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Littérature
par Patrick Schindler le 25 février 2023

En Arès, le rat noir hellénophile attend le printemps.

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En mars, Adès n’attaque plus : serait-il devenu antimilitariste ? Comme à son habitude, le Rat noir commence par la Grèce .



Île d’Agisti, « Restes de hors-saison », février 2023. Photo : Thomas Fenolossa.

Avec Maria Iordanidou et ses Vacances dans le Caucase. Vassilis Vassilikos toujours à l’honneur : le fameux « "Z". Suite logique : Dedans, dehors de Naia Damianovitch et Theologos Psaradellis. Toujours en Grèce, une pièce d’Iakovos Kambanellis : Lui et son pantalon. Puis, La ronde de nuit de Patrick Modiano. Les attentifs de Marc Mauguin et pour terminer, cerise sur le gâteau : L’Individuité ou la guerre, le dernier ouvrage de Stéphane Sangral.
« Il est impossible de porter à travers la foule le flambeau de la vérité sans roussir ici et là une barbe ou une perruque » Georg Christoph Lichtenberg

Maria Iordanidou : Vacances dans le Caucase



Maria Iordanidou est née à Constantinople en 1897. Elle vit au Pirée durant sa petite enfance, mais retourne, après le divorce de ses parents, auprès de sa grand-mère à Constantinople. Elle y fait ses études au Collège américain pour filles.
En juillet 1914, on l’envoie en vacances chez un oncle, afin de découvrir le Caucase :
Nous sommes à Constantinople en ce jour de juillet 1914 où Anna vit avec sa mère, sa tante et sa grand-mère, dans le quartier majoritairement habité par des Grecs. Leur parvient ce matin-là, une lettre de l’oncle Alekan qui vit en Russie. Il propose à Anna d’accompagner sa femme française Claude, à Stavropol afin que la petite découvre la ville et passe ses Vacances dans le Caucase (éd. Actes sud, Traduction, Blanche Mafossis).
Mais le voyage s’avère plus que difficile, vu la pagaille qui règne dans la région : la Russie vient d’entrer en guerre contre l’Allemagne et l’Autriche, aux côtés des Alliés. Panique générale dans tout le pays.
Anna va avoir un mal fou à rejoindre Sébastopol. Entre deux trains, elle perd sa tante et se retrouve paumée dans un coin perdu de la région, mais accueillie par des paysans plus que cocasses.
Claude, elle, est bien arrivée à destination et explique qu’elle a perdu la petite en route.
Après un mois passé à la campagne, Anna arrive enfin à Sébastopol avec les premiers blessés de guerre y refluent de partout. Dans un train, elle croise même « le Brave Soldat Svejk » [note] .
Passage absolument délicieux.
Arrivée chez l’impétueuse Madame Fourreau (la tante de Claude), elle s’intègre tant bien que mal, à la vie provinciale de Sébastopol. Pas questions de rentrer à Constantinople, le pays étant paralysé par la guerre.
La misère finit par atteindre la ville « on y crève de faim et comme ailleurs en Russie, le pays n’est plus peuplé que de veuves et de mutilés ». Fous, disciples de Raspoutine foisonnent. Les années passent, et c’est l’heure de la révolution de février 17. Même à Sébastopol, on entend parler de la révolte des marins de Kronstadt, de la dissolution de la Douma, tandis qu’en ville « les servantes, parées de manteaux de fourrure se réapproprient les biens de leurs maîtresses ».
Ici aussi, il n’est plus question que de politique. Passage édifiant sur ce morceau d’histoire vécu en direct. En octobre 17, tandis que la guerre civile fait rage, les affiches proclament dans la ville l’arrêt de la guerre : les Soviets proposent la paix immédiate avec l’Allemagne. Mais quand celle-ci finira-t-elle réellement ? Le détroit de la mer Noire va-t-il rouvrir ?
Anna va-t-elle enfin pouvoir rentrer à Constantinople ? Pas sûr…
Le plus incroyable dans ce récit truffé d’humour et de véracité, c’est le regard que la jeune Maria pose « en spectatrice effarée et éblouie » sur les événement. Elle ne rentrera à Constantinople que six ans après ses « vacances » !
Incontournable récit que Maria Iordanidou ne se décida à écrire qu’en 1962 …

Vassilis Vassilikos : « Z »



Vassilis Vassilikos est né en 1934 à Kavala dans sud du Péloponnèse, issu d’une famille de l’île de Thassos (Macédoine de l’est). Il fait ses études de droit à Thessalonique où il devient journaliste. En raison de son engagement politique, il s’exile en France en 1967, pour échapper à la dictature des colonels. Il y reste sept années et rentre en Grèce où il devient célèbre lorsque Costa Gravas porte son roman éponyme « Z » à l’écran. Avec Yves Montant et Jean-Louis Trintignant dans les rôles principaux.
En 1981, Andréas Papandréou lui demande de devenir directeur des programmes à la télévision.



