surréalistes grecs. Sa famille s’installe à Constantinople en 1914, à cause de la guerre. Il fait ensuite ses études à Paris où il publie ses premiers poèmes. Revenu en Grèce, il entre aux Beaux-Arts d’Athènes, exerce parallèlement le métier de traducteur dans une banque et fait plusieurs métiers dans l’administration. En 1941, après avoir combattu les troupes italiennes sur le front albanais, il fonde le groupe Armos avec les peintres Nikos Kahtzikyriakos-Ghikas, Yannis Tsarouchis, etc. Dans ses tableaux comme dans ses poèmes, il suit une voie indépendante par rapport aux surréalistes français et grecs, utilisant la tradition hellénique et les grands héros grecs.



Dans la préface du Retour des oiseaux (Traduction Constantin Kaiteris, éd. L’Harmattan) Nanos Valaoritis retrace les grandes lignes de la vie et de l’œuvre de Nikos Engonopoulos. Ce dernier ayant dédicacé quelques-uns de ses poèmes à ses nombreux amis peintres grecs. A Pablo Picasso, au poète espagnol Fréderico Garcia Lorca « … Chacun sait bien / que depuis longtemps / l’usage est d’assassiner les poètes… ». Nikos Engonopoulos aimait se référer à Francis Picabia, Paul Cézanne, etc. Paul Eluard, le seul poète surréaliste français qu’il ait fréquenté durant son séjour aux Beaux-Arts de Paris, a dit de lui « Nikos Engonopoulos taille à vif dans la réalité ».

Petite sélection de vers et proses contenus dans ce volume :
Les voix « … Les lits de porphyre de l’amour / abysses / les eaux noires du port / lampions / elles appellent / lamentation / les ancres rouillées du rêve… » Compagne de mélancolie : « …. Elle était entièrement nue entre les jets d’eau annuels, de son ventre s’écoulaient les dahlias d’une nuit d’incendie et le mur était éclaboussé de sang… »
Eléonora II « … Nos corps disparaîtrons s’effaceront / de nous ne restera jusqu’à la fin des temps / que ce « je t’aime » que je t’ai murmuré en nos heures les plus secrètes… »
Adoration chromatique « … Sperme pur et brûlant / patient instable / fixe / philosophique/ testimonial / quelles vanités musicales / vide de la soif / pyramide automatique / tempête d’éros… »
Les hauts-plateaux dorés « … A l’embouchure du fleuve / les requins nous regardent d’un mauvais œil / et s’éloignent / les caresses ne conviennent guère aux requins… »
Poésie 1948 « … Cette époque / de déchirement fratricide / n’est pas une époque / faite pour la poésie… »
Orphée xénophobe « … Les larmes souillent la vie / vous avez tant pleuré / femmes de Grèce / que maintenant / vos yeux se sont taris… »
Arkésilas « … Quand je suis nu / errant dans les rues / la pluie m’habille : d’un incroyable éclat / et d’une infinie variété de vêtements… »




Le Rat noir s’est glissé discrètement dans l’exposition gratuite d’un musée athénien, consacrée à Nikos Engonopoulos pour y faire quelques clichés :









Christos Chryssopoulos : Monde clos



Christos Chryssopoulos est né à Athènes en 1968. Boursier à la faculté de littérature américaine de Thessalonique, il devient conférencier de l’Université de l’Iowa puis, chercheur à l’université de Chicago. Il séjourne ensuite en Suisse. Aujourd’hui, il publie régulièrement des articles dans des revues littéraires grecques. Ses œuvres reflètent le désenchantement de toute une génération grecque.




