Littérature > Le rat noir de la bibliothèque pense à nous avant de grandes vacances...
Littérature
par Patrick Schindler • le 29 juin 2020
Le rat noir de la bibliothèque pense à nous avant de grandes vacances...
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Enfin une intégrale des journaux de Kafka
Nous avons reçu la première traduction intégrale des Journaux de Kafka par Robert Kahn. Elle diffère des précédentes (Max Brod, Marthe Robert) puisqu’elle intègre les récits concernant les personnes décédées depuis, les remarques de Kafka sur lui-même ainsi les passages jugés « obscènes » et supprimés dans les éditions antérieures.
Sur une huit-centaines de pages, on a le plaisir de suivre au jour-le-jour un Kafka, génie visionnaire, monstre « désacralisé » de la pensée anti-autoritaire, durant la dernière décennie de sa vie (1911-1922). Quelques morceaux choisis au hasard des pages. – à propos de ses rapports avec son père qui lui parle en ces termes de son ami Löwy : « Qui se couche avec un chien se réveille avec des puces. » Charmant ! Plus loin : « Quand ma mère est revenue avant-hier de chez ma sœur à 1h00 du matin avec la nouvelle de la naissance du garçon, mon père a traversé tout l’appartement en chemise de nuit, il a ouvert toutes les chambres, m’a réveillé, ainsi que la bonne et mes sœurs, et il a annoncé la naissance comme si l’enfant ne venait pas seulement de naître, mais comme s’il avait déjà eu toute une vie très honorable et qu’il avait été enterré. » ! Ce qui en dit long sur ce père cassant et autoritaire…
- Au sujet du patriotisme, le 6 août 1914 : « Défilé patriotique. J’y assiste avec mon regard méchant. Ces défilés sont une des manifestations marginales le plus répugnantes de la guerre. Cela doit se répéter chaque soir, demain dimanche par deux fois ».
- Sur le judaïsme : « Qu’ai-je en commun avec les Juifs ? J’ai à peine quelque chose en commun avec moi-même et je devrais, content de pouvoir respirer, me tenir tout calme dans un coin. »
Kafka agrémente son journal d’esquisses de ses essais avortés, tel Richard et Samuel avec Max Brod, ou Souvenirs de la ligne ferroviaire de Kalda. Quelques bribes de romans aboutis, L’Amérique et Le Verdict. On y trouve encore la transcription de ses rêves, de ses hésitations et réflexions. Ainsi : « Je ne découvre en moi rien d’autre que mesquinerie, incapacité à prendre une décision ». Les propos d’un patron : « Vous voulez effectuer n’importe quel travail. C’est sûr. Tout le monde veut cela. Il n’y a là aucun mérite particulier. Cela montre seulement à quel point vous vous mésestimez. Allez-vous-en ! » Autodérision : « Ce soir je me suis lavé les mains trois fois de suite dans la salle de bain par ennui ». Aussi, quelques délicieux aphorismes : « Zeno répondit à la question pressante, est-ce que rien n’est immobile : Oui la flèche qui vole est immobile. » Ou encore : « Si les Français de par leur nature étaient Allemands, comme les Allemands les admireraient alors. » ; « Par la paix tu n’avances pas, par la guerre tu te vides de ton sang » Ou encore : « Les parents qui attendent de la gratitude de la part de leurs enfants (il y en a même qui l’exigent) sont comme des usuriers, ils risquent volontiers le capital pour pouvoir toucher les intérêts. »
Originalité, humour et charme d’une écriture toute en souplesse, circonvolutions, rebondissements et chutes inattendues : « Les découvertes se sont imposées à l’homme » Une petite dernière pour la route ? : « Beaucoup de gens nient la détresse en montrant le soleil, lui nie le soleil en montrant la détresse ».
Pur jus kafkaïen dévorer avec gourmandise tout au long de ces douze cahiers.
Journaux de Kafka, traduction intégrale par Robert Kahn, éd Nous, 35€. Disponible à Publico et toutes les bonnes librairies.