« Z » de Vassilis Vassilikos (éd. Folio, trad. Pierre Combrerousse). Nous sommes à Thessalonique, quelques jours après la visite (bien encadrée) du général de Gaulle en Grèce. A cette époque, la capitale de la Macédoine est déjà « traumatisée » par l’affaire du « monstre », un criminel en série, Aristis Pagratis, qui sévit dans la forêt de Seikh Sou (Relire la recension du Cycle de la mort). Le soir du 22 mai 1963 à 19h30, le vieux colonel-commandant des forces de gendarmerie de la Grèce du Nord s’ennuie ferme durant la conférence à laquelle il est contraint d’assister. Le ministre de l’Agriculture termine son exposé sur les dégâts du mildiou [note] sur les vignes et passe enfin la parole au Colonel-commandant. Ce dernier part alors dans une diatribe, fervent discours anticommuniste dans lequel il compare les dommages causés par le mildiou à ceux dus au communisme dans le pays ! Tonnerre d’applaudissement.
Au même moment au Club syndical de la ville, « Z », député de l’EDA (Gauche démocratique unifiée), s’apprête à faire un discours devant des militants la Paix.
En marge de ces deux événements, « le Mastodonte » et « l’hychthyosaure », deux dirigeants de l’organisation « confidentielle paraétatique », avec la complicité de la police et de la gendarmerie, règlent les derniers détails d’une action qui a pour but de « foutre une bonne raclée aux rouges » et notamment au médecin et député Z.
Trois pauvres types sont recrutés par un chantage à l’emploi par l’Organisation de la sauvegarde des valeurs de la civilisation helléno-chrétienne dans le quartier pauvre de Toumba. Trois brutes ratées, dont un pédéraste et deux crétins machistes, « convaincus que la cervelle des femmes se trouvent entre leurs cuisses (!) ». Leurs chefs leur demandent de ne pas réfléchir et d’appliquer les consignes à la lettre.
Vassilikos nous projette simultanément dans la tête de chacun des belligérants.
Ce soir-là, toutes les forces réactionnaires sont concentrées dans une contremanifestation qui fait le pied de grue devant le Club syndical, avec une foule de curieux et de simples badauds attirés par les cris. A l’intérieur, Z qui a été frappé au visage par un fasciste, à moitié sonné, termine son discours relayé par des haut-parleurs. Dehors, les contremanifestants hurlent des slogans racistes, jettent des pierres sur le bâtiment et s’en prennent aux quidams qui parmi la foule « ont une tête de rouges ». Comment tout cela va-t-il se terminer ? Comment Z arrivera-t-il à regagner, saint et sauf, son hôtel ?
Et c’est là, où réside toute la force du récit car l’enquête ultérieure révélera petit-à-petit, que tout avait été savamment orchestré en amont. Nous allons alors remonter le cours des événements « Les morts ne parlent pas. Ils arrosent l’histoire de leur sang et n’apprennent jamais ce qui suit leur décès ». Nous allons nous glisser dans la peau de tous les témoins de « l’accident » alors qu’un seul d’entre eux a tout vu ! Faut-il l’éliminer lui aussi ? Voilà pour le contexte.
Dans la dernière partie du livre, nous nous retrouvons seuls avec son « âme révoltée contre son corps qu’elle vient de quitter » dans le train funéraire qui rapporte le cadavre de Z à Athènes.
Magnifique envolée lyrique du talent de Vassilis Vassilikos. Sur le parcours du cercueil dans les rues d’Athènes le cri « Z » (pour « Zei » : il vit en grec) deviendra le symbole de la révolte du peuple grec. Mais l’enquête qui s’éternise n’est pas près d’être terminée, menée jusqu’au bout grâce à un jeune juge et un jeune journaliste pas moins courageux, décidés malgré les intimidations à aller jusqu’au bout, quitte à faire tombe le régime de la Junte des colonels.
Roman historique incontournable qui a inspiré Costa Gravas pour réaliser son film éponyme.

Nadia Damianovitch et Theologos Psaradellis :
Dedans dehors, Résistance, routine et Organisation 17novembre



Theologos est né en 1943 (décédé en 2021). Trotskiste et résistant de la première heure, en 2002, il est arrêté et accusé de faire partie de l’Organisation terroriste 17novembre, est incarcéré dix-sept mois en préventive, avant de bénéficier en décembre 2003, d’un non-lieu et être libéré.



Photo Patrick Schindler

Interview de Nadia Damianovitch au Théâtre Appolon et Dionysos pour le Monde libertaire

Monde libertaire : Nadia, pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?

NDP : Je suis née en Serbie en 1951. J’ai grandi et étudié en France et vis en Grèce depuis 1975. Je me suis politisée à la suite des événements de mai 68 et de mon voyage aux États-Unis pendant le combat des étudiants contre la poursuite de la guerre au Vietnam. J’ai milité, en tant que trotskyste et dans les organisations féministes, avant de rencontrer mon mari et de le suivre en Grèce.

Pouvez-vous nous exposer la genèse de ce livre ?
Il s’agit d’un livre de mémoires partagées, la mienne et celle de mon mari, écrites chacun de son côté. Celui de mon mari est posthume et raconte en détail, son engagement politique précoce dans les Jeunesses Lambrakistes [note] , sa première incarcération sous la Junte des Colonels en 1969, son évasion, son exil et sa seconde arrestation en 2002. Lorsqu’il était emprisonné, son avocat lui avait conseillé d’écrire pour se défendre. Il s’est avéré qu’au fil de l’écriture de ses mémoires, il se transformait lui-même en un antihéros avec une bonne dose d’autodérision. Il aurait eu alors toutes les peines à convaincre un tribunal !...

