Littérature > Le rat noir de la librairie. Mois de mars ou mois d’arès ? Ni dieu ni maître nom de Zeus !!!
Littérature
par Patrick Schindler • le 8 mars 2021
Le rat noir de la librairie. Mois de mars ou mois d’arès ? Ni dieu ni maître nom de Zeus !!!
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Kavvadias, Kapllani, Fakinos & Kokantzis : quatre écrivains de la mémoire des temps perdus
+ Deux arrivages parisiens
Trois petits contes de Nikos Kavvadias
Encore Kavvadias ? Oui, encore, le rat ne s’en lasse pas ! Dans sa librairie française à Athènes, Lexipollio, ses pattes fouineuses sont tombées sur un tout petit volume Li, De la guerre, A mon cheval, (éd. Kambourakis, traduction Michèle Barbe, 9€). Li, le premier petit texte aurait pu être écrit par Marguerite Duras. Mais inversé. En effet, dans celui-ci c’est un homme, un marin au grand cœur qui raconte. L’histoire de Li, une petite gamine qu’il rencontre fortuitement tandis que son navire marchand fait une escale à Hongkong dans les années 1960. Lieu de convergence d’une activité portuaire cosmopolite. Nait alors une belle histoire avec cette petite gamine de dix ans qui vit sur l’eau ans un sampan, en marge de la ville. Société codée qui vit principalement du commerce avec les marins. Les grandes leur offrent des services sexuels contre rémunération et les plus jeunes des services ménagers. Kavvadias va platoniquement s’enticher de la petite Li qui doit certainement lui rappeler sa nièce adorée. Elle ne se sépare jamais de son petit frère qu’elle porte sur son dos. Le marin l’invite à découvrir la ville et pour la première fois de sa vie, elle va poser ses pieds sur la terre ferme et découvrir un monde dont jusqu’à présent, elle se passait fort bien. Curieuse mais réfléchie, grâce à la gentillesse amusée du marin, elle va apprendre à en connaitre les bienfaits et les pièges. Une belle histoire qui nous transporte au pays du soleil levant. Le second texte De la guerre a été écrit en 1969. Il s’agit d’un souvenir de Kavvadias qui se passe en Albanie pendant la guerre. Épuisé, il va passer une nuit en compagnie d’un drôle de bonhomme plutôt réticent au départ, mais qui a ses raisons. Enfin, A mon cheval est un petit texte de quatre pages qui date de 1941. Kavvadias nous confie une histoire d’amour avec son cheval. Trois petits contes condensant déjà l’immense talent de ce poète-marin.
Le pays des pas perdus
Gazmend Kapllani est né en 1967 et a fui l’Albanie en 1991 pour s’installer en Grèce. Il a dû quitter ce pays dans lequel il vivait depuis plus de vingt ans à cause des menaces et harcèlement qu’il subissait de la part de militants d’extrême-droite.
Le pays des pas perdus (éd. Intervalles, 17€, traduit du grec par Françoise Bienfait) issu de l’expérience de Gazmend Kapllani nous fait revivre les années noires de l’Albanie. A travers l’histoire de deux frères, Frédérik et Karl, nés à deux ans d’écart à Ters, une ville imaginaire de cette région du sud des Balkans. Après avoir été complices durant leur tendre enfance, tout les oppose dès leur adolescence. Autant l’aîné est matérialiste, le second est idéaliste. Ils se retrouvent le jour de l’enterrement de leur père, élément essentiel de leur discordance. Marxiste convaincu, c’est lui qui a entraîné Frédérik dans son délire nationaliste. Leur mère plus pondérée a, elle, influencé Karl et son départ vers l’ailleurs. Mais, le voyage de ce dernier va être semé d’embuches dans une Grèce xénophobe et encore plus albanophobe. Heureusement, son parcours initiatique sera parsemé de rencontres féminines bénéfiques. Mais réussiront-elles pour autant de faire de lui un « immigré bien intégré » ? Au cours du récit, nous suivons les pérégrinations de Karl qui essaye de se débattre dans ce labyrinthe. Jusqu’au jour de son retour dans son pays où il retrouve ce frère qui a évolué tout à fait différemment. Arriveront-ils à se comprendre, à se retrouver ? Le style de Gazmend Kapllani est incisif et précis. Son livre pose les bonnes questions sur l’identité et le nationalisme. Il nous ouvre également les portes de ce pays meurtri, restées pendant des années hermétiquement closes. Un beau voyage, malgré la véracité du propos. A la fin du récit, on en vient à ne regretter qu’une seule chose : que certains passages ne soient pas assez développés, car on voudrait encore en savoir plus …
Un récit des temps perdus
Aris Fakinos est né en 1935 à Maroussi dans la banlieue nord d’Athènes. Sa jeunesse est marquée par les persécutions et la chasse aux intellectuels et aux communistes, puis par la guerre civile fratricide de 1947 à 1949. Jusqu’en 1967, il enseigne à l’Institut français d’Athènes. Mais après le coup d’état des Colonels, il entre dans leur collimateur et se réfugie en France où il n’a de cesse de lutter pour le retour de la démocratie en Grèce tout en se consacrant à l’écriture puisant son inspiration dans la mémoire collective grecque.
