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par Patrick Schindler le 6 juin 2021

Un bon juin, de bons livres, voilà le rat

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Ce mois-ci, le Rat noir a grignoté des Contes de Grèce et de Chypre ; la merveilleuse histoire de Konstantin Théotokis sur Le peintre d’Aphrodite ; il a ensuite fait un petit tour dans la mythologie grecque avec le Thésée de Gide ; enchaîné sur l’époustouflant Ciel de nuit blessé par balle d’Ocean Wang et a terminé son déjeuner avec petit essai sur le journalisme d’aujourd’hui.

Contes de Grèce et de Chypre




Les éditions Aiora ont convié le rat noir à venir chercher Les Contes de Grèce et de Chypre dans leur librairie, située dans le quartier des Universités d’Athènes. Ce petit livre fort agréable à lire (15€) contient une vingtaine de contes rescapés de la tradition orale hellénique. Un temps où les conteurs de Chypre, de l’île de Samos, de Symi, de Tinos, Skyros, de la Crète ou encore d’Athènes, de Thrace ou de l’Epire, savaient conter. Et fort heureusement pour nous, des passionnés dont Nicolas G. Politis et Georges Mégas, les ont retranscrits après les avoir écoutés lors de veillées, les sauvant ainsi de l’oubli. L’ensemble de ces textes est loin d’être uniforme et c’est bien ce qui en fait tout le charme. Certains de ces petits contes se veulent naïfs comme Le crabe et le serpent ou Le bucheron et le lion, n’en sont pas moins charmants et véhiculent une espèce de morale digne des contes d’Esope, copiés plus tard par Jean de La Fontaine pour ses fables, ou dans les contes de Charles Perrault ou des frères Grimm. Ainsi Le Prince endormi rappelle le thème de La Belle au bois dormant. D’autres contes, comme Vénus et Sirius ont une forme et une chute beaucoup plus oniriques. D’autres encore, comme Les Rameaux d’or véhiculent les profondeurs psychanalytiques de récits plus anciens où l’on retrouve sous un autre nom, des visages connus issus de la mythologie grecque antique. Ainsi dans Le Moine (le moine étant le cadet d’une famille de trois garçons que son père appelle ainsi car il a le nez toujours fourré dans les livres), on reconnait dans les personnages monstrueux qu’il va rencontrer sur son chemin, le dieu primal Ouranos, l’époux de Gaïa qui mangeait ses enfants les Titans à fur et à mesure, pour les empêcher de lui voler sa suprématie. Que peut-il bien se trouver dans Le nombril de la terre ? Dans Les trois filles à marier, on retrouve les thèmes de la tragédie d’Œdipe, transcrite dans une version de vulgarisation populaire. Parfois, comme dans Le pommier du roi, on se prend à sourire lorsqu’une jeune fille en difficulté se trouve sauvée d’un mauvais pas, puisque magicienne. La légende d’Acrocorinthe revisite sous un angle fabuleux, le mythe d’Aphrodite. Les kalikantzars nous présente des démons qui se déclinent sous diverses formes selon qu’ils sont grecs, chypriotes ou des Balkans. Ils peuvent se montrer aussi vicieux ici qu’inoffensifs, idiots et ont tous pour trait commun d’être laids. Comment se débarrasser du monstre Troisœil ? Un joli conte, La clochette nous entraîne dans l’univers magique du petit Nikolis. Un autre encore nous raconte Comment apprendre à bien jouer de la lyre crétoise. Et, on n’est pas déçus de la méthode ! La chute absolument divine du conte Les œufs est digne d’une pièce d’Aristophane, tout comme celle, désopilante, des Quatre-vingt-dix-neuf poules et un coq. En fin de volume, Gilles Decorvet nous donne la définition et l’origine de ces créatures fantastiques aux pouvoirs fabuleux croisées tout le long de ce petit livre unique, comme les drakos (dragons), les gorgona et autres strigla (sorcières) ayant leur réplique dans tous les récits traditionnels. Ces contes ne sont pas uniquement réservés aux petits pour les endormir ou leur faire faire des cauchemars, loin de là. Et ils sont tous vrais, puisque le conteur nous les raconte !

