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par groupe graine d’anar • le 12 novembre 2018
vieillesse et anarchie
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article extrait du Monde libertaire n°1799 d’octobre 2018
« Il est temps de penser l’accompagnement et la prise en charge de la vieillesse alors même que les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses. »
Alors que la question de la vieillesse touche à l’essence même de l’anarchie – l’autonomie –, les courants libertaires semblent s’être majoritairement désintéressés de la question. Rares sont les textes, théoriques ou non, qui abordent le problème du vieillissement, de la dépendance, voire de la démence, d’un point de vue anarchiste. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce silence. Le vieillissement de la population est en définitive relativement récent. En 1960, en France, l’espérance de vie (hommes et femmes confondus) était en moyenne de 70 ans. On n’avait pas le temps d’être vieux, on mourrait avant de devenir dépendant. Par ailleurs, la retraite est une invention tout aussi nouvelle : ce n’est qu’en 1945 que le gouvernement français issu de la résistance institua un système public généralisé de pensions. Jusque dans les années 1940, la vieillesse était comme invisibilisée : on était un vieux travailleur mais pas un vieux. On mourrait à la tâche. Il est également possible que les réflexions au sein de l’anarchisme aient mis de côté les cas de perte d’autonomie, relégués à la marge comme des exceptions. Cette marginalisation n’a ainsi pas permis la réelle prise en compte de cette situation inéluctable. Peut-être aussi les anars sont-ils longtemps restés prisonniers, à leur insu, de représentations et de pratiques sociales solidement ancrées. Si l’on n’avait pas à penser à la vieillesse, c’est parce que les issues semblaient aller de soi : mourir au travail, finir ses vieux jours dans une institution ou passer ses dernières années entourés de ses proches. La société ou la famille (même élargie, même recomposée) prendraient soin de nous. Il est temps de penser l’accompagnement et la prise en charge de la vieillesse alors même que les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses.
Or, ce sont les deux possibilités, familles et société, hier évidentes, qui aujourd’hui nous rendent la vieillesse difficile, qu’on la vive ou qu’on l’accompagne. Nous avons tous en tête les images de ces salles communes où s’entassent les pensionnaires des EHPAD ou des Unités de soin longue durée, se morfondant, entreposés là par des familles dépassées en attendant la fin. Nous avons tous en tête le récit de maltraitances (humiliations, douches brûlantes, atteintes corporelles) pratiquées par un personnel soignant poussé à bout et en sous-effectif, pressuré par des institutions, privées ou publiques, animées par la seule recherche de rentabilité. Sans parler des personnes chez elles, non repérées par les services sociaux, tout simplement laissées à l’abandon le plus total. Détresse humaine et misère des travailleurs, les « maisons de retraite », comme on dit dans le langage courant, sont souvent perçues comme étant à la fois la seule et la pire des issues. Comment faire lorsque l’on ne se sent plus capable d’assurer son quotidien ? Comment faire, lorsque l’on est entouré, pour ne pas peser sur ses proches ?
Des études conduites par des sociologues montrent que l’entrée en institution se fait souvent suite à une chute, à un accident de santé, mais surtout suite à l’épuisement de la famille (voir notamment l’ouvrage coordonné par Sylvie Carbonnelle, Penser les vieillesses. Regards sociologiques et anthropologiques sur l’avancée en âge, Paris, Seli Arslan, 2010). Aidant jusqu’au bout leurs parents, les enfants, à bout de nerf, épuisés par des soins qui remuent en eux toutes les histoires de l’enfance, finissent par jeter l’éponge, par transmettre leur fardeau. L’ancien est alors déraciné, les proches se sentent coupables, le personnel soignant dépourvu de moyens...
Les libertaires n’ont-ils pas mieux à proposer ? Sommes-nous condamnés à reproduire ce dilemme insoutenable ?
La première des choses, avant même d’attendre la révolution ou le grand soir, peut être tout simplement d’informer. Il existe une multitude de dispositifs permettant, par exemple, le maintien à domicile. La majeure partie des personnes vivant en institutions aurait pu vivre chez elles si elles avaient bénéficié d’une prise en charge adaptée à des moments clés. Les offres actuelles sont loin d’être parfaites mais dans bien des cas elles pourraient, si elles étaient sollicitées, permettre une plus grande autonomie. Les départements peuvent en effet attribuer des APA (allocations personnalisées pour l’autonomie) pour aider les personnes vieillissantes à aménager leur domicile (salle de bain, accessibilité, etc.), à organiser leur quotidien (ménage, courses, repas, relationnel), le montant de ces allocations étant corrélé au degré de dépendance des personnes. Ces aides peuvent être pérennes mais également ponctuelles : c’est le cas de l’ARDH (aide au retour à domicile après hospitalisation). La personne âgée peut recevoir jusqu’à 1800€ sur trois mois pour faciliter son retour chez elle. Les suites d’une hospitalisation sont souvent des moments charnières, qui peuvent s’avérer décisifs. Il faut du temps, d’autant plus avec l’âge, pour réapprendre certains gestes quotidiens, pour reprendre des forces. Sans ces aides, bon nombre de personnes ne se remettent jamais complètement alors qu’elles auraient pu, avec du temps et quelques moyens, retrouver leur autonomie, à leur rythme. Ce volet d’information est nécessaire : une grande partie des populations ne bénéficie pas de ces aides par ignorance ou par isolement.