Monde clos est le troisième volet de la trilogie athénienne de Christos Chryssopoulos. Les deux premières, La destruction du Parthénon et Une lampe entre les dents ont déjà été présentées dans de précédentes chroniques. L’action de Monde clos (éd. Actes sud, traduction d’Anne-Laure Brisac) se situe dans une banlieue éloignée d’Athènes. La Cité des réfugiés, un « monde clos » qui après avoir abrité les réfugiés grecs de l’Est à la suite du massacre de Smyrne par les Ottomans, les a remplacés par d’autres, venus de partout ailleurs. « Ici, les gens parlent peu et détournent le regard, ils ne s’éloignent pas de la cité où ils se sentent en sécurité ». Le soir, les habitants se retrouvent sur la place de la cité, « sans arbres, avec sa fontaine minable ». La plupart d’entre eux sont muets.
Nous allons entrer dans l’intimité de quelques-uns.
Un homme que l’on appelle « Celui qui a marché ». Chaque jour, il raconte à qui veut bien l’entendre, toujours la même histoire. Son séjour dans un camp. Celle d’une femme qui a partagé clandestinement un morceau de sa vie. C’est ce que découvrent deux voisins curieux de la cité qui vont alors essayer de reconstituer leur passé.
Le personnage suivant : Olga, adolescente de dix-sept ans « une fille gentille et tranquille qui gardait les yeux baissés et parlait en chuchotant, répondait aux voisins de façon laconique et s’éloignait rapidement comme un petit animal blessé ». Que lui est-il arrivé un jour de folie pour qu’elle mette le feu à son vieux divan ?
Pourquoi Ektoras, jeune homme tout aussi énigmatique a-t-il été ravi de voir lui aussi, le vieux divan partir en fumée ?
Une vielle femme ensuite qui, à moitié folle « chasse les morts afin qu’ils cessent d’importuner les vivants ». Une autre femme qui revit sans cesse son passé, jusqu’à la névrose.
Un vieil homme qui recueille les chats du quartier rendus aveugles par la cruauté des enfants.
Ektoras qui a gardé l’âme d’un enfant et refuse de quitter l’adolescence.
Deux petits vieux si unis qu’ils ne forment plus qu’un seul corps.
Quels secrets cachent Léon P, « l’homme à la jambe de bois» et le bel Emilios, plus connu dans la Cité sous le nom de « Dépôt » ? Et Philon Corrès, le facteur déchu ? Les descendants d’Isomachos, issus de trois femmes différentes ? Christophoros et Eleni les deux junkies ? Autant de morceaux de vies croisées dans la Cité des réfugiés « Un lotissement qui ressemble à la coquille labyrinthique d’un escargot ».
Un beau voyage.

Eugenia Fakinou : La septième dépouille



Eugenia Fakinou est née à Alexandroúpolis en 1945. Après des études d’arts graphiques à Athènes, elle fonde un théâtre de marionnettes avant de se consacrer à la littérature. La parution de La Septième dépouille est considéré comme un événement dans la littérature grecque contemporaine.



Monologues entrecroisés des personnages qui peuplent La Septième dépouille d’Eugenia Fakinou (éd. Cambourakis, trad. Marie-Claude Cayla). Un arbre qui parle : « J’aime les femmes. Les femmes et les fleurs sauvages. Leurs couleurs, le blanc, le jaune, le mauve couleurs qui dans l’ancien temps décoraient les fenêtres de nos maisons. Aujourd’hui, on ne met plus de couleurs aux fenêtres ». Un arbre « qui connait tous les secrets d’une famille ». La mère, aveugle, qui transporte avec elle son histoire de réfugiée de « la grande catastrophe » d’Asie Mineure et « sait parler aux arbres ». Hélène, une de ses filles « vieille fille sacrifiée » qui partage sa vie dans un petit village thessalien. Fotos, son frère jumeau, proche de la mort. Enfin, Roula, la petite fille, moderne et affranchie, qui vit loin d’eux, à Athènes. Un jour, celle-ci reçoit une lettre adressée à sa mère, morte depuis quatre ans ! Une lettre qui va changer le cours de sa vie en lui faisant découvrir cette famille dont elle ne connaissait rien. Tous comme nous ! Qui est donc cette « septième dépouille » ? Choc culturel et générationnel assuré avec la découverte de mœurs païennes encore bien vivantes dans les régions les plus reculées de Grèce !