Konstantin Théotokis




Konstantin Théotokis est un personnage contradictoire. Né en 1972 à Corfou, ce descendant d’une grande famille byzantine aristocraique vient étudier les mathématiques et la physique à la Sorbonne en 1889, avant de revenir à Corfou et d’épouser une aristocrate austro-hongroise. Beau parti qui lui permettra de vivre aux crochets de sa fortune. En 1896, il s’engage comme combattant volontaire en Crète. Puis, éternel étudiant qui parle une dizaine de langues et également un grand traducteur de Shakespeare, Flaubert, Goethe, Heine, etc. En Allemagne, il se lie d’amitié avec l’écrivain grec Constantin Chatzopoulos, membre du parti social-démocrate allemand qui l’initie à la pensée socialiste. De retour à Corfou, engagé aux côtés de Vénizélos, il renonce à l’héritage paternel et à son titre pour organiser un groupe socialiste corfiote et participer à la fondation du parti socialiste grec. Symboliste décadent, il écrit Le Peintre d’Aphrodite en 1904, publié en 1905 sous le titre Apellis (Apelle). Il accède à la notoriété par ses nouvelles paysannes (Histoires corfiotes).

Le peintre d’Aphrodite




L’action du Peintre d’Aphrodite, traduit par René Bouchet pour les éditions Aiora (10 €) débute dans les faubourgs d’Ephèse, dans le luxueux atelier du grand peintre célèbre Apelle, connu dans toute la Grèce. Son esclave introduit un jour dans l’atelier, un autre peintre, Protogène (un nom chéri de toutes les muses), Rhodien, chez le maître. Il vient pour le remercier. Protogène apprend à Appelle que le roi Alexandre, ce Macédonien qui a vaincu Darius, arrive à Ephèse. Appele se méfie de son arrogance, mais s’apprête néanmoins à le recevoir, lui l’esthète, puisqu’il parait qu’il est si beau et envisage de faire son portrait. Le jour où Alexandre pénètre dans la ville, Appele ouvre grandes les portes de son atelier mais ne sort pas pour l’accueillir. Alexandre, vexé mais amusé, fini par être séduit par ce peintre revêche. Il est accompagné de Campaste, une de ses esclaves dont la beauté subjugue le grand peintre qui va tomber amoureux de sa beauté. Mais encore plus par celle de son frère Dionysodore, image par excellence des canons de la beauté grecque virile. Voilà pour le contexte. Va s’ensuivre une aventure épique et pleine de rebondissements entre ces quatre personnages. Konstantin Théotokis nous entraîne dans un univers marqué d’un des plus grands mythes de l’antiquité, celui de Prométhée, revisité. Ce petit texte ayant été écrit en 1904, il n’était alors pas question de discuter de la « virilité » d’Alexandre et encore moins d’aborder son homosexualité et sa relation amoureuse avec Héphaïstos son fidèle amant. Ce que firent d’autres biographes plus tard, dont Klaus Mann. Théotokis lui, place plutôt au centre de la scène, Campaste, issue de l’imagination de Pline l’Ancien ce qui ne fait que rajouter à la puissance homérique de Théotokis.

André Gide et les mythes de la Grèce antique




André Gide est né en 1869 à Paris. Son père, protestant d’origine cévenol, professeur de droit romain en faculté, meurt en 1880. Sa mère, une grande bourgeoise normande lui donne une éducation stricte. Malgré une scolarité en dent de scie, il obtient le baccalauréat et acquière une solide culture. Après une amitié intense et tourmentée avec Pierre Louÿs, il tente de s’intégrer au milieu littéraire postsymboliste. C’est une rencontre avec Oscar Wilde et un voyage initiatique avec Paul Albert Laurens qui le font rompre avec le protestantisme et vivre son homosexualité. A partir de 1889, il se consacre entièrement à la littérature. Bien que son œuvre soit généralement envisagée sous un point de vue esthétique (avec des traductions de grands auteurs), devenue la référence pour toute une génération finira par lui faire recevoir le Prix Nobel. Engagé à gauche, Gide rompt avec le communisme après un voyage en URSS en 1936, et publie deux ouvrages à ce sujet qui lui feront avoir beaucoup d’ennemis. Devenu solitaire après les désillusions de la Seconde guerre mondiale, il meurt en 1951.