Et le vôtre ?
Le mien raconte comment je n’ai découvert qu’en 2002, l’engagement antérieur de mon mari. Il avait essayé plusieurs fois de m’en parler, mais je ne le prenais pas au sérieux. Bien sûr je savais que mon mari était un militant trotskiste, nous avions plusieurs amis grecs et français également trotskistes, dont Hubert Krivine. Mais apprendre du jour au lendemain que votre mari est un personnage historique (ne sommes-nous pas tous d’ailleurs, un peu des personnages historiques ?) après avoir vécu tant d’années ensemble, je vous assure que cela fait un choc ! J’avais beau déclarer à la police que mon mari se distinguait des membres de l’Organisation 17Novembre, puisqu’un trotskyste qui se respecte ne peut pas être un terroriste, peine perdue !... Mais tout cela je l’explique en détail dans ce livre (Voir la suite de l’interview après la chronique).



18 juillet 2002. Nadia Damianovitch (Nadia) quitte son domicile et ses deux enfants, à sept heures du matin pour se rendre à son poste de standardiste à l’Ambassade de France d’Athènes. Elle sait parfaitement que depuis quelques jours, des flics sont à ses trousses, mais n’en connait pas la raison. Passant devant un Périptéros [note] , elle aperçoit la Une d’un quotidien qui annonce l’arrestation du fondateur et dirigeant présumé de l’Organisation terroriste 17Novembre. Son nom lui dit vaguement quelque-chose. Au fil de la matinée, elle va de surprise en surprise, tandis que les infos de la mi-journée sur la télé du service de presse, annonce l’arrestation d’un autre membre de l’organisation, tandis que Théologos Psaradellis (Théo) nie en être membre, mais a avoué avoir pris part à un holdup à main armée en 1989 [note] . Or, Théo n’est autre que son mari !
L’ambassade, immédiatement tenue au courant, renvoie Nadia chez elle, lui demande de ne pas venir au bureau le lendemain et lui souhaite « Bon courage » !
Lorsqu’elle arrive devant son domicile, les journalistes qui l’attendent sous un soleil de plomb, l’assaillent. Une d’entre eux lui demande « Quelles sont les opinions de votre mari ? » Pour le distinguer des autres accusés, elle lui répond « Trotskyste, il ne peut donc pas être un terroriste ! », comme le présentait alors les médias. Ainsi commence le témoignage de Nadia.

Sont intercalés ceux rédigés par Théo. Celui rédigé en 2002, écrit de la prison de Korydallos, raconte le début de son histoire. Sa politisation progressive à partir des années 60, tout d’abord dans les Jeunesses Lambrakistes, son premier emprisonnement en 1969, sous la Junte des Colonels. Une bonne occasion d’en connaitre le contexte. Puis, son évasion d’une prison athénienne, son voyage clandestin jusqu’à Mythilène [note]. Episode irrésistible et particulièrement rocambolesque : sa traversée dans une barque vers les côtes de Turquie et ce, au moment-même de l’évasion d’Alexandros Panagoulis, après son attentat manqué contre le dictateur Papadopoulos … Toute une épopée. Ses emprisonnements comme prisonnier politique en Turquie, où il est soupçonné par la police et les agents secrets, d’être complice de c Panagoulis et d’être mêlé aux événements de Chypre. Théo nous en explique le contexte. Il parvient cependant à chaque fois à s’échapper. Arrêté une nouvelle fois en Bulgarie, il est soupçonné cette fois par la sûreté générale, d’activité anticommunisme. Comique de situation ! Véritable « Papillon », il réussit une fois encore à s’échapper. Retour à la case départ : il se retrouve en Grèce où il est condamné à treize ans et demi de prison. En 1972, pendant une « permission exceptionnelle » il parvient une fois encore, à s’évader grâce à la complicité de militants trotskistes grecs, traverse clandestinement la Yougoslavie, l’Italie et rejoint enfin la France. Le tout avec un sacré facteur chance. Nous allons à cette occasion rencontrer une foule de personnages. Touristes suédoises complices, amis trotskistes retrouvés en route, italiens, puis français (dont Hubert Krivine et bien d’autres). Le tout raconté avec une bonne dose d’autodérision, jusque dans les situations les plus graves ou les plus désespérées.

Nadia reprend alors la plume pour nous parler d’elle à partir de mai 68, alors âgée de 17 ans. Elle est en première dans un lycée de Pontoise. Pratiquement seule fille d’ouvriers immigrés (un quart serbe, un quart croate, un quart monténégrine, un quart grecque et le reste française pour la culture, comme elle aime à se définir !), mais à l’époque pas très politisée. Elle n’a participé qu’à une manif unitaire en mai, puis a été initiée aux idées trotskistes par le biais de deux de ses profs. Elle part ensuite un an dans le Maine (Etats-Unis), poursuivre ses études en tant qu’hôte, dans la famille d’un pasteur. Elle fréquente « un peu les hippies », rentre à Paris et s’inscrit à la Sorbonne en langues vivantes. Elle y rencontre Catherine, militante de la Ligue communiste et son petit-ami, Hubert Krivine. C’est par son biais qu’elle rencontre son jumeau Alain et puis enfin, Théo. On lui « confie » ce dernier, puisqu’elle parle grec, afin de lui donner des cours de Français. Tout ce qu’elle sait de lui, c’est qu’il est un prisonnier de la Junte, en cavale. Elle prend plus ample connaissance des ses aventures dans un article paru dans Rouge. A cette époque, il était hébergé, comme beaucoup d’autres résistants, chez Simone Signoret, Place Dauphine, dans l’attente d’obtenir l’asile politique, grâce à l’intervention, entre autres, de Costa Gavras et Jacques Perrin, un des acteurs de « Z » d’après le roman de Vassilis Vassilikos [note] .
C’est le début de leur histoire. « A cette époque, les couples se formaient et se défaisaient, le nôtre tenu, sans doute grâce à nos origines communes de classe et d’immigrés » ! Elle arrête ses études, travaille et s’implique dans la lutte féministe - passage comique lors d’un congrès féministe à Frankfort, entre « radicales du MLF » et « féministes de classe ».