Chateaubriand et la révolution de 1830



François-René, vicomte de Chateaubriand est né en 1768, à Saint-Malo. Issu de la noblesse bretonne, il s’inscrit dans la mouvance royaliste. Plusieurs fois nommé ambassadeur auprès de divers souverains, ministre des Affaires étrangères sous la Restauration, on le comptera dans le camp des ultraroyalistes sous le règne de Charles X. Mais, laissons de côté peu sympathique de sa personne. D’ailleurs, Chateaubriand n’affirmera-t-il pas dans ses mémoires, son « inclinaison pour la République ? Dimension plus sympathique du bonhomme : son goût de la poésie et des voyages. Ce n’est pas pour rien que Chateaubriand est considéré comme l’un des précurseurs du romantisme français. Après son Itinéraire de Paris à Jérusalem, commenté dans une rubrique précédente nous abordons, ici : Chateaubriand et la révolution de 1830.



Dans ce volume, les éditions La Fabrique nous présentent un Chateaubriand « observateur et commentateur historique ». Dans l’ouverture : Les yeux attachés sur la lune [note] , Thomas Bouchet nous présente tout d’abord, l’état d’esprit dans lequel se trouve Chateaubriand au matin du 26 juillet 1830, quand il se rend de Paris à Dieppe, pour retrouver Juliette Récamier et d’autres amis. Il y apprend que la tension est montée d’un cran dans la capitale entre Charles X et ses opposants, après la publication de quatre ordonnances dans Le Moniteur universel, qui visent notamment la liberté de la presse. Furieux, il file à Paris retrouver sa femme le 28, et ne quitte pas son domicile avant le 30. Cependant le 29, il adresse un courrier au château de St Cloud, qui reste sans réponse de la part du roi. Et pour cause : après moultes tractations, Charles X est contraint de s’exiler, tandis que les Thiers et consorts « manœuvrent pour jeter les bases d’une nouvelle monarchie ». Et c’est alors au jour le jour, que nous allons suivre les événements, tels que retranscrits par Chateaubriand en août et septembre 1830. Ils feront plus tard, l’objet du livre 32 de ses Mémoires d’Outre-tombe. Pour l’heure, nous voici plongés au cœur des « trois glorieuses » et des circonvolutions entre révolutionnaires, bonapartistes, partisans de l’ancien pouvoir et les inconditionnels d’une monarchie institutionnelle. Ces derniers proposant faute de mieux, Louis-Philippe (de la branche des Orléans) pour remplacer Charles X. Pour ce qui concerne les révolutionnaires, « véritables dindons de la farce, filoutés par les modérés », Chateaubriand ne manque pas d’ironiser sur ceux des quartiers populaires qu’il compare « à la légèreté du champagne », tandis qu’ils « promettent des bâtons de Maréchal au premier colonel passant au peuple » … Nous offrant au passage, une histoire des barricades parisiennes de Charles V à celles de 1830 « dans un Paris accoutumé à voir passer les événements et les rois ». Après cet intermède, il poursuit ses commentaires sur les protagonistes des journées de juin. Entre autres, sur Charles X qui, sentant le vent de la révolte approcher déclare « Je ne reculerai pas d’un pied ». Chateaubriand : « Quelques minutes après, il allait reculer d’un royaume » ! Il nous raconte encore les séances emberlificotées à la Chambre des députés, tandis que dans la capitale, les boutiques rouvrent. La véritable course à laquelle il se livre, se rendant d’une chambre à l’autre (de celle des députés à celle des Pairs), devant laquelle il prononce un discours historique. Le ton général employé par Chateaubriand est sarcastique et truffé d’ironie « J’ai vu des hommes qui, prenant au sérieux toutes les scènes de 1830, rougissaient à ce récit, parce qu’il déjouait un peu leur héroïque crédulité ». Avec une fausse modestie évidente, il ne peut s’empêcher de nous raconter comment la foule l’ayant reconnu dans la rue, le qualifia de Grand défenseur de la Presse « Certains voulant même me faire l’héritier du Bonaparte républicain » ! Sur le même ton mi-sérieux, mi-humoristique, il nous fait revivre l’atmosphère qui déboucha sur le choix de Louis-Philippe « cet hésitant ambitieux », pour succéder à Charles X. Sous le regard bienveillant de Lafayette qui se voulait « l’arbitre de la France et embrassa le nouveau prétendant au trône en lui mettant dans les mains le drapeau tricolore. » ! Heureuse idée que la réédition de ce livre 32 des mémoires d’un Chateaubriand qui, tout au long de ces pages jette un regard acéré sur les journées de 1830 « Point de bascule de son existence ». Quand bien même, le témoignage de Chateaubriand est beaucoup moins précis que celui de Louis Blanc, il n’en reste pas moins que la magie de son style, de son humour et de son ironie compense largement ce manque. Au point de donner l’envie de lire ou relire Les Mémoires d’Outre-tombe, notamment les chapitres évoquant les années d’enfance de Chateaubriand à Combourg (bonjour aux Troplain !) et à St Malo...