Récit des temps perdus, paru en 1982 est un livre très émouvant dans lequel Fakinos raconte la fin de son grand-père Vanghélis, mort en 1970 à l’âge de cent trois ans, s’éteignant comme une bougie en fin de course. Sa femme Sophia meurt le lendemain, âgée également de cent trois ans, emportant leur histoire avec eux. Enfin, pas tout-à-fait puisque leur petit-fils a eu la chance d’entendre son grand-père lui raconter leur vie au fil du temps, du moins les épisodes les plus marquants. Tout d’abord sa rencontre avec Sophia, jolie fille d’un riche propriétaire chez lequel il était journalier. Dès les premières pages, nous pénétrons dans une dimension épique. Le grand-père enlève Sophia dans la plus grande tradition hellénique. Celle-ci ne regrettera jamais d’avoir quitté ses riches parents. Sophia, une femme au caractère bien trempé « Dans le village, ta grand-mère était la seule à ne pas s’attacher les cheveux. Tu sais, c’était une fille de famille, elle faisait ce qu’elle voulait, en quoi elle n’a pas changé… Figure-toi qu’un jour, elle m’a demandé de lui peigner les cheveux un à un, et pas avec un peigne, non, c’est avec les doigts qu’elle voulait !... J’étais tout à ma tâche, quand elle se retourne, ne regarde, choisit un cheveu et me dit : ‘Celui-ci, tu l’as oublié’. Oui, elle a toujours été comme ça cette femme, et c’est comme ça qu’elle me plaisait. Je me disais : s’il m’arrive un jour d’oublier un seul cheveu, je suis fichu ! Mais je n’ai encore jamais oublié. » Le grand-père commence donc par l’épisode de l’enlèvement et l’accueil que reçoivent les deux vagabonds dans son village, chez sa tante qui comme tous les gens du village, vit dans une extrême pauvreté. Ils sont engagés chez une veuve n’ayant personne pour labourer sa vigne, en échange d’une chambre vide. A sa mort, la veuve qui s’est attachée au couple leur lègue un petit lopin de terre auquel ils vont s’accrocher avec acharnement, y compris lors des rudes hivers où les ours affamés descendent de la montagne et qu’il faut les affronter à mains nues… Si les temps changent ensuite, ce n’est pas le cas des conditions de vie de ces paysans toujours aussi pauvres mais qui tant bien que mal résistent des quatre fers à céder leur petit bout de terre aux athéniens pour une bouchée de pain. Les années de misère se succèdent mais dans son récit, le grand-père a l’art d’insérer de belles histoires qui ressemblent à des contes, mais confirmées par la version d’autres témoins. On suit Vangelis durant les années de guerre, qui pour survivre, ramasse les cadavres sur les charniers avec son ami aveugle. Sale époque. La guerre achevée, il ne s’agit pas de se laisser aller mais de se forcer à croire que les choses iront mieux demain et résister à la tentation de tout plaquer pour émigrer et tenter une vie meilleure sur un autre continent. Vivre ici, envers et contre tout. Et réussir, malgré tout à se maintenir dans une vie simple mais finalement heureuse… Récit de ces temps perdus comme une leçon de sagesse ancestrale et de philosophie. Grecque.