1974, la Junte des colonels tombe. Après un mariage « à la va-vite » le jeune couple rentre à Athènes. Une nouvelle vie commence. Ils emménagent dans Exarchiea le 1er janvier 1975. Nadia nous explique la raison pour laquelle ce quartier à l’époque est « à moitié populaire, à moitié en ruine », ainsi que le contexte social et politique de ces deux premières années après la chute de la Junte. Le couple se partage entre travail (dans une agence de tourisme pour Nadia et typographe pour Théo), la fête et le militantisme. Féministe pour Nadia « dans un pays patriarcal et hypocrite vis-à-vis des femmes » et trotskyste pour Théo, qui a retrouvé ses anciens camarades. Mais sonne l’heure de l’assassinat de Richard Welsch [note] par la « mystérieuse » organisation 17Novembre qui décide de se venger des « collabos des colonels ». L’organisation, ce « cancer invisible », comme la nomme Nadia, celle-ci ignorant ou voulant ignorer que Théo s’en est rapproché. Elle nous explique pourquoi elle est de plus en plus réticente vis-à-vis de ses actions (des assassinats en chaîne) et ce, jusqu’à l’arrivée du PASOK [note] au gouvernement qui « commence par quelques améliorations sociales mais, par démagogie, est incapable de faire face à l’inflation, l’évasion fiscale et le système D ». Après une trêve du 17Novembre, les attentats reprennent, financés par des holdups. Certains indices devraient interpeller Nadia, mais elle ne les capte pas. Elle nous explique alors, dans un long passage, en quoi la guerre civile en ex-Yougoslavie a déclenché en elle, le sentiment qu’une époque était finie, réduisant ses convictions profondes. D’autant que le 17Novembre y participe et pour elle, « pas forcément dans le bon sens » … Puis, l’étau se resserre et arrive le jour fatal du 18 juillet 2002, date de l’arrestation de Théo et de tous les militants présumés terroristes. Alors, commence « le défilé des journalistes et écrivains trash » qui partent à la chasse au scoop.

Elle nous raconte tout, pratiquement au jour le jour. Les stratégies de défense des différents accusés, entre « ceux qui refusent, ceux qui se rétractent et ceux qui se repentent », tous mêlés « dans le même panier de crabe des avocats en tous genres » ! Son récit est entrecoupé de celui de Théo qui, trente ans plus tard, se retrouve enfermé dans la même prion de Korydollos que lors de ses jeunes années !

Dans la dernière partie du livre, Nadia Damianovitch rend hommage au personnel de l’Ambassade de France, qui ne l’a pas lâchée durant tout le procès et a maintenu son emploi, malgré la pression médiatique. Le procès de Théo et des membres du 17Novembre, les mouvements de solidarité aussi bien en Grèce qu’en France, y compris par des personnes désavouant les méthodes de l’Organisation et des jeunes qui ne connaissaient même pas l’histoire de Théo ! Elle nous raconte donc, ces journées où en plus de travailler, il lui fallut à sa fille et elle « gérer la solidarité », selon ses termes. Amis (naturellement, Hubert Krivine et sa compagne écrivaine, Catherine Samary, etc.) parents, inconnus, manifestants de gauche, jusqu’aux anarchistes athéniens. Enfin, dans l’épilogue, Nadia fait le bilan et nous explique pourquoi, aujourd’hui, l’Organisation 17Novembre « lui apparait détestable » !

Suite et fin de l’interview Nadia Damianovitch

Monde libertaire : Vous êtes arrivée aux Etats-Unis, le dernier jour du festival de Woodstock en 69, quelle y était alors l’ambiance ?
Nadia : J’étais inscrite dans une école du Maine (Etats-Unis) où je terminais mon cycle scolaire. J’étais l’hôte de la famille d’un pasteur libéral. Ils étaient très ouverts et cultivés. Musiciens, ils jouaient du classique, mais chantaient également des chansons de Joan Baez, Dylan, etc. Je me souviens y avoir lu également un livre d’Elridge Cleaver. Je fréquentais aussi la fac (High Scool) à Philadelphie. La jeunesse américaine était alors séparée en deux blocs. D’une part les Flower-power et les militants antiguerre et de l’autre, la jeunesse réactionnaire et militariste. On y parlait bien sûr beaucoup d’Angela Davis, des Black-Panthers et surtout, de la guerre au Vietnam.

