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par André Bernard • le 10 août 2020
Confinement sous le ciel de Gaza
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Article extrait du Monde libertaire n°1818 de juin 2020
À propos de la lutte des Palestiniens contre l’oppression coloniale de l’État d’Israël , nous avions notamment recensé La Résistance palestinienne : des armes à la non-violence de Bernard Ravenel (édité chez L’Harmattan en 2017).
À notre plus grand ébahissement, le livre de Ziad Medoukh témoigne de l’incroyable vitalité des habitants de Gaza – des ouvriers, des paysans, des femmes, des intellectuels, etc. – qui, face à une situation épouvantable, entendent rester fermement pacifiques, pleins de vie et d’espoir. De plus, une autre fenêtre de communication s’est ouverte avec la création de Gaza la vie (sur You Tube), une chaîne vidéo montrant sans fards le quotidien des Gazaouis. Que dire de ces images sportives quand sur les 120 amputés – imputables aux actions guerrières des soldats d’Israël – que compte Gaza, vingt-cinq joueurs de football continuent à s’ébattre sur le terrain avec une seule jambe ? Mais, maintenant, comment la situation va-t-elle évoluer ? Car, depuis 2018, « les Gazaouis sont en train de passer à d’autres choix de lutte », écrit Ziad Medoukh qui montre en outre un souci de grande objectivité pour décrire la situation gazaouie :
« Devant l’impasse des discussions de paix conduites par le gouvernement de l’Autorité palestinienne à Ramallah et l’impuissance du pouvoir exclusif du Hamas à Gaza, la société civile, fatiguée d’attendre la réalisation des promesses de dirigeants politiques divisés, et inquiète de l’absence de perspectives pour sa nombreuse jeunesse, a décidé de prendre son destin en main et de porter son choix sur la résistance non-violente active. »
Ce changement de pied veut répondre à ce qui est estimé être un double échec, d’un côté, celui de l’action politique traditionnelle, de l’autre, celui de la lutte armée, deux façons d’agir qui, sans être illégitimes, n’ont pas apporté les résultats souhaités.
Si nous constatons le silence des médias occidentaux, il faut en excepter un article (en libre accès) de René Backmann sur Mediapart du 31 mars 2018 et intitulé Bande de Gaza : la société civile est en première ligne :
« Une nouvelle page de la lutte des Palestiniens pour la reconnaissance de leurs droits à la liberté, à l’indépendance et à un État a peut-être été tournée, vendredi 30 mars, dans la bande de Gaza. Trente et un ans après l’explosion, au même endroit, de la première intifada, qui avait révélé l’invention d’une nouvelle forme de résistance à l’occupation et à la colonisation, l’afflux, par dizaine de milliers, de manifestants palestiniens pacifiques vers la barrière métallique qui sépare la bande de Gaza du territoire israélien ressemble fort à la naissance d’une stratégie nouvelle : la désobéissance civile massive et non violente. »
« Contrairement à ce que les porte-parole du gouvernement israélien ont tenté d’asséner depuis plusieurs jours, l’initiative de cette “grande marche du retour” ne revient pas au Hamas, qui contrôle largement la bande de Gaza, mais à diverses organisations de la société civile […]. Ce qui n’empêche pas le mouvement islamiste d’être largement – mais discrètement – présent dans l’organisation de la manifestation. »
« Après trois guerres en 2008, 2012 et 2014, qui ont fait plus de 3600 morts et plongé la bande de Gaza dans le désastre et le désespoir, le discours guerrier du Hamas a perdu de sa crédibilité […]. »
« En fait, le Hamas et les autres organisations politiques locales ont emboîté le pas – avant d’apporter leur concours sous des formes diverses... »
Cette marche du retour – qui en dix-huit mois a enregistré 320 morts et 32 000 blessés – s’appuie sur le droit au retour des réfugiés palestiniens reconnu par les Nations-unies dans la résolution 194 du 11 décembre 1948. Et, sur les deux millions de Gazaouis, il faut compter que 1,3 million sont des réfugiés ou des descendants de réfugiés ; cependant, il est admis que ce droit est d’abord symbolique et qu’il est surtout question de la levée du blocus qui enferme Gaza depuis 2007.
Il faut retenir que la forme de résistance que met en avant Ziad Medoukh « tend à émanciper la population de la tutelle des partis et des structures traditionnelles », ce qui est peu apprécié des divers pouvoirs palestiniens, pas plus d’ailleurs que de l’État israélien qui, par ses représailles violentes, perd de sa légitimité devant des actes pacifiques.