« Les offres actuelles sont loin d’être parfaites mais dans bien des cas elles pourraient, si elles étaient sollicitées, permettre une plus grande autonomie. »
Ces dispositifs mettent en outre sur la voie d’une prise en charge plurielle et collective. L’épuisement des familles – qui conduit parfois à l’entrée en institution – découle en effet souvent de l’absence de ressources extérieures. Faire appel à un agent d’entretien pour faire le ménage chez ses parents, à une aide-ménagère pour assurer quelques repas, c’est aussi se libérer du temps pour soi, ne pas entacher de rancœur et d’amertume la relation à nos proches. Une prise en charge libertaire de la vieillesse est peut-être ainsi une prise en charge mixte, assurée par un cercle proche, aimant, et par des personnes tierces en soutien. Ni abandon en institution, déracinement, ni enfermement et aliénation des proches. Il faut toutefois rester conscient que l’on touche là à une limite : salarier une personne « au service de » heurte nos convictions de liberté et d’abolition de la contrainte salariale. Et nous ne saurions nous résoudre à l’idée d’une charité.
Faire appel à une aide extérieure pour se laver, manger, assurer le quotidien, n’est pas le signe de la déchéance, de la fin de la liberté. Il y a une différence entre l’indépendance et l’autonomie. Être indépendant, c’est pouvoir agir seul, sans l’aide d’autrui. Être autonome, en revanche, c’est pouvoir décider jusqu’au bout de la façon dont on entend vivre, en relation avec les autres. À tous les âges de la vie, et pas seulement au moment de la vieillesse, nous avons besoin du soutien des autres, de même que nous tâchons d’être auprès d’eux. Plus que l’indépendance, c’est l’autonomie qu’il nous semble important de rechercher.
L’autonomie est synonyme de choix, de liberté individuelle, mais aussi de liberté pour celles et ceux qui nous entourent. Une prise en charge réellement collective permet à la personne vieillissante de rester chez elle, de continuer à organiser son existence mais aussi de ne pas contraindre ses proches. Vouloir être autonome, c’est vouloir continuer à faire sans priver qui que ce soit de sa liberté. Cette organisation plurielle et collective loin d’entacher l’autonomie la soutient. En cela le cas des vieilles et des vieux n’est pas une exception : ils ne sont que le reflet d’une société qui peine de plus en plus à intégrer les personnes les plus fragiles ou considérées comme étant inadaptées. Notre propos n’est pas de dire que toutes les personnes âgées sont dépendantes ou représentent un poids pour la société mais qu’il faut repenser notre rapport social à nos aînés et aux autres individus en général, vers des logiques d’intégration plutôt que d’exclusion. Bref, considérer l’autonomie comme une construction collective plutôt que comme une caractéristique individuelle.
« Plus que l’indépendance, c’est l’autonomie qu’il nous semble important de rechercher. »
Il est un domaine où l’on admet aisément la perte d’autonomie : celui de la tutelle financière. Il est heurtant pour nous anarchistes qu’une fois de plus le pécuniaire soit au cœur de la vision de l’individu. Souvent décidé pour éviter qu’une personne en perte de ses moyens cognitifs ne dilapide l’ensemble de sa richesse, elle est aussi régulièrement mise en place pour préserver l’héritage financier de celles et ceux qui restent. Notre rapport au « dû » par nos anciennes et anciens est un réel problème car il induit un biais, celui de devoir préserver l’héritage au détriment de la personne âgée. Tout dilapider pour s’offrir une dernière fois la grande vie est souvent compris comme une perte de repères ... Vraiment ? Qu’une tutelle puisse exister dans des cas de pertes cognitives est envisageable. Mais nous devrions penser à ce qu’elle ne soit pas une tutelle sous influence, tenue par des individus qui ont peur de perdre … leurs revenus de la mort !