Vous mentionnez, dans votre livre, votre respect pour les « trois Simone ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus à leur sujet ?
Je respectais beaucoup Simone Signoret, mais je n’ai fait hélas que la croiser à « la roulotte », tandis qu’elle y hébergeait Théo. Simone de Beauvoir était très importante pour moi comme pour toute ma génération. J’avais dévoré ses mémoires de jeunesse, bien sûr Le Deuxième Sexe qui résumait parfaitement nos luttes et revendications féministes. Enfin, j’ai un énorme respect pour la Simone Veil qui s’est si bien battue pour faire passer à l’Assemblée, la loi légalisant l’avortement. Féministe convaincue, j’ai été ravie que le Nobel soit décerné cette année à Annie Ernaux, qui a été tellement critiquée pour avoir parlé de l’IVG dans ses livres.

Votre aventure au Congrès féministe de Frankfort vous ait fait mettre le doigt sur les divisions, non seulement des différentes tendances trotskistes, mais aussi entre les féministes ?
Oui, à cette époque, les féministes radicales, dont celles de Psy&Pol s’affrontaient avec les féministes dites « de classe ». C’était un temps où l’on débattait beaucoup et fatalement, cela causait des scissions. Mais vous, en tant qu’ancien militant du FHAR, vous avez dû aussi connaitre cela avec le MLF [note] !

Lors de la présentation de votre livre au Théâtre athénien Appolon et Dionysos, vous avez bien expliqué, avec la complicité de votre ami « Manu », le contexte en Grèce pendant et après la Junte. Puis comment vous vous êtes trouvée en même temps « en dedans et en dehors [note] » des événements et par extension, de l’Organisation 17Novembre. Où vous situez-vous à présent par rapport à tout cela ?
Disons, pour schématiser, que lorsque l’on sort plus ou moins indemne d’une telle aventure, on prend naturellement de la distance, non seulement avec les événements, mais aussi forcément avec ses convictions premières. Le rêve d’un Grand Soir, certes aujourd’hui, j’ai arrêté d’y croire ! Et vu le contexte géopolitique actuel, bien que reconnaissant qu’il y aurait encore beaucoup de choses à améliorer dans le système de l’UE, on ne peut que la soutenir face aux intimidations autocratiques.

Une dernière question pour nos lecteurs. Vous est-il arrivé de croiser des anarchistes durant cette période ?
Oui, bien sûr j’en ai croisé, forcément, dans les manifs ou ailleurs, mais j’avoue qu’après notre conversation et nos échanges, j’ai envie d’en connaitre encore d’autres !

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Iakovos Kambanellis : Lui et son pantalon



Iakovos Kambanellis est né en 1921 sur l’île de Naxos. Poète, dramaturge, scénariste et romancier, il est le sixième des neuf enfants d’une famille nombreuse. Iakovos Kambanellis est apparu comme l’un des dramaturges grecs les plus éminents du XXe siècle et il est considéré comme le père du théâtre grec moderne. En tant que survivant du camp de concentration de Mauthausen-Gusen, il a écrit, outre ses souvenirs du camp, les paroles de la Trilogie de Mauthausen sur la musique de Mikis Theodorakis. Il a écrit également les scénarios d’au moins 12 films, en a réalisé trois, ainsi qu’une centaine de chansons. De 1981 à 1987, il a été directeur de la section Radio de la Société nationale grecque de radiodiffusion (ERT). En 2000, il est élu membre de l’académie d’Athènes. En 2011, Kambanellis est transporté d’urgence à l’hôpital en raison d’une insuffisance rénale et décède à l’âge de 89 ans.



En introduction à Lui et son pantalon (trad. E Guimmara) que les éditions Demos ont envoyé au Rat noir, Solange Festal-Livanis nous présente en détail, la vie et l’œuvre de Iakovos Kambanellis.
Dans les grandes lignes, il est un des fils d’une famille pauvre et nombreuse, travaillant jeune, il est déporté au camp de Mathausen. Il est de retour en Grèce à la Libération, et y arrive en pleine guerre civile, mais y découvre la magie du théâtre. Ne pouvant entrer au Conservatoire à cause de son faible niveau d’études secondaires, il écrit une série de pièces, hantées comme celles de Samuel Beckett, par le « rien », la solitude et l’absurdité du monde.

Lui et son pantalon a pour décors une chambre de célibataire. Toute la pièce tourne autour de son vieux pantalon déchiré qu’il doit impérativement recoudre pour pouvoir aller travailler le lendemain. Mais autour de lui, les objets s’animent mais restent muets lorsqu’il s’adresse à eux. Ils les engueulent et s’en suit un long monologue interrompu par l’intervention d’une voisine qui lui demande par la fenêtre de « faire le loup » pour forcer son fils à manger. Il reprend son monologue dans lequel apparaissent des bribes de son passé, sa mère, une femme et des voisins envieux et mal intentionnés. On sent que partout rôde la peur et les contraintes dues à une dictature. « C’est ça la magie du monologue », disait Iakovos Kambanellis, « cette solitude d’un seul personnage sur scène, solitude qui liquéfie les réalités concrètes environnantes en les rendant matière de l’imagination du rêve, de la pensée, leur donnant ainsi un supplément de signification et d’espace ».
Et ça fonctionne !