Mais qu’en est-il réellement ? Car le propos de Ziad Medoukh nous paraît plein de retenue quand il déclare :
« Après plus d’une année de marche du retour, rien n’a encore vraiment changé pour les Palestiniens. Pour être pleinement efficaces, les organisateurs devraient se référer aux vrais principes de la non-violence. » Sur le terrain de la vie quotidienne, il s’agit d’abord de maintenir le lien social par le bénévolat et la solidarité, par une recherche de l’autonomie alimentaire, énergétique et économique, par la promotion de la culture et de l’éducation, par l’économie familiale et locale, par les coopératives agricoles et artisanales, par l’agro-résistance, etc. ; et, par là, se libérer de la puissance occupante et alléger le blocus qui a pour but de maintenir un état de dépendance et de domination. Cependant, l’économie de Gaza n’est pas socialiste, mais néolibérale – la chaîne vidéo Gaza la vie montre ainsi que « des citoyens aisés aident les pauvres » –, même si, maintenant, l’introduction d’une pratique non-violente peut inclure, par là même, une forme de socialisme décentralisé plus approfondi. Mais nous n’en sommes pas là : « À Gaza, ville moderne, on trouve tout : magasins, belles boutiques, grandes surfaces, centres commerciaux, banques, sociétés de communications, voitures récentes, hôtels de luxe, cafés et restaurants branchés, etc. », est-il rappelé dans la conclusion.
Dans ce combat pour la vie, le rôle des femmes et leur implication sociale sont fondamentaux ; de par la situation dramatique, elles ont été dans l’obligation d’évoluer et de prendre leur sort en main, car souvent veuves, mères, épouses d’hommes tués ou emprisonnés. Répondant à une question de Leïla Shahid : « D’où vient [...] cette force des femmes palestiniennes dans la remise en cause de beaucoup de choses qui font partie de la tradition ? », Jean Genet avait répondu : « Tout simplement parce que les femmes – la femme arabe en général est d’abord l’esclave de son mari – se libèrent d’abord de leur mari. » (L’Ennemi déclaré, réédité par Gallimard en 2010.) Et Ziad Medoukh, dans un entretien, reconnaît que « le chemin est encore long pour qu’elles obtiennent tous leurs droits ».
C’est le Centre de la paix de l’université Al-Aqsa qui, momentanément, proposa ainsi des ateliers et des formations, comme la participation des étudiants aux activités agricoles et artisanales, comme ce programme de soutien aux enfants traumatisés par les agressions israéliennes et le blocus (presque chaque famille compte un mort, un blessé ou un handicapé) ; ainsi fallait-il aider ces enfants terrorisés comme lorsque dix missiles israéliens détruisirent le centre culturel de Saïd Al-Mishal ; c’est à cela que s’emploient de moins jeunes en apportant leur soutien psychologique, etc.
En note de bas de page, nous pouvons lire une citation d’Abdelfattah Abusrur, directeur du théâtre Al Rowwad : « Il fallait inventer un lieu où rester vivant, en résistant sans aucun compromis, mais en offrant aux enfants d’autres possibilités que celles d’aller se faire sauter dans un bus. »
La Palestine n’avait pas de références historiques non-violentes ; c’est avec la première intifada de décembre 1987, appelée également « intifada des pierres », que naît la pratique d’une désobéissance civile de masse à caractère non-violent (le Hirak algérien s’en inspirera). C’est sans doute pourquoi dans L’économie de résistance, une force libératrice, en préface, Louis Campana, président-fondateur de Gandhi International, n’hésite pas à citer Gandhi :
« L’État représente la violence sous une forme intensifiée et organisée. L’individu a une âme, mais l’État, qui est une machine sans âme, ne peut être soustrait à la violence puisque c’est à elle qu’il doit son existence. »
« La véritable indépendance ne viendra pas de la prise du pouvoir par quelques-uns, mais du pouvoir que tous auront de s’opposer aux abus de l’autorité. En d’autres termes, on devra arriver à l’indépendance en inculquant aux masses la conviction qu’elles ont la possibilité de contrôler l’exercice de l’autorité et de la tenir en respect. »
André Bernard
Ziad Medoukh, Être non-violent à Gaza en collaboration avec Laurent Baudoin et Isabelle Mérian
Culture et Paix éd., 2020, 192 p.