Gioconda
Nikos Kokantzis est né à Thessalonique en 1930. Impossible de trouver une biographie complète sur cet auteur. On sait assez peu de choses sur lui, sinon qu’il a étudié la médecine et la psychiatrie à Londres et qu’il est décédé en 2009. Ce n’est qu’en 1975 qu’il se décide à raconter son histoire d’amour avec sa petite voisine juive, Gioconda qui, hélas n’échappera à son destin lors de l’occupation de la Grèce par les nazis. Il y a des livres faits pour laisser une emprunte durable. C’est le cas de cette histoire qui pourrait n’être que la énième version des effroyables tragédies vécues par les juifs durant la Seconde guerre mondiale. Pourtant, ce petit livre vivement conseillé par l’équipe de la librairie française d’Athènes, Lexikopoleio, est exceptionnel. Ecrit avec intensité dans un style on ne peut plus simple, il retrace l’histoire d’une tragédie, mais laisse la part belle au rêve. Rêve qui bascule tout à coup dans un cauchemar dont il est impossible de se sortir.
Gioconda (éd. Micros, traduit par Michel Volkovitch, 8,90 €) évoque une histoire d’amour explosive entre deux adolescents dans des termes les plus crus, chose assez rare dans une littérature grecque moderne généralement prude. L’histoire de Nikos et Gioconda commence dans les années 1930, dans un quartier populaire de Thessalonique où la famille de cette dernière vit en bonne harmonie avec le voisinage. Nous suivons ces deux enfants inséparables jusqu’à l’âge de la naissance du désir qui ne connait ni bornes ni interdits. Même sous les bombardements, les deux adolescents continuent émerveillés à se découvrir, à s’aimer encore et toujours plus, toujours mieux. Au point de transcender le réel et la fatalité qui va les rattraper. Mais un autre aspect de ce petit recueil à souligner, est sa puissance à faire revivre une Thessalonique byzantine et cosmopolite qui, hélas n’existe plus aujourd’hui. Ville qui fut également pendant des siècles, majoritairement peuplée de juifs jusqu’à son rattachement à la Grèce en 1913. Ils se comptaient encore par dizaines de milliers en 1940, furent tous déportés en 1943, la plupart à Auschwitz. Mille à peine en revinrent. Mais avant l’horreur, il y a l’amour.
Genre et féminismes au Moyen-Orient et au Maghreb
La démarche d’Abir Kréfa et Amélie Le Renard, auteurs de Genre et féminisme au Moyen-Orient et au Maghreb (éd. Amsterdam, 12€) consiste à nous faire découvrir les résistances et mobilisations des femmes au Maghreb et du Moyen Orient durant le dernier centenaire et les usages diversifiés de l’islam. Il s’agit pour eux de rompre avec une appréhension figée de règles, concernant par exemple, le colonialisme, les mariages forcés ou l’excision et à l’opposé, l’accès des jeunes filles à la scolarisation et l’accès des femmes au travail. L’évolution de la signification du port du voile. Abir Kréfa et Amélie Le Renard insistent sur l’évolution des rapports entre hommes et femmes, les définitions des féminités et masculinités « respectables ou déviantes », qui sont pour eux, imbriquées avec l’histoire de la colonisation, de l’impérialisme et du capitalisme. « A Partir de la fin du XIXème siècle, la question des relations entre les hommes et les femmes a été de plus en plus débattue dans diverses sociétés du Magheb et du Moyen-Orient sous occupation coloniale, puis, sous les dominations nationales autoritaires. » Dans ce contexte ambigu, les relations entre les hommes et les femmes donnent lieu à une pléthore de discours, en premier lieu de la part des élites européens.ne.s. Ce serait oublier que de nombreuses femmes du Maghreb et du Moyen-Orient (en Turquie, Syrie, Libye, Irak, Egypte, Tunisie, actuel Liban, Algérie, etc.) ont pris part à ces débats, et ont œuvré pour l’amélioration de leurs droits, mais elles ont été occultées. « Les femmes du Moyen-Orient et du Maghreb n’ont pas seulement été des enjeux de luttes et des objets de fantasmes collectifs. Résistant aux assignations, sujet des mobilisations dans un contexte politique effervescent et violent, elles ont tenté de se frayer des voies plus ou moins indépendantes mais déterminées par diverses contraintes, de se faire entendre à travers des textes. » Qu’elles soient femmes lettrées ou femmes des classes populaires, elles ont