***
Pour nos ami.es Athénien.es : Le Théâtre Imeras d’Athènes présente Lui et son pantalon, joué en français, les 16, 18 et 19 mars prochain. Information / Réservations : Gennimata 20, Ampelokipoi, Athinas 11524. Tel : 210 69 29 090 (95 777)
info@theatro-imeras.gr & www.theatro-imaeras.gr





Patrick Modiano : La ronde de nuit



Jean-Patrick Modiano est né en 1945, à Boulogne-Billancourt. Il est l’auteur d’une trentaine de romans primés par de nombreux prix. Axée sur l’intériorité, la répétition et la nuance, son œuvre romanesque se rapproche d’une forme d’autofiction par sa quête de la jeunesse perdue. Elle se centre essentiellement sur le Paris de l’Occupation.



La ronde de nuit (éd. Folio), est un petit roman autobiographique en forme de rébus.
Un jour, en se promenant par hasard rue du Montparnasse, Jean, le narrateur passe devant l’Hôtel Unic. Il lui évoque de plus ou moins vagues souvenirs et quelques noms : Dannie, Paul Chastagnier, Gérard Marciano, Aghamouri, Dulwez et un certain Georges.
Brides d’instants rescapés du passé. Des détails lui reviennent dans le désordre, par saccades « Comme dans ces rêves dont il ne reste qu’un vague reflet au réveil et qui s’efface au cours de la journée ».

Son petit carnet de notes noir, miraculeusement échappé du passé (et parsemé de considérations sur Tristan Corbière, Jeanne Duval et Baudelaire, Restif de la Bretonne, Charles Cros), va l’aider à reconstituer la toile de fond des événements, (espèce de nébuleuse), qui se sont alors déroulés.
Des années après, il va essayer de comprendre ce qui s’est joué sous ses yeux, « alors simple spectateur passif » et tout reprendre, depuis le début.
Ces scènes qui se sont déroulées dans le quartier Montparnasse, puis dans une maison de campagne en Sologne et enfin, dans l’Eure-et-Loire. Petit-à-petit, les personnages de la petite bande de l’hôtel 66, qu’il voyait évoluer « comme s’ils étaient derrière la vitre d’un aquarium et cette vitre nous séparait, eux et moi », vont reprendre leurs places, telles les pièces d’un puzzle.
A commencer par cette « Dannie », femme énigmatique qui l’avait entrainé dans cette folle aventure entourée de mystères, de faux papiers. Elle et ses amis, tous plus ou moins louches, trafiquants ou étrangers, dans un Paris qui en 1964, était pollué par les rafles anti-algériennes.
Militants politiques ou bandits ? Les deux ?
Toutes ces questions que Jean se pose vont trouver un commencement de réponse le jour où il est convoqué dans le bureau d’un inspecteur et grâce à son fameux petit carnet noir qui comblera les trous de mémoire. Une espèce de polar… bucolique !

Marc Mauguin : Les attentifs



Ancien professeur de lettres, Marc Mauguin est comédien de théâtre. Après une première formation universitaire, durant laquelle il obtient une maîtrise de Lettres Modernes en 1984, puis le CAPES, il décide de ne reprendre des études universitaires qu’une décennie plus tard et obtient alors, une maitrise d’études théâtrales. Depuis, il vit et travaille entre Paris et Étretat.



Les Attentifs (éd. R Laffont) : douze petites nouvelles qui se déroulent pour la plupart, dans les lieux de villégiature de riches familles de la côte est des Etats-Unis.
Elles mettent en scène des personnages qui « se croisent sans se voir, solitaires détruits ou simples rêveurs ».
Dans la première, la narratrice se remémore avec nostalgie, les jours anciens passés dans sa maison familiale de vacances, tandis qu’elle constate que depuis, « sa vie s’était passée sans rien lui avoir apporté de tangible. Avec la conviction de n’avoir rien vécu ».
Dans une autre, une bonne ayant épousé son patron veuf et s’étant occupé de ses quatre enfants, s’aperçoit après la mort de celui-ci, qu’elle n’est restée pour eux… qu’une bonne !
Que sont finalement ces grands-mères, mères et filles de grandes familles américaines, sinon autant de putains ?
Pour quelle raison une femme reste enfermée chez elle toute la journée avec sa mère ?
Afin d’oublier quelle scène affreuse ?
L’histoire ensuite, d’une secrétaire de direction un peu trop naïve, tombée amoureuse d’un beau garçon qui la surnomme « Bêbête ».
Pourquoi une autre femme tarde tant à regagner son domicile, pourquoi déteste-t-elle à ce point sa belle-mère ? Pourquoi une autre encore, fait semblant dans un wagon Pullman, de ne pas reconnaitre sa voisine, qu’elle a pourtant connue très intimement, des années auparavant ?
Comment continuer à vivre avec un homme qui est revenu de tout ?
Comment supporter la mort annoncée d’une mère adorée, sans pour autant cesser « d’être forte » ?
Que peut bien pouvoir faire un gamin retiré très tôt de l’école, entre ses deux parents austères et taiseux, propriétaires d’une station-service rétro qui périclite, perdue au milieu d’une forêt ?
L’histoire banale d’une femme soumise dans une famille américaine typique des années 50. Enfin, que peut bien faire un vieux couple de clowns, licenciés par leur patron « parce qu’ils ne font plus rire personne » ?