On pourra consulter : « Je refuse de servir dans l’armée israélienne », « Israël : 63 garçons et filles refusent de servir… », « Made in Israël », « Le choix palestinien de la non-violence», « Les principales victoires de BDS en 2017 », etc.
À notre plus grand ébahissement, le livre de Ziad Medoukh témoigne de l’incroyable vitalité des habitants de Gaza – des ouvriers, des paysans, des femmes, des intellectuels, etc. – qui, face à une situation épouvantable, entendent rester fermement pacifiques, pleins de vie et d’espoir. De plus, une autre fenêtre de communication s’est ouverte avec la création de Gaza la vie (sur You Tube), une chaîne vidéo montrant sans fards le quotidien des Gazaouis. Que dire de ces images sportives quand sur les 120 amputés – imputables aux actions guerrières des soldats d’Israël – que compte Gaza, vingt-cinq joueurs de football continuent à s’ébattre sur le terrain avec une seule jambe ? Mais, maintenant, comment la situation va-t-elle évoluer ? Car, depuis 2018, « les Gazaouis sont en train de passer à d’autres choix de lutte », écrit Ziad Medoukh qui montre en outre un souci de grande objectivité pour décrire la situation gazaouie :
« Devant l’impasse des discussions de paix conduites par le gouvernement de l’Autorité palestinienne à Ramallah et l’impuissance du pouvoir exclusif du Hamas à Gaza, la société civile, fatiguée d’attendre la réalisation des promesses de dirigeants politiques divisés, et inquiète de l’absence de perspectives pour sa nombreuse jeunesse, a décidé de prendre son destin en main et de porter son choix sur la résistance non-violente active. »
Ce changement de pied veut répondre à ce qui est estimé être un double échec, d’un côté, celui de l’action politique traditionnelle, de l’autre, celui de la lutte armée, deux façons d’agir qui, sans être illégitimes, n’ont pas apporté les résultats souhaités.
Si nous constatons le silence des médias occidentaux, il faut en excepter un article (en libre accès) de René Backmann sur Mediapart du 31 mars 2018 et intitulé Bande de Gaza : la société civile est en première ligne :
« Une nouvelle page de la lutte des Palestiniens pour la reconnaissance de leurs droits à la liberté, à l’indépendance et à un État a peut-être été tournée, vendredi 30 mars, dans la bande de Gaza. Trente et un ans après l’explosion, au même endroit, de la première intifada, qui avait révélé l’invention d’une nouvelle forme de résistance à l’occupation et à la colonisation, l’afflux, par dizaine de milliers, de manifestants palestiniens pacifiques vers la barrière métallique qui sépare la bande de Gaza du territoire israélien ressemble fort à la naissance d’une stratégie nouvelle : la désobéissance civile massive et non violente. »
« Contrairement à ce que les porte-parole du gouvernement israélien ont tenté d’asséner depuis plusieurs jours, l’initiative de cette “grande marche du retour” ne revient pas au Hamas, qui contrôle largement la bande de Gaza, mais à diverses organisations de la société civile […]. Ce qui n’empêche pas le mouvement islamiste d’être largement – mais discrètement – présent dans l’organisation de la manifestation. »
« Après trois guerres en 2008, 2012 et 2014, qui ont fait plus de 3600 morts et plongé la bande de Gaza dans le désastre et le désespoir, le discours guerrier du Hamas a perdu de sa crédibilité […]. »
« En fait, le Hamas et les autres organisations politiques locales ont emboîté le pas – avant d’apporter leur concours sous des formes diverses... »
Cette marche du retour – qui en dix-huit mois a enregistré 320 morts et 32 000 blessés – s’appuie sur le droit au retour des réfugiés palestiniens reconnu par les Nations-unies dans la résolution 194 du 11 décembre 1948. Et, sur les deux millions de Gazaouis, il faut compter que 1,3 million sont des réfugiés ou des descendants de réfugiés ; cependant, il est admis que ce droit est d’abord symbolique et qu’il est surtout question de la levée du blocus qui enferme Gaza depuis 2007.
Il faut retenir que la forme de résistance que met en avant Ziad Medoukh « tend à émanciper la population de la tutelle des partis et des structures traditionnelles », ce qui est peu apprécié des divers pouvoirs palestiniens, pas plus d’ailleurs que de l’État israélien qui, par ses représailles violentes, perd de sa légitimité devant des actes pacifiques.