Fernando Pessoa : Le banquier anarchiste



Fernando Antonio Nogueira Pessoa est né en juin 1888, à Lisbonne. Il passe une partie de son enfance en Afrique du Sud. Théoricien de la littérature engagée « dans une époque troublée par la guerre et les dictatures », traité de « fou » par certains de ses amis, il passe un temps par une phase ésotérique puis « orphique », se démarquant par-là, des théories freudiennes. A la suite d’un projet de loi pour interdire les sociétés secrètes, il publie une défense de la franc-maçonnerie et des pamphlets contre Salazar. Il refuse d’assister à la cérémonie de remise de son prix présidée par le dictateur et décide en guise de protestation, de cesser de publier au Portugal. Hospitalisé en 1935, pour une cirrhose du foie, il meurt pauvre et méconnu du grand public, estimé du seul petit cercle de ses amis. Il a écrit l’ensemble de son œuvre sous plusieurs pseudonyme. Ses vers et proses ont donné naissance au « modernisme portugais ».



Dans sa préface, Françoise Laye traductrice du Banquier anarchiste (édité chez C. Bourgeois), considère ce petit livre de Pessoa paru en 1922, comme un « véritable brûlot explosif ».
Comment, en effet, un banquier accompli peut-il prétendre (entre deux bouffées de cigare et deux cognacs) avoir été, mais surtout continuer à être, « un parfait anarchiste » ?
Derrière ce qui pourrait passer pour une pochade se cache en fait, une profonde critique de la société bourgeoise. Si les premiers arguments que le banquier jette à la face de son interlocuteur semblent tenir la route, au fil des pages, ils deviennent de plus en plus douteux. Sophismes, distorsions et paradoxes s’enchaînent. On se sent vite paumés dans ce déluge de contre-vérités. Pour n’en donner qu’une petite idée : après avoir essayé de nous convaincre qu’une révolution ne peut être « ni totale ni mondiale », le banquier prétend qu’elle devient de fait « une nouvelle tyrannie puis qu’elle ne s’accompagne d’aucune compensation personnelle » !
Laissons ici la suite en suspens, pour laisser au lecteur le plaisir de découvrir une sacrée dose de mauvaise foi. Pour finir, tout comme nous, l’interlocuteur du banquier devient de plus dubitatif et ce, jusqu’à l’apothéose finale… La seconde partie de ce désopilant petit volume nous offre les « variantes et ajouts non intégrés par l’auteur au texte original de 1922 » et retrouvés ultérieurement dans ses males, avec d’autres trésors oubliés.

Ilios Chailly : Le surréalisme et la fin de « l’ère Artaud »



Dans la préface de Surréalisme et la fin de l’ère Artaud (éd. L’Harmattan), Patrick Schindler nous raconte les différentes étapes du travail qu’Ilios Chailly, également comédien, a mené depuis deux décennies, autour d’Antonin Artaud et de ses œuvres : une Thèse universitaire / Artaud ou l’anarchiste courroussé / Héliogabale ou l’anarchiste couronné / La canne de St Artaud, et divers articles.