Lorsque l’on aborde avec quelque réticence au début, l’univers confiné de ces familles est-américaines des années 30 aux années 60, on étouffe un peu. Puis, au fil de ces pages écrites dans un style direct et émouvant, la plupart des personnages, même dans les pires situations, ne se déparent jamais d’une certaine dignité et sérénité intérieure, souvent chère payée. Lorsque l’on quitte ce petit recueil, c’est à regret : on en voudrait encore !


Stéphane Sangral : L’individuité ou la guerre



Stéphane Sangral est né en 1973. Poète, philosophe et psychiatre. Son esthétique tourne autour de la figure de « l’individuité » et son œuvre peut se résumer à une interrogation sur « l’étrangeté de l’être, et plus précisément d’être conscient, et plus précisément d’être conscient d’être conscient ! » Il vit et travaille à Paris.



Notre ami Stéphane Sangral a envoyé son neuvième volume : L’individuité ou la guerre (éd. Galilée). Quel plaisir de retrouver notre philosophe, psychiatre et poète anar, résolument antimilitariste, bien connu des lecteurs du Monde libertaire. Cette fois-ci, il ne nous demande rien de moins que choisir entre « l’individiuté », ou la guerre !

Commençons la première partie du livre : « l’individuité… et l’azur… jusqu’au bout du miroir ».
Toujours aussi bavard, notre Stéphane. D’ailleurs, il en a tant à dire qu’il ne sait par où commencer ! Essayer de définir l’individuité ? Soit. Individuité : « Désacralisation de tout groupe et sacralisation à égalité de tout individu ». Stéphane distingue en effet, le « groupe identitaire », basé sur des critères arbitraires (couleur de peau, région d’origine, genre sexuel, religion « Si Abraham avait refusé de tuer son fils, il aurait inventé l’individuité »), de celui du « groupe phénoménal » (affinitaire, de construction ou d’intérêts communs). Jusqu’à plus soif, il va alors décliner leurs oppositions. Y compris en prenant un exemple concret : comment rapprocher un groupe de pâtissiers et un groupe de boulangers ? Puis, comment les séparer ? Stéphane Sangral nous emmène ensuite nous promener à travers quelques repères historiques.
Tout y passe. De la philosophie antique, celle des Lumières, puis le romantisme et cela jusqu’aux conséquences d’Internet sur l’individu. L’individuité, « la plus grande révolution politique de tous les temps », selon Stéphane !
Au passage, il s’arrête sur le slogan Ni dieu, Ni maître qui, « malgré quelques dévoiements, est l’axiome le plus efficient pour définir la nouvelle place de l’individu dans la collectivité ».
De digression en digression, Stéphane nous entraîne dans la signification du « je » versus / « la culture de l’écrasement du soi ». Nous voici pris dans un tourbillon de boucles, son fétiche.
Un seul exemple : « Comment transcender le vertical d’une hérédité génétique et l’horizontal d’un environnement physique ? »
Ah, ah !... Ainsi progresse Stéphane sur la définition de l’individuité. Comment sortir de nos prisons « construites en plein cœur de l’Empyrée » ? En dressant l’individuité comme mur contre le fléau identitaire ?
Stéphane n’épargne pas au passage, la « conscience collective, ces égoïsmes collectifs, perversités de masse, notion plus que stupide et dangereuse ».
Il s’attaque ensuite au concept d’éthique, opposé à celui d’une morale « qui ne demande à l’individu que de se taire et obéir ».
Petit détour sur l’essentialisme « cette essence de la pensée réactionnaire ».
La religion ? « Dieu vient du dehors et nous viole, l’individuité vient du dedans et nous fait l’amour » !
Pour conclure cette première partie, Stéphane passe au peigne fin, 70 exemples concrets reflétant « le désir d’émergence d’une ère de l’individuité, se substituant progressivement à l’ère des « sacralités groupales », ces dernières ne revenant qu’ « à être fier de se constituer prisonnier, esclave et chair à canon » !