Mais qu’en est-il réellement ? Car le propos de Ziad Medoukh nous paraît plein de retenue quand il déclare :
« Après plus d’une année de marche du retour, rien n’a encore vraiment changé pour les Palestiniens. Pour être pleinement efficaces, les organisateurs devraient se référer aux vrais principes de la non-violence. » Sur le terrain de la vie quotidienne, il s’agit d’abord de maintenir le lien social par le bénévolat et la solidarité, par une recherche de l’autonomie alimentaire, énergétique et économique, par la promotion de la culture et de l’éducation, par l’économie familiale et locale, par les coopératives agricoles et artisanales, par l’agro-résistance, etc. ; et, par là, se libérer de la puissance occupante et alléger le blocus qui a pour but de maintenir un état de dépendance et de domination. Cependant, l’économie de Gaza n’est pas socialiste, mais néolibérale – la chaîne vidéo Gaza la vie montre ainsi que « des citoyens aisés aident les pauvres » –, même si, maintenant, l’introduction d’une pratique non-violente peut inclure, par là même, une forme de socialisme décentralisé plus approfondi. Mais nous n’en sommes pas là : « À Gaza, ville moderne, on trouve tout : magasins, belles boutiques, grandes surfaces, centres commerciaux, banques, sociétés de communications, voitures récentes, hôtels de luxe, cafés et restaurants branchés, etc. », est-il rappelé dans la conclusion.
Dans ce combat pour la vie, le rôle des femmes et leur implication sociale sont fondamentaux ; de par la situation dramatique, elles ont été dans l’obligation d’évoluer et de prendre leur sort en main, car souvent veuves, mères, épouses d’hommes tués ou emprisonnés. Répondant à une question de Leïla Shahid : « D’où vient [...] cette force des femmes palestiniennes dans la remise en cause de beaucoup de choses qui font partie de la tradition ? », Jean Genet avait répondu : « Tout simplement parce que les femmes – la femme arabe en général est d’abord l’esclave de son mari – se libèrent d’abord de leur mari. » (L’Ennemi déclaré, réédité par Gallimard en 2010.) Et Ziad Medoukh, dans un entretien, reconnaît que « le chemin est encore long pour qu’elles obtiennent tous leurs droits ».
C’est le Centre de la paix de l’université Al-Aqsa qui, momentanément, proposa ainsi des ateliers et des formations, comme la participation des étudiants aux activités agricoles et artisanales, comme ce programme de soutien aux enfants traumatisés par les agressions israéliennes et le blocus (presque chaque famille compte un mort, un blessé ou un handicapé) ; ainsi fallait-il aider ces enfants terrorisés comme lorsque dix missiles israéliens détruisirent le centre culturel de Saïd Al-Mishal ; c’est à cela que s’emploient de moins jeunes en apportant leur soutien psychologique, etc.
En note de bas de page, nous pouvons lire une citation d’Abdelfattah Abusrur, directeur du théâtre Al Rowwad : « Il fallait inventer un lieu où rester vivant, en résistant sans aucun compromis, mais en offrant aux enfants d’autres possibilités que celles d’aller se faire sauter dans un bus. »
La Palestine n’avait pas de références historiques non-violentes ; c’est avec la première intifada de décembre 1987, appelée également « intifada des pierres », que naît la pratique d’une désobéissance civile de masse à caractère non-violent (le Hirak algérien s’en inspirera). C’est sans doute pourquoi dans L’économie de résistance, une force libératrice, en préface, Louis Campana, président-fondateur de Gandhi International, n’hésite pas à citer Gandhi :
« L’État représente la violence sous une forme intensifiée et organisée. L’individu a une âme, mais l’État, qui est une machine sans âme, ne peut être soustrait à la violence puisque c’est à elle qu’il doit son existence. »
« La véritable indépendance ne viendra pas de la prise du pouvoir par quelques-uns, mais du pouvoir que tous auront de s’opposer aux abus de l’autorité. En d’autres termes, on devra arriver à l’indépendance en inculquant aux masses la conviction qu’elles ont la possibilité de contrôler l’exercice de l’autorité et de la tenir en respect. »
André Bernard
Ziad Medoukh, Être non-violent à Gaza en collaboration avec Laurent Baudoin et Isabelle Mérian
Culture et Paix éd., 2020, 192 p.
On pourra consulter : « Je refuse de servir dans l’armée israélienne », « Israël : 63 garçons et filles refusent de servir… », « Made in Israël », « Le choix palestinien de la non-violence», « Les principales victoires de BDS en 2017 », etc.
PAR : André Bernard
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1 |
le 10 août 2020 18:34:52 par Luisa |
... et la corruption !!