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par René Berthier • le 20 juin 2022
États-Unis: le fossé religieux (2e partie)
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Article extrait du Monde libertaire N°1839
Revoir la première partie ? c’est ici
Revenons un peu en arrière. La monarchie anglaise est fondée sur l’anglicanisme : aucun monarque ne peut être autre chose qu’anglican [note] . Les fonctions officielles de l’État ne pouvaient être tenues que par des anglicans. Cette procédure était réglementée par un décret, le “Test Act” qui instituait un serment d’allégeance à l’Église anglicane. À l’origine, cette mesure, ouvertement anti-catholique, était destinée à empêcher les “papistes” d’accéder à des fonctions politiques.
Bien que le “Test Act” fût à la longue devenu obsolète et contraire à l’évolution des temps et des mœurs, les tentatives faites par l’État pour le révoquer avaient été suivies en Angleterre par de véritables émeutes, comme ce fut le cas en 1780, lorsque les biens des catholiques furent pillés ou brûlés. En Angleterre, le “Test Act” finit par être révoqué en 1829, mais au Canada il le fut en 1774. Dans cette colonie, en effet, de nombreux Français, catholiques, s’étaient trouvés intégrés par l’annexion du Québec; aussi, le Quebec Act autorisait-il les catholiques à exercer leur religion, et l’Église “papale” fut autorisée à prélever le denier du culte. Un nouveau serment d’allégeance fut mis en place permettant aux catholiques d’accéder à des postes officiels.
L’épouvantail catholique
Cela créa un véritable choc auprès des colons américains. En septembre 1774, le Congrès continental, s’adressant au public britannique, se déclara outragé “qu’un parlement britannique puisse consentir à établir dans ce pays [le Québec] une religion qui a provoqué un déluge de sang sur votre île”. Les rédacteurs de ce texte faisaient allusion à des événements datant du XVIe siècle, lorsque Marie Stuart persécuta les protestants. Le livre de référence des protestants anglais contre le catholicisme était le Book of Martyrs de John Fox, qui raconte cette persécution avec force détails horribles. Les rebelles américains s’étaient persuadés que le Quebec Act allait faire déferler le catholicisme dans les colonies d’Amérique. Un journal, le Pennsylvania Packet, écrivit que jamais auparavant il n’y avait eu “une tentative aussi ouverte contre le succès de la religion protestante”. Il était donc acquis, aux yeux de l’ensemble des représentants des colons, qu’il y avait une sorte de religion d’État, le protestantisme, avec toutes ses variantes.
La tolérance accordée aux catholiques du Canada poussa même les colons américains à entrer en guerre contre leur voisin du Nord, à envahir le pays et à faire, brièvement, le siège de Québec. L’expédition du Canada était clairement alimentée par une rage anti-catholique qui avait son fondement non seulement dans la conviction que le catholicisme était une erreur, mais aussi dans la certitude qu’il représentait le Mal.
Cette expédition fut un échec, et elle eut un effet inattendu: les Canadiens ne se joignirent pas à la rébellion de leurs voisins du sud contre la couronne britannique [
Les protestants... protestent.
La conviction qu’eurent les Américains que la liberté de culte accordée aux catholiques du Canada allait conduire à la tyrannie politique et religieuse n’était évidemment fondée sur rien de concret. Mais pour beaucoup de protestants, l’Église anglicane était assimilée au catholicisme car peu de chose les différenciait, et surtout, comme sa “cousine” catholique, l’Église anglicane avait une hiérarchie, avec ses évêques nommés par une autorité supérieure (la Couronne britannique), ce qui était pour les protestants un péché majeur et, selon eux, un facteur d’oppression religieuse.
Les colons américains étaient donc persuadés que la couronne britannique voulait ramener tous ses sujets sous la coupe de l’Église officielle. Cette impression était confirmée par le désir exprimé par les anglicans américains d’avoir leurs propres évêques. Nommés par Londres, ils étaient perçus par les protestants des colonies américaines comme une sorte de Cinquième colonne. La crainte d’une conjonction de la tyrannie politique et religieuse était centrale dans la pensée des protestants américains, notamment chez John Adams, pour qui l’introduction du catholicisme en Amérique représentait l’introduction de la loi féodale. Le papisme visait à soumettre la population à l’esclavage (sauf sans doute les Noirs, qui étaient déjà esclaves...), le papisme était la doctrine de l’obéissance aveugle qui ne pouvait conduire qu’à la destruction de la nation.
Il ne faut pourtant pas déduire que les pères fondateurs de la république américaine étaient des intégristes protestants. Ils étaient plutôt déistes dans la tradition des Lumières européennes, et particulièrement française. A ce titre, justement, ils étaient opposés à toute religion organisée. Ils pensaient, avec raison d’ailleurs, que les Églises établies, catholique mais aussi protestantes, avaient rarement travaillé pour le bien-être de l’humanité, mais qu’elles avaient été les instruments des rois, aristocrates, oppresseurs du peuple. Ils tournaient en dérision la Sainte Trinité. Thomas Jefferson dénonçait les “religions factices” dans une lettre à John Adams et s’inquiétait des méfaits qu’un “papisme protestant” pouvait amener en Amérique. Les deux hommes partageaient l’idée que la religion parlait de la vie, pas de doctrine.