Abordons la seconde partie de l’essai. C’est à dire : l’antithèse de l’individualité, ou : la face hideuse du groupe identitaire qui conduit à la guerre, « jusqu’à en bouffer à satiété et en tomber malade » !
Pour Stéphane Sangral, « L’air des sacralités groupales est encore là, résistante, ardente, agissante, puissante, souvent malfaisante ».
Même cheminement intellectuel qui celui développé dans la première partie : en premier lieu, les définitions des pulsions guerrières. Soixante-dix points qui abordent les différents thèmes induits par le militarisme « cette soupape identitaire ».
Les nationalités, cet « habillage symbolique » et parfois, physique. Sa déclinaison : le nationalisme « cette doctrine de la peur et de la haine des autres, pris dans l’étau de ses frontières, cet égoïsme souffrant d’obésité morbide ». Beaucoup de questions. Juste quelques-unes pour la bonne bouche :
Peut-on se montrer fier de sa nationalité ?
Pourquoi la France a-t-elle transformé une date historique en un gigantesque défilé militaire ?
L’ONU : 197 fauves identitaires jetés dans l’arène planétaire ?
Les frontières : le jeu préféré d’une humanité infantile ?
Les Drapeaux : tâches pauvrement constituées de quelques couleurs criarde ?
Le patriotisme : « Un soldat qui veut faire l’amour avec sa patrie et ne se rendant pas compte à quel point il se fait baiser par elle » ?
Les Militaires : « Culte de la force, la pire faiblesse des humains qui défendent le meurtre légitime » ?
Les Patriotes : « personnes qui sacralisent les territoires au point d’en faire des cimetières » ?
A présent, quelques réponses, glanées par-ci par-là :
Le seul devoir du militaire : « ne plus l’être, déserter ! »
Les armées : « Grotesques théâtres de marionnettes faisant du monde un théâtre d’ombre » …
Stéphane de se demander entre deux souffles, pourquoi tant de noms de rues portent ceux de grands criminels de guerre ? Et quid des gangs de rues : « Des clans qui se fabriquent des ennemis dans les Autres » ?
Retour aux définitions.
Le militarisme : « Une pathologie éminemment grave entraînant une flambée de symptômes psychopathiques très sévères ». Les terroristes : « Des petites mains ringardes et nostalgiques du « jeu de la guerre » ?
Les militaires, encore : « Des animaux extrêmement dangereux ressemblant à des humains dans ce qu’il y a de pire » ?
Stéphane s’interroge longuement sur les différences qui peuvent exister entre un policier et un militaire. Puis, sur l’antimilitarisme, ses limites, ses variantes et la portée de ses convictions. Quelque fois une petite suggestion tombe fort à propos : « Les folies meurtrières jamais ne s’enrayent mutuellement, elles se potentialisent mutuellement » ! Les Conquérants : « Des associations de malfaiteurs obsessionnels de l’élargissement des frontières ». Encore et toujours, des réflexions sur la guerre, « ce repas pantagruélique que s’offre de temps en temps la mort » ?
Stéphane nous fait réfléchir sur les lieux communs, tels que « Si tu veux faire la paix, prépare la guerre » !

Puis, lors d’une pose bienvenue, il nous propose d’imaginer un gouvernement mondial démocratique « capable, en théorie, de rendre les guerres aussi rares que les guerres civiles dans les pays démocratiques ».
« Utopie ! » Lui rétorque un personnage contradictoire, s’en suit un dialogue incluant le long comptage du nombre effrayant d’armes de destruction massive, ces 17 000 armes nucléaires présentes sur la planète ... Pour quoi faire ? Par peur ? Peur de quoi ?
Il analyse ensuite les paroles des chants patriotiques. L’absurdité de la phrase « Qu’un sang impur abreuve nos sillons » dans La Marseillaise, ce « chant nationaliste et identitaire par excellence ».

Il ne fallait pas le brancher sur le sujet car Stéphane se montre intarissable : il enchaîne sur la barbarie, les génocides, cette « condamnation à mort d’individus pour le simple crime d’être différents et d’exister, ce monstre aux milliards de tentacules ». Et ceci, sur une quinzaine de pages. Stéphane dans son élan, citant alors en vrac, tous ceux perpétrés depuis Alexandre « le Grand » jusqu’à nos jours, dans une gigantesque danse macabre ! Une fois encore, il dialogue avec un contradicteur imaginaire qui lui reproche d’avoir mélangé dans sa liste : les infanticides, les victimes de l’Inquisition, les meurtres de tueurs en série, les otages, etc. Et Stéphane de se justifier, puis de s’excuser d’avoir été obligé de les « hiérarchiser », et de n’avoir pas eu la place d’y inclure tous les milliers d’oubliés.
Il s’interroge enfin, sur le rôle et l’efficacité des tribunaux internationaux, avant d’essayer de conclure, de nous faire réfléchir une dernière fois sur les génocides, cherchant à décortiquer ce qui peut bien se cacher derrière une phrase comme : « Comment les nazis pouvaient tuer les gens toute la journée et écouter du Schubert le soir en rentrant chez eux ? » Ou bien, le trop facile : « Plus jamais ça », lancé par des gens qui ne font rien d’autre que de préparer la prochaine !

Finalement : l’Individualité ou la Guerre ? Et une agréable surprise : tout au long de son long, passionnant et passionné exposé, Stéphane Sangral en appelle aux « dits » de son cher Stéphane Mallarmé, l’auteur de « Un coup de dé jamais n’abolira le hasard ». Aux dits d’Albert Camus, notamment : « Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère ». On y découvre aussi un Dante couronnant Virgile « roi et pape », l’ironie macabre d’un Guillaume Apollinaire lançant tout guilleret à l’entrée de la Première guerre mondiale, un provoquant : « Ah, dieu, que la guerre est jolie ! », lui qui en reviendra trépané deux ans plus tard !...

Encore merci à toi, Stéphane, de la part de tous les antimilitaristes, pour ce moment intense de psychanalyse gratuite. Elle fait un bien fou à nos pauvres cerveaux par trop intoxiqués et dépassés par le flux et l’omniprésence quotidienne, de tous les slogans des « va-t-en-guerre » !



Photo, choquante, de la devanture d’un magasin ayant pignon sur rue dans le quartier de Plaka (Athènes), prise par Patrick Schindler (auteur de Contingent Rebelle, éd. L’Echapée).

Patrick Schindler, individuel FA Athènes













PAR : Patrick Schindler
individuel FA Athènes
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le 11 mars 2023 10:29:06 par Mishko

Quel travail formidable et exemplaire tu fais ! C’est toujours un plaisir de te lire et de découvrir tes postes. Plein de bisous Patrick.