Thésée




André Gide a mis plus de vingt ans à élaborer ce récit, le dernier publié de son vivant. Il s’inspire des grands mythes grecs de l’antiquité, sans aucun souci d’historicité et présente une multitude d’interprétations. Le principal de l’action se déroule en Crète où Thésée (fils d’Egée -ou Poséidon- et d’Ethra) s’embarque avec son fidèle ami Pirithoos et arrive dans la cour du roi Minos -fils d’Europe et de Zeus déguisé en taureau. Thésée, en tant que prince est présenté à la famille royale et invité aux réjouissances. Il s’y sent mal-à-l’aise « Parmi tant de raffinement, je me faisais l’effet d’un sauvage et ma maladresse s’augmentait de ce qu’elle prêtait à sourire. » Ariane, la fille ainée de Minos tombe amoureuse de lui, tandis que Thésée est attiré par sa petite sœur, Phèdre. On le suit ensuite dans son combat contre le Minotaure du labyrinthe, dont il sort victorieux. Grâce à quel stratagème ? André Gide s’écarte souvent du mythe et fait accomplir à Thésée bien d’autres exploits avant qu’il ne devienne roi d’Athènes. Descente aux enfers, rencontre avec Icare et Hélène de Troie. Puis, Thésée devenu vieux fait, en compagnie d’Œdipe l’aveugle (pour lequel l’obscurité s’est transformée en lumière), le bilan de sa vie pour conclure par un magnifique et définitif : J’ai vécu ! Ce récit qui semble parfois « décousu » de fil blanc a néanmoins toute son importance pour qui souhaite découvrir André Gide. Les grandes étapes de son évolution intellectuelle de sa vie et de ses réflexions philosophiques et esthétiques. Mais, est-ce Thésée ou Gide qui confie in fine, à Œdipe « Je reste enfant de cette terre, et je crois que l’homme, aussi taré que tu le juges, doit faire jeu des cartes qu’il a » ? Ou bien encore : « Les hommes, lorsqu’ils s’adressent aux dieux, ne savent pas que c’est pour leur malheur, le plus souvent, que les dieux les exaucent » …

Ciel de nuit blessé par balle




Les éditions Mémoire d’encrier ont envoyé au rat, Ciel de nuit blessé par balles (traduit par Marc Charron, 12€) d’Ocean Vuong, poète américain né au Viêtnam. Il s’agit d’une petite bombe de poésie. « Quand ils te demandent d’où tu viens, dis-leur que ton nom a pris forme dans la bouche édentée d’une femme de guerre. » C’est sur cette révélation que s’ouvre ce petit recueil d’une poésie toute particulière. En effet, si la mère vietnamienne d’Ocean Vuong n’avait pas été violée par son père, un soldat américain, le petit Ocean ne serait pas né ! Il y a de dures réalités auxquelles on ne peut échapper. « Un soldat américain a baisé une jeune fermière vietnamienne. D’où le fait que ma mère existe. D’où le fait que j’existe. Merde » Il ne faut pas être grand clerc pour le comprendre de page en page. Des allusions murmurées, on ne peut plus imagées « Une tombe de laquelle on s’extirpe, mais il fixe déjà son col le champ de maïs une cruauté brûlante comme le fumier tu te barbouilles le cou de rouge à lèvres tu te rhabilles mais tremblantes tu dis merci, merci, merci. » Une Ocean qui demande à sa mère : « Dis-moi que c’était pour la faim et rien d’autre ». Cris d’une terreur rétroactive « Le garçon feint le sommeil alors que son père le serre plus fort » Et toujours, la quête des origines « Je ne sais rien de mon pays. Je note des choses. Je construis une vie, puis la détruis et le soleil continue de luire. » Et puis, tout-à-coup, au détour d’une page, une toute petite phrase suffit à Ocean pour nous faire connaître au passage, l’histoire d’un Nguyen Chi Thien, poète dissident au régime communiste vietnamien qui a passé au total plus de 27 ans emprisonné « Lorsque les gardiens de prison ont brûlé ses manuscrits il n’a pu s’arrêter de rire, ses 283 poèmes déjà en lui. » Mais la magie de ce petit recueil, c’est qu’il n’est pas uniquement un rappel des douleurs enfouies et présentes dans l’ADN, mais surtout qu’elles sont contrebalancées par des phrases d’une beauté, d’une rareté qui en deviennent presque factices tellement elles brillent ! Echos de nuits solitaires et parfois partagées. Comme le charme d’une belle caresse reçue après une terrible claque !...

Que je suis bête. Je croyais que l’amour était vrai
Et le corps imaginaire.

***
Une flaque de ciel sur terre
***
Il est entré dans la chambre comme un berger tout droit sorti d’un Caravaggio
***
Ocean, Ocean, lève-toi. La plus belle partie de ton corps est là où il se dirige.
***
« Si tu dois savoir une seule chose, sache que le plus difficile est de vivre une seule fois.
***
J’ai regardé par le trou de la serrure, non pas
L’homme qui se douchait, mais la pluie
Qui le traversait : des cordes de guitare se brisant
Sur ses épaules galbées.