mené de longue date des formes d’activisme contre les autorités coloniales, gouvernementales, parentales et plus récemment contre le nationalisme et le sexisme exacerbés des organisations politiques islamistes. Un chapitre s’intéresse à ces chefs d’Etats trop souvent présentés comme des réformateurs (Nasser en Egypte, Bourguiba en Tunisie ou les rois Fayçal et Abdallah en Arabie saoudite), mais auteurs de politiques étatiques coercives ayant engendrées des formes d’exclusion, à l’appui de nombreux exemples. Comme en Tunisie dans les années 60, où les policiers peignaient en blanc les jambes des jeunes femmes portant de jupes ou raccourcissaient de force les cheveux de jeunes hommes pour les « renvoyer dans les normes genrées » … Plus récemment, des organisations occidentales imposent leur propre vision du féminisme sans tenir compte des particularités locales. Elles véhiculent et propagent souvent l’idée que l’islam engendre l’oppression, sans se soucier du fait que le rejet du religieux est une position extrêmement minoritaire dans la sphère publique de ces pays, entrainant une simplification de discours plus complexes. Un chapitre suivant explore les conditions de travail des femmes du Maghreb et du Moyen-Orient en se battant contre deux clichés : l’inactivité présumée des femmes du peuple (sans tenir compte de leurs activités familiales ou parallèles) et celui de l’homogénéité des sociétés concernées, là aussi à l’aide de nombreux exemples incluant les changements de comportement sociétaux et les nouvelles conditions du travail dans des multinationales à des salaires de misère. Un chapitre aborde l’effet produit depuis des décennies par les guerres, occupations et embargos sur les rapports de genre et les normes de féminité et de masculinité, et ceci, des discours politiques à la vie quotidienne. Notamment dans les territoires palestiniens occupés et en Irak et au Kurdistan irakien. Toujours à l’aide de nombreux exemples, les auteurs montrent dans le dernier chapitre comment les journalistes français ont souvent souligné la participation des femmes dans les révolutions du Maghreb et du Moyen-Orient dans les années 2010 comme étant un fait nouveau et surprenant. Alors que leur engagement dans les mouvements sociaux sont très anciens dans les luttes anticoloniales et contre les régimes autoritaires pour le droit des femmes. La question plus spécifique des luttes LGBT y est également largement évoquée. On ressort de la lecture de ce petit livre énormément documenté avec une autre vision du combat des femmes maghrébines et moyen-orientales au quotidien, débarrassée des plus gros amalgames et clichés occidentaux.
Sédition ou la non-compromission littéraire !
Non, ce n’est pas Voltaire qui a envoyé au rat, son dernier pamphlet. Ce sont les éditions Tinbad qui lui ont fait parvenir Sédition (4€), un coup de gueule de Jules Vipaldo. Coup de gueule envoyé aux éditeurs. Enfin, les rares qui ont pris la peine de lui répondre… A ceux qui ont trouvé ses textes « Trop inattendus, trop subtils, trop littéraires, trop fantaisistes, trop écrits, trop sérieux, trop clairvoyants, trop critiques, trop dansants (trop « éli-twist » !), trop poétiques ou pas assez ; trop divergents ; trop complexes ; trop polémiques ; trop marrants ; trop « sexe » ; trop courts ; trop longs ; trop politique » Enfin, « TROP », quoi ! Comme si, nous explique Jules Vipaldo, « Littéraire » était devenu une injure ; « Poésie », ou « sciences humaines », un handicap. Il ne leur viendrait pas l’idée de défendre un livre du seul fait de son écriture ou de sa qualité ». Jules passe ensuite au peigne fin, ces libraires qui ne peuvent plus « tabler » que sur eux-mêmes, quand ils ne sont pas démotivés, démobilisés ou au bout du rouleau, au roues (torture sacerdotale) du boulot ! Alors, Jules Vipaldo s’adresse ici à ses lecteurs : lui ne cèdera rien, pas une fantaisie, pas un point d’ironie, pas une digression, pas une tournure d’esprit, pas un dérapage de l’expression […] : RIEN ! Et visiblement cette non-compromission lui a bien réussie puisqu’il s’est fait éditer par les éditions Tinbad !...
Patrick Schindler, individuel Athènes
PAR : Patrick Schindler
individuel FA Athènes
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