Le présent volume Le Surréalisme et la fin de l’ère Artaud, raconte l’épopée du « règne Artaud » au sein du mouvement surréaliste, entre les années 1924/26. Avant de développer, Ilios Chailly pose LA question : « Pourquoi relire Artaud aujourd’hui ? » Il tente alors de nous expliquer en quoi la démarche intellectuelle de ce dernier a eu une telle importance au sein du mouvement. Artaud entendant par surréalisme rien de moins que, « l’action révolutionnaire ». Ilios nous raconte ensuite la jeunesse d’Artaud, ce « jeune homme timide, malade des nerfs, assez fermé et introverti qui, avant de rejoindre le mouvement surréaliste, en dehors des scènes de théâtre, ne s’exprimait pas facilement ».
Sa rupture avec Jacques Rivière de la NRF et son entrée en 1924, dans le petit cercle du mouvement d’André Breton, « plus rationnel, éthique et freudien que le mouvement Dada ». Puis, comment rapidement, Antonin Artaud en devient le « nouveau dictateur », selon le terme de Louis Aragon. Jusqu’à ce que Breton reprenne la barre du navire surréaliste et le dirige sur la route du marxisme, au grand dépit d’Artaud et de ses adeptes (qui finiront par en être exclus « comme des malpropres », entre 1925 et 1926) !
C’est le début de la cabale menée par Breton et ses affidés contre Artaud, auquel ils reprochent ses compromissions avec le monde du cinéma. Et de façon plus virulente, son article incendiaire « Barbares » et sa parodie du Partage de Minuit de Paul Claudel avec le Théâtre Alfred Jarry, dont Artaud est le co-fondateur. La querelle prend alors des allures incendiaires. Ilios Chailly raconte en détail son déroulement tragi-comique jusqu’à la rupture définitive. Artaud décide alors de prendre sa propre direction et se tourne vers ce qu’il nomme « la révolution de l’esprit », laissant aux autres leurs « aspirations communistes » qui vont les conduire à abandonner la vision libertaire pour les thèses marxistes [note].
Pour sa part, ce n’est qu’à son arrivée au Mexique qu’Artaud clarifiera ses positions. Son principal leitmotiv étant que « le marxisme constitue un avatar de la culture européenne chrétienne » … Ilios nous raconte ensuite le retournement de Breton et son copinage avec Léon Trotsky, Diego Rivera et Frida Khalo. Puis, l’internement d’Artaud à son retour d’un voyage en Irlande, dans l’asile de Ville Evrard (Seine & Oise) qui va mettre un terme à leurs dissensions.
Le plus surprenant étant que Breton finira par considérer Artaud après sa mort, comme « le seul vrai surréaliste » ! Dans le dernier chapitre, Ilios Chailly nous raconte la transformation progressive de « l’image Artaud » en véritable icône « au mépris même de sa propre démarche ».
Merci à Ilios Chailly pour cet essai énergique et rondement mené autour des deux tendances incompatibles qui déchirèrent les surréalistes …

Samuel Zaoui : Humaine machine



Professeur de sciences économiques et sociales à Saint-Denis, Samuel Zaoui revendique sa double appartenance séfarade et algérienne. Il s’intéresse tout particulièrement à la question du multiculturalisme. C’est sur ce thème qu’il écrit son premier roman Saint-Denis bout du monde, en 2008, tandis qu’Humaine machine (éd. L’Aube) traite d’une toute autre « matière » :