À tous les niveaux (matériels, médicaux, financiers, etc.), la vieillesse libertaire semble devoir être collective et respectueuse de l’autonomie de chacun. Cependant, cette prise en charge collective ne s’improvise pas. Il peut être particulièrement difficile, pour une personne âgée, de voir par exemple s’introduire des gens qu’elle ne connaît pas dans son domicile. Le temps de la vieillesse se prépare en amont. Si la prise en charge libertaire de la vieillesse doit être collective et mixte (assurée par des proches et des professionnels), elle doit aussi prendre appuis sur une longue expérience de vie riche en liens. Si durant toute sa vie on a vécu ouvert sur les autres et sur le monde, on parviendra nos vieux jours venus à accéder à une autonomie collective. Des liens intergénérationnels, mixtes, peuvent être la clé d’une vieillesse en toute liberté. Ils pallient nos propres faiblesses, nous émancipent des liens uniquement familiaux et nous aident à continuer à vivre, à être bousculés (avec bienveillance et délicatesse) et émerveillés par le monde. La vieillesse tend rapidement à se charger de regrets si l’on se replie sur soi-même. Évitons de devenir aigris, renfrognés, isolés. Vive le lien social, gage de stimulation (physique, intellectuelle, affective), d’adaptation et de bienêtre.
« Des liens intergénérationnels, mixtes, peuvent être la clé d’une vieillesse en toute liberté. Ils pallient nos propres faiblesses, nous émancipent des liens uniquement familiaux et nous aident à continuer à vivre, à être bousculés (avec bienveillance et délicatesse) et émerveillés par le monde. »
La vieillesse n’est hélas pas également répartie en fonction de la vie qu’on a menée. Préparer sa vieillesse demande que la vie tout entière soit repensée, revue. Dans le monde actuel, les différences de vues et de revenus, de métiers, d’accès au monde, à la culture et à la vie, font qu’il est bien plus simple pour qui a du temps de penser ses vieux jours, que pour qui doit survivre. Nous le voyons : la fin de vie n’est pas en dehors de la vie elle-même, elle n’en est que la fin. Et si le début craint, le milieu pue, alors la fin est rarement belle.
Il nous faut aussi évoquer les cas où l’autonomie n’est plus possible. Comment faire lorsque l’on n’est plus capable de décider au sein de cette vie collective ? Comment faire pour demeurer libre lorsque l’on n’a plus les moyens intellectuels et/ou physiques d’exprimer sa volonté ? Peut-être alors que là aussi le vieillir libertaire est synonyme d’anticipation et de militance. La mort, la perte, le deuil sont des questions politiques et humaines que nous devons porter dans la société pour qu’elles soient désacralisées, éloignées d’une prégnance religieuse malsaine. Avoir conscience de sa finitude, de la fugacité de la vie, c’est apprendre à vivre, à être, à exister. Dans ce contexte, il sera même possible d’aller jusqu’à revendiquer l’heure de notre départ, choisir les conditions au-delà desquelles nous estimons qu’il serait indigne de continuer à vivre. Ce choix ne peut se faire qu’en pleine conscience, avant de ne plus être soi-même. Mais ce choix doit aussi être entendu et compris de toutes et tous, de nos proches, de nos amis, de nos amantes et amants. Il doit être vu comme l’ultime respect à apporter à la personne, le respect de sa décision, de son envie, de ses besoins, et en fait de sa profonde humanité.
« Comment faire lorsque l’on n’est plus capable de décider au sein de cette vie collective ? Comment faire pour demeurer libre lorsque l’on n’a plus les moyens intellectuels et/ou physiques d’exprimer sa volonté ? »
Il semble que les libertaires n’ont pas pris suffisamment au sérieux la valeur profondément politique de la lutte pour le droit au suicide assisté. Celle-ci n’est pas une carte blanche à tuer toute personne qui serait vue comme inutile, dans une société purement malthusienne, mais bien au contraire comme le fait de redonner de la liberté à l’individu, y compris face à la mort. Laisser le choix entre vouloir rester en vie quels que soient les moyens mis en œuvre pour cela et mourir si on le souhaite, dans la douceur et sans douleur. Pour des gens autant attachés à la liberté que les anarchistes, cette réflexion mériterait d’être poussée et politiquement portée.
Nous finirons ce texte en rappelant que vivre c’est accepter que nous sommes tous différents. La société actuelle, profondément jeuniste et concurrentielle, n’est pas saine pour la majorité d’entre nous. Et ne nous mentons pas, nos milieux militants reproduisent souvent cet état de fait. Le chemin est long à parcourir pour les anarchistes afin de mettre notre idéal en adéquation avec nos méthodes.
PAR : groupe graine d’anar
Lyon
Lyon
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le 12 novembre 2018 20:47:50 par Bernnrd |
Allez les vieux !