L’éternel petit-bourgeois
J’ai découvert Ödön von Horvath, écrivain hongrois, de langue et de culture allemande, grâce à cette note trouvée dans le journal de Klaus Mann « Fin juin 1938, je fis paraître dans le Das Neue Tage-Buch, un article sur l’écrivain hongrois, Ödön von Horvath. Il s’était fait écraser par un arbre sur les Champs-Elysées. Je trouvais cette mort absurde. D’autant qu’Ödön était un authentique poète. La poésie l’enveloppait. Elle était dans son regard, dans ses paroles, dans son sourire enfantin. J’avais adoré son si désopilant roman L’éternel petit-bourgeois. Il aimait ce qui était inquiétant, mais il lui était fondamentalement impossible de s’accommoder de l’Allemagne nazie. Il avait encore tant de projets. Il voulait écrire un roman lyrique et voilà qu’un bout de bois lui était tombé sur la nuque, comme la hache du bourreau. »
Auparavant, je n’avais jamais entendu parler de Van Horvath, né en 1901. Horvath l’apatride revendiqué « Je n’ai pas de pays natal et bien entendu je n’en souffre aucunement. Je me réjouis au contraire de ce manque d’enracinement, car il me libère d’une sentimentalité inutile. Le concept de patrie, falsifié par le nationalisme, m’est étranger. Ma patrie, c’est le peuple. » Ecrivain prolixe, il perçut dès 1927 les périls qui menaçaient l’Allemagne dans laquelle il vivait. Il écrit en 1933 après la prise du pouvoir par Hitler : « Notre pays, c’est l’esprit. »
Au début des années 1930, Horvath écrit L’éternel petit bourgeois dont l’action se situe pendant l’inflation et la montée du nazisme. Le héros de l’histoire Kobler, un minable commerçant arnaque un gogo en lui revendant une vielle automobile pourave. La somme d’argent lui sert à fuir une vie trop terne et partir en voyage pour la première fois dans le but de trouver son « égyptienne » fantasmée à l’exposition universelle de Barcelone. Durant le voyage, il traverse l’Italie fasciste, rencontre par hasard Schmitz dans un train, un journaliste foireux et négligé, cultivé et polyglotte, paneuropéen convaincu qui heureux hasard, se rend lui aussi à Barcelone. Tout d’abord circonspects, ils deviennent copains comme cochons après une nuit de beuverie dans un buffet de gare. Magistrale satire d’une époque, d’un milieu petit bourgeois, ils découvrent lors de leur voyage, des personnages encore plus désuets, loufoques et décalés les uns que les autres. Désopilant, hilarant. Horvath a également écrit Une Jeunesse sans dieu, brillant réquisitoire antinazi. L’histoire d’un professeur de lycée qui, confronté à l’idéologie nazie montante décide de « se ranger de ce côté-là, pour voir ». Quand il découvre l’implacable dessin nazi il s’engage dans une mission en Afrique chez les « nègres », lui que ses élèves surnomment justement « le nègre ». La fin de vie d’Ödön von Horvath pourrait être digne d’un de ses romans. Un jour, un mage lui prédit que son séjour à Paris sera décisif. Et en effet, le 1er juin 1938, le destin réserve à Horvath l’un des accidents absurdes dont il a le secret : une tornade s’abat sur Paris. Elle fait deux morts dont Horvath, au jardin des Champs-Elysées où une branche d’arbre tombe sur lui et le tue.
L’éternel petit bourgeois, Ödön von Horvath, 10-18.
Berbères juifs
Nous avons également reçu Berbères juifs de Julien Cohen-Lacassagne. Ce petit ouvrage aborde l’histoire de l’émergence du monothéisme en Afrique du Nord, au début de notre ère. L’auteur nous prévient d’emblée : « La destruction de l’ordre social par l’ordre colonial mais aussi par les ordres bureautique et capitaliste post-coloniaux a produit de l’inquiétude que cherche à apaiser une quête inassouvie de repères identitaires. Ce livre ne veut ni ne peut répondre à des angoisses identitaires, j’espère cependant qu’il montre combien une identité unique est un refuge fragile et, pire que cela, vide. »
Dont acte. Cohen Lacassagne nous apprend entre autres, qu’au Maghreb comme ailleurs, être juif ne coïncide ni avec une réalité ethnique, ni avec une réalité linguistique, ni avec une réalité nationale. N’en déplaise aux nombreux clichés qui concernent l’histoire du Maghreb (présence des juifs datant de la destruction du Temple du temps de Jérusalem 70 ; confusion entre religion et linguistique ; séparation des juifs d’Afrique du Nord des autres maghrébins, etc.) Sur les traces du professeur Paul Wexler, l’auteur nous montre par plusieurs textes historiques que les juifs étaient probablement plus nombreux à l’extérieur la Judée qu’à l’intérieur avant la destruction du Temple. Le reste du livre est consacré à plusieurs thèmes : le glissement du punique du littoral vers l’intérieur ; les origines similaires entre juifs et musulmans ; la diffusion du monothéisme judaïsant sous l’affaiblissement de l’autorité de Rome. Cohen Lassagne présente ensuite trois mouvements de révolte juives qui ébranlèrent le monde antique, suivies d’une restriction de la liberté d’expression des juifs dès 306 ; la conquête musulmane en Afrique du nord au milieu du VIIème siècle ; l’insertion des Berbères judaïsés dans la version islamique du monothéisme ; la confrontation des juifs aux violences chrétiennes au Moyen âge et plus tard, la cohabitation des juifs et des musulmans. Hormis quelques témoignages historiques, Cohen-Lacassagne s’étonne de la rareté des études sur les conversions berbères au judaïsme. L’ouvrage s’achève à la fin du 19ème siècle sur la violence coloniale en Afrique du Nord, dans le contexte du décret Crémieux et de l’affaire Dreyfus, achevant la construction de la nationalité française et créant une situation pouvant être qualifiée d’explosive (émeutes antisémites et démarcation entre « juifs français » et « juifs indigènes ». Un petit livre anticliché qui n’a sans doute pas fini de faire parler de lui…
Berbères juifs, Julien Cohen-Lacassagne, éd. La Fabrique, 14 €. Disponible à la librairie Publico et et les autres bonnes librairies…
Canicule
On dit que les histoires courtes sont les meilleures. Si l’on ne peut le tenir pour une généralité, l’adage se vérifie pour Canicule.