En effet, Humaine Machine met en scène, GDG 7.2.0, une « Geisha virtuelle », née en 2037. Baptisée en 2040, selon ses propres termes « comme on baptise un bateau » par son inventeur, Malenki Krum (qui se définit comme « dadaïste libertaire »), après qu’elle a subi un viol collectif ! C’est ainsi que nous faisons la connaissance de Soudka (nouveau nom qu’elle a choisi pour oublier son traumatisme natal), gisant mortellement blessée, dans une chambre de l’hôpital de la Salpêtrière. Avant qu’on ne la déconnecte, elle décide d’écrire ses mémoires virtuelles. Ses mémoires « de simple jouet sexuel ». « A quoi peut-on s’attendre en lisant les mémoires d’un godemichet sophistiqué ? [note] », s’interroge-t-elle ?
Pourquoi son concepteur a-t-il pris soin de distinguer son « corps » de son cerveau ? Pour quelles raisons lui a-t-il également implanté une base de données sur l’histoire des genres, après que le monde a radicalement changé à la suite de la « révolution conservatrice mondiale » ? Révolution qui a entrainé un renversement des rapports entre les sexes et remis en cause les luttes féministes, tandis que les femmes n’ont eu d’autre choix que de « s’hyper féminiser » pour survivre et coller aux nouveaux critères imposés par les hommes. Ces derniers ayant pris définitivement le pouvoir du Japon aux nouveaux « Etats-réunis ». Voilà les questions auxquelles Soudka va tenter de répondre à partir de sa mémoire, tandis qu’elle arrive au bout de son parcours. C’est également ce que parallèlement, tentent de faire les enquêteurs qui gardent en détention Malenki Krum, son concepteur, depuis que Soudka a disparu. Nous allons donc remonter le fil de sa courte existence. Faire la connaissance de son amie Rose (son alter ego humaine), ainsi que toute une panoplie de femmes exploitées, battues, violées. Dans le corps desquelles, les « mâles dominants » ont implanté des puces les condamnant à accepter leur condition ! Ainsi du contexte. Reste à préciser que la quête de Soudka sera soutenue par les pensées de Virginia Woolf mais surtout de celles de Kant. « Non pas parce qu’il faut prendre Kant comme une bible, mais plutôt ses textes comme autant de « maximes prêtes à l’emploi » et utilisables comme celles contenues dans les emballages de chewing-gum » ! Le résultat nous donne un livre d’une rare intelligence, basé sur les dernières statistiques comportementales entre les sexes. Ces statistiques que nombre d’homme refusent de prendre au sérieux, voire de simplement regarder. Si le Rat noir était magicien, il forcerait ces derniers à lire Humaine machine, un peu dans le même esprit que la thérapie employée dans le film de Stanley Kubrik, Orange mécanique, mais en plus efficace !

Malo Morvan : Classer nos manières de parler



Après des études de philosophie, de sociologie, de sciences du langage et du Breton, Malo Morvan obtient son agrégation de philosophie. Ses écrits basés sur l’épistémologie des sciences humaines et la sociolinguistique évoquent globalement, les enjeux sociopolitiques liés à la définition des normes linguistiques.



En guise d’introduction à Classer nos manières de parler et de classer les gens (éd. Du commun), Malo Morvan pose la question : qu’est-ce qu’une langue ? Comment la définir « dans la mesure où elle peut être parlée par des populations très variées et que ces populations peuvent en partager plusieurs, voire ne pas se comprendre tout en parlant la même langue » ?!
Dans la première partie de son essai, l’auteur nous propose plusieurs pistes qui prennent en compte, aussi bien le contexte historique (migrations, conquêtes militaires, relations commerciales), que le contexte régional (villes, campagnes isolées ou zones frontalières) et enfin, le contexte social (professions, statut, etc.). Malo Morvan s’interroge ensuite sur la différence entre les « langues vivantes », les « langues anciennes » et les « langues mortes ». Pour nous amener à réfléchir sur les tentatives « d’unification de la langue française » [note] , à partir des plus anciens textes connus en Français : Les Serments de Strasbourg et ce, jusqu’à la IIIème République (en passant par les tentatives révolutionnaires) et sur leurs conséquences sur les relations sociales, commerciales et plus globalement sur la communication.
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Quelles sont les institutions qui décident du « bon parlé français » et selon quels critères ? Dans la seconde partie de l’essai, l’auteur interroge sur les limites de la sociolinguistique en déclinant les différentes pratiques linguistiques et leurs particularités. Selon des critères géographiques (régionaux, dialectes etc.), politiques (pouvoirs étatiques et religieux) et enfin, sociologiques (argot, patois, sociolectes, technolectes, etc.). Sont alors confrontées les analyses de Pierre Bourdieu, celles dites « variationistes » de William Labor, celles dites « disglossistes » de Charles Fergusson et celles dites « générationnelles » de Joshua Fishman. Autre chapitre passionnant que celui qui évoque l’arabe classique opposé à l’arabe local, l’allemand officiel vs/allemand local, le Français vs/Créole, ou encore grec populaire (démotique) vs/grec « purifié » (katharévousa). On apprend au passage que la Corse se situe à part puisque sa langue accepte tous les dialectes (Eh oui Mr. Sylvain) ! Mais comment essayer de s’affranchir de ces cadres trop fixes, ou « pas assez étanches » ? C’est ce sur quoi nous propose de réfléchir Malo Morvan, dans le chapitre « échanges, circulations et influences réciproques ». Et ce à partir d’exemples concrets empruntés de l’Afrique aux Caraïbes, en passant par le bassin méditerranéen et la Chine.
La troisième partie du livre a pour chimère d’essayer de « se démarquer de toute tentative de classification des langues pour échapper à toute normalisation – qu’elle soit éducative, sociologique, politique ou identitaire ». En effet, selon l’auteur « un même individu peut appartenir à plusieurs groupes et peut ainsi échapper à toute distinction entre « le nous et les autres » ! On trouve tout au long de cet ouvrage des encarts qui abordent toutes sortes de spécificités : des accents régionaux à l’histoire de l’Espéranto, en passant par la problématique des langues régionales. En guise de conclusion, l’auteur s’interroge sur la pertinence, non seulement de la sociolinguistique mais également, sur celle même de son essai : chapeau l’artiste !