(à suivre)
René Berthier
Revenons un peu en arrière. La monarchie anglaise est fondée sur l’anglicanisme : aucun monarque ne peut être autre chose qu’anglican [note] . Les fonctions officielles de l’État ne pouvaient être tenues que par des anglicans. Cette procédure était réglementée par un décret, le “Test Act” qui instituait un serment d’allégeance à l’Église anglicane. À l’origine, cette mesure, ouvertement anti-catholique, était destinée à empêcher les “papistes” d’accéder à des fonctions politiques.
Bien que le “Test Act” fût à la longue devenu obsolète et contraire à l’évolution des temps et des mœurs, les tentatives faites par l’État pour le révoquer avaient été suivies en Angleterre par de véritables émeutes, comme ce fut le cas en 1780, lorsque les biens des catholiques furent pillés ou brûlés. En Angleterre, le “Test Act” finit par être révoqué en 1829, mais au Canada il le fut en 1774. Dans cette colonie, en effet, de nombreux Français, catholiques, s’étaient trouvés intégrés par l’annexion du Québec; aussi, le Quebec Act autorisait-il les catholiques à exercer leur religion, et l’Église “papale” fut autorisée à prélever le denier du culte. Un nouveau serment d’allégeance fut mis en place permettant aux catholiques d’accéder à des postes officiels.
L’épouvantail catholique
Cela créa un véritable choc auprès des colons américains. En septembre 1774, le Congrès continental, s’adressant au public britannique, se déclara outragé “qu’un parlement britannique puisse consentir à établir dans ce pays [le Québec] une religion qui a provoqué un déluge de sang sur votre île”. Les rédacteurs de ce texte faisaient allusion à des événements datant du XVIe siècle, lorsque Marie Stuart persécuta les protestants. Le livre de référence des protestants anglais contre le catholicisme était le Book of Martyrs de John Fox, qui raconte cette persécution avec force détails horribles. Les rebelles américains s’étaient persuadés que le Quebec Act allait faire déferler le catholicisme dans les colonies d’Amérique. Un journal, le Pennsylvania Packet, écrivit que jamais auparavant il n’y avait eu “une tentative aussi ouverte contre le succès de la religion protestante”. Il était donc acquis, aux yeux de l’ensemble des représentants des colons, qu’il y avait une sorte de religion d’État, le protestantisme, avec toutes ses variantes.
La tolérance accordée aux catholiques du Canada poussa même les colons américains à entrer en guerre contre leur voisin du Nord, à envahir le pays et à faire, brièvement, le siège de Québec. L’expédition du Canada était clairement alimentée par une rage anti-catholique qui avait son fondement non seulement dans la conviction que le catholicisme était une erreur, mais aussi dans la certitude qu’il représentait le Mal.
Cette expédition fut un échec, et elle eut un effet inattendu: les Canadiens ne se joignirent pas à la rébellion de leurs voisins du sud contre la couronne britannique [
Les protestants... protestent.
La conviction qu’eurent les Américains que la liberté de culte accordée aux catholiques du Canada allait conduire à la tyrannie politique et religieuse n’était évidemment fondée sur rien de concret. Mais pour beaucoup de protestants, l’Église anglicane était assimilée au catholicisme car peu de chose les différenciait, et surtout, comme sa “cousine” catholique, l’Église anglicane avait une hiérarchie, avec ses évêques nommés par une autorité supérieure (la Couronne britannique), ce qui était pour les protestants un péché majeur et, selon eux, un facteur d’oppression religieuse.
Les colons américains étaient donc persuadés que la couronne britannique voulait ramener tous ses sujets sous la coupe de l’Église officielle. Cette impression était confirmée par le désir exprimé par les anglicans américains d’avoir leurs propres évêques. Nommés par Londres, ils étaient perçus par les protestants des colonies américaines comme une sorte de Cinquième colonne. La crainte d’une conjonction de la tyrannie politique et religieuse était centrale dans la pensée des protestants américains, notamment chez John Adams, pour qui l’introduction du catholicisme en Amérique représentait l’introduction de la loi féodale. Le papisme visait à soumettre la population à l’esclavage (sauf sans doute les Noirs, qui étaient déjà esclaves...), le papisme était la doctrine de l’obéissance aveugle qui ne pouvait conduire qu’à la destruction de la nation.
Il ne faut pourtant pas déduire que les pères fondateurs de la république américaine étaient des intégristes protestants. Ils étaient plutôt déistes dans la tradition des Lumières européennes, et particulièrement française. A ce titre, justement, ils étaient opposés à toute religion organisée. Ils pensaient, avec raison d’ailleurs, que les Églises établies, catholique mais aussi protestantes, avaient rarement travaillé pour le bien-être de l’humanité, mais qu’elles avaient été les instruments des rois, aristocrates, oppresseurs du peuple. Ils tournaient en dérision la Sainte Trinité. Thomas Jefferson dénonçait les “religions factices” dans une lettre à John Adams et s’inquiétait des méfaits qu’un “papisme protestant” pouvait amener en Amérique. Les deux hommes partageaient l’idée que la religion parlait de la vie, pas de doctrine.
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René Berthier
PAR : René Berthier
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