Tandis qu’il croule sous son activité salariée dans les médias, l’auteur, Jean Stern est diagnostiqué d’une sigmoïdite du colon et doit être opéré d’urgence, le 6 août 2003. L’année de la fameuse canicule qui a fait 19 490 morts en France en une quinzaine de jours. Elle a touché plus particulièrement des personnes âgées et souvent seules et a surtout montré l’incompétence du gouvernement Chirac à réagir et à se montrer efficace. Jean Stern va vite être détourné de ses petits préoccupations post-opératoires pour nous raconter en 80 pages, au jour le jour, l’étendue du massacre auquel il a assisté en direct à l’hôpital Tonon du quartier populaire du 20ème arrondissement de Paris. Un récit d’une acuité, d’une efficacité et d’une sensibilité à couper le souffle et à faire monter les larmes aux yeux.
Canicule, Jean Stern, éd. Libertalia, 8€ disponible à la librairie Publico et dans toutes les bonnes librairies.
La Chaudronnerie & autres histoires
Jean-Michel Bongiraud nous a envoyé son recueil de nouvelles. Cinq petites histoires simples, toutes animées par une même passion pour la vie des autres.
Dans L’arceau, Etienne le héros, joueur émérite de basket-ball se réveille un matin dans un lit d’hôpital. Morphine aidant, il flotte dans un monde de souvenirs d’abord immédiats puis, n’ayant aucune idée de ce qui lui est arrivé, ne pouvant communiquer, de souvenirs plus profonds. Au fil des jours, il prend conscience de sa nouvelle réalité entre les bribes de phrases prononcées à la dérobée par les infirmières et ses amis et parents lui rendant visite. Quelle nouvelle réalité ? Un récit aussi réaliste que poignant.
La bouteille de vin met en scène deux lycéens amoureux, Sylvain et Mathilde. Ils ne l’avouent à personne, mais se sont rencontrés lors d’une messe d’enterrement. Dès leur rencontre, c’est le flash à tel point qu’ils décident de se marier civilement. Mais Mathilde vit dans une famille dont le père est un véritable macho cul-béni. Quelle va bien pouvoir être sa réaction ?
La Chaudronnerie raconte la vie d’un couple simple. Armand est ouvrier dans une chaudronnerie, sa femme Jacqueline s’occupe de leurs quatre enfants. Une petite vie bien réglée jusqu’au jour où Armand revenant de son usine après une réunion de crise, coupe court à la routine et à ses habitudes en restant à la maison au lieu de se rendre à l’usine. Que mijote-t-il ? Début de dépression ou chute explosive ?
Le lycée présente deux adolescents, David et Sandrine. Tous deux orphelins, ils suivent des études de langues orientales. Ils sont liés par une profonde amitié. Avant d’intégrer leur nouveau lycée, ils partent en vacances chez les grands-parents de David. Mais un jour, un drôle de personnage va briser l’harmonie...
Enfin, Le bitume triomphant présente Agnès, militante antinucléaire et son petit ami Paul, ingénieur dans l’aéronautique. Confrontés malgré leur amour à leurs divergences idéologiques, leur histoire chutera-t-elle ou rebondira-t-elle ?
La Chaudronnerie et autres histoire, Jean-Michel Bongiraud, éd. Prem’edit 16 €, disponible à la librairie Publico et toutes les bonnes librairies.
Patrick Schindler
PAR : Patrick Schindler
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