F. La Ceda & P. Zanini : Une morale pour la vie de tous les jours



L’Atelier de création libertaire nous propose Une morale pour la vie de tous les jours. Un ensemble de réflexions émises par Franco La Ceda et Piero Zanini, deux anthropologues italiens de la nouvelle génération qui nous préviennent en préambule « Ce livre invite, loin des pessimismes à la mode, à redécouvrir pour la énième fois et avec étonnement, de quelle façon les sociétés sont capables de se réinventer constamment, en dépit et parfois à contrecourant, des diktats venus d’en haut » !
Réflexions qui portent non seulement sur nos propres habitudes, mais surtout sur celles des autres. « Lorsque l’on voyage, on s’aperçoit rapidement que les rythmes, les rituels et les et les règles, les routines et la place accordée à la rêverie diffèrent d’un pays à l’autre ».
La notion de morale ne pourrait-elle pas alors être remplacée par les notions de « code du comportement », de « normes communes », de convivialité ou encore du « plaisir d’être ensemble », se demandent les auteurs ? Ceci dans le but d’éviter que « des anthropologues ressemblant à des missionnaires » et ne répondent à la place des peuples « indigènes » et éviter ainsi « d’essentialiser une culture en l’immobilisant ».
Entre autres exemples cités : la notion de violence aux Philippines ; les tabous encore imposés aux Vézos de Madagascar, etc. Que se passe-t-il lorsque deux systèmes de pensée antagonistes se rencontrent ? Quand les règles collectives s’effondrent ?
Pour illustrer leurs propos, Franco La Ceda et Piero Zanini nous proposent des histoires individuelles ou collectives marquantes prises aussi bien au sein de la communauté marocaine norvégienne, qu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée que chez les paysans chinois ayant eu à affronter les changements radicaux après a fin du « règne de Mao Tse Toung ». Le tout émaillé de citations tirées des œuvres de Walter Benjamin, Frantz Kafka, Marcel Proust, Joseph Brodsky, Socrate, Alcibiade, etc. Pour conclure, les auteurs s’interrogent autant sur les dangers et les qualités du téléphone portable, que sur la notion de « sens du local » dans un monde globalisé « où les Droits de l’Homme sont devenus la version laïcisée universelle ayant remplacé les religions pour nous imposer leur morale » ! Enfin, avons-nous loupé une marche avec la parenthèse de la pandémie Covid ? Celle-ci en effet n’aurait-elle pas pu nous aider à reprendre conscience du « vivre ensemble et des bienfaits de la nature » ?
Vaste question !

Patrick Schindler, individuel FA Athènes






PAR : Patrick Schindler
individuel FA Athènes
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le 16 juillet 2022 09:53:11 par max

Ah bien de quoi être au top à l’ombre avant la fin de l’été