***
Comme la lumière
Retient son ombre
En l’avalant

***

Qu’est devenu le journalisme ?




Le rat a aussi également reçu ce mois-ci, Journalisme (éd. Anamosa, 9€) d’Olivier Villepreux dans lequel, outre des rappels au contexte premier de l’exercice du journalisme en France, l’auteur revient sur des notions intéressantes qu’il est bon de rappeler.
Telle, le fait qu’en Europe, la liberté d’expression est protégée par la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg. Certains l’avait oublié : elle a pour mission d’examiner sur le fond en dernier recours, s’il y a lieu de rejuger la légitimité de la diffusion d’une information donnée.
L’auteur aborde ensuite la question de la liberté de la presse, remise dernièrement en question avec le projet autoritaire de la loi de sécurité globale du 24 novembre 2020 (article 24), défendue par le ministre de l’Intérieur Gérard Darmarin, qui entendait « contrôler et punir la diffusion d’images de policiers dans l’exercice de leur fonction pouvant porter atteinte à leur intégrité physique ou psychique. » Notion bien impénétrable, s’il en est ! Mais après qu’il a eu été retoqué, le législateur revenait discrètement à la charge pour le reverser à l’article 18 du projet de loi contre les séparatismes. Ce qui signifierait plus précisément, que « toute information impliquant un policier dans l’exercice de ses fonctions serait susceptible d’être examinée et jugée délictueuse » …
Dans un autre chapitre, Olivier Villepreux nous parle d’un secteur journalistique français devenu schizophrène, puisque soumis aux soupçons de conflits d’intérêts. Avec au premier plan, les patrons dirigeant des sociétés dites d’information par actionnariat (Boloré, Arnault, Niel, Drahi, Pinault, Dassault, Lagardère, Pigasse, etc.) qui détiennent près de 90 % des grands médias français. Qui n’ont aucun scrupule à licencier abusivement d’éventuels journalistes n’entrant pas dans leur ligne éditoriale. Qui pratiquent sans vergogne et au fil des intérêts des actionnaires : cessions, chantages à la rentabilité et autre commercialisation des contenus.
L’auteur rappelle ensuite à juste raison aux plus jeunes, la mission des journaux nés de la Résistance contre la presse collaborationniste de Vichy. Mais qu’est-elle devenue 75 ans plus tard ? C’est ici qu’Oliver Villepreux en vient au virage effectué par la presse par l’arrivée foudroyante d’Internet. Il y fait une analyse percutante en expliquant en détail comment les directeurs de rédactions, naïfs l’ont négligé et ne s’en sont servi que comme contenants reproduisant des articles qu’ils n’ont fait que maquiller ou enrichir. Tandis que les plates-formes commerciales y voyaient tout le bénéfice qu’elles allaient en tirer et ont investi massivement. Donnant le lamentable résultat ou gâchis qu’on connait !
Les autres chapitres sont consacrés à la consécration du « vrai professionnel » par l’obtention de la sacro-sainte carte de journaliste, délivrée au bon vouloir du syndicat des journaliste. Seul syndicat français qui fait également fonction de censeur ! Est passée ensuite au peigne fin, la problématique de la formation donnée dans les écoles de journalisme à l’ère de la dématérialisation. Que reste-t-il du journalisme ? Un métier se résumant plus aujourd’hui qu’à remodeler l’actualité prémâchée provenant des agences de presse, voire pire, des instituts de sondage ou des réseaux sociaux …
Un dernier chapitre est dévolu aux prêts et financements gouvernementaux accordés, d’autant plus conséquents avec le « confinement », à certains groupes de presse, au détriment de la presse indépendante. Et aux rares journaux sachant encore résister aux sirènes des subventions et autres mânes financières apportées par la publicité.

Voulez-vous parler du Monde libertaire, Monsieur Villepreux ?

Patrick Schindler, individuel FA, Athènes


PAR : Patrick Schindler
individuel FA Athènes
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le 9 juin 2021 18:21:29 par Max Pelgrims

Le rat du mois de juin est flamboyant tel un soleil sur l’océan. Content aussi de lire que la poésie d’Océan Vuong a emporté ta plume. Je ne vais pas tarder à me poser avec son dernier livre "Un bref instant de bonheur"