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Cinéma
par Daniel Pinos • le 14 novembre 2021
Tilo Koto
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Un documentaire sur le parcours des migrants africains
Pour Yancouba Badji, le rêve d’Europe s’est arrêté brutalement dans le Sud tunisien, après quatre tentatives de traversée de la Méditerranée depuis les côtes libyennes. Originaire de Casamance dans le sud du Sénégal, il vivait en Gambie où il possédait un atelier d’installation frigorifique. Menacé par la dictature du dirigeant de l’époque Yahya Jammeh, il prit la route de l’exil à partir de Tambacounda, au Sénégal. Commença alors pour lui un an et demi d’aventures sur les routes clandestines. Des routes et des traversées où il a manqué plusieurs fois de perdre la vie. Il a tenté à quatre reprises de traverser clandestinement la Méditerranée.
Lui et ses compagnons sont restés trois jours en mer, entassés et debout, sans boire ni manger. Il a rejoint en bus Bamako, au Mali, puis traversé le Burkina Faso jusqu’à Agadez au Niger. Dans ce contexte, les États membres de l’Union européenne continuent d’aider les garde-côtes libyens, alors qu’ils ont parfaitement connaissance des horreurs que les migrants interceptés en mer subissent une fois envoyés dans les prisons libyennes. En route, il n’échappa pas aux multiples rackets et aux tortures. Depuis Agadez, il a traversé le désert. Après quatre tentatives sur les côtes libyennes, le voilà au début du tournage en transit en Tunisie, sonné par ces expériences terribles. Pour se reconstruire, mais aussi pour alerter, il se procure des pinceaux et retrace ainsi ce qu’il a vécu.
Los d’une rencontre en France, Mongi Slim, le directeur du Croissant-Rouge de la région de Médenine en Tunisie, alerta Sophie Bachelier, la co-réalisatrice sur la situation des migrants au centre d’accueil Al Hamdi et lui proposa de recueillir les témoignages de ceux qui rentrent de Libye.
En août 2017, c’est à Al Hamdani, que Sophie Bachelier et sa co-réalisatrice Valérie Malek rencontrèrent Yancouba Badji, parmi d’autres hommes et femmes qui eux aussi ont tenté la traversée de la Méditerranée. Yancouba et ses compagnons ont été récupérés par la Marine nationale tunisienne dans les eaux internationales : au lieu de se retrouver en Italie, ils sont coincés à la case départ, au Maghreb.
En réalisant une série d’entretiens dans le centre d’accueil où Yancouba Badji s’est réfugié, les réalisatrices comprirent qu’il concentrait par son expérience et son incidence sur ses compagnons une vision à transmettre. Elles décidèrent de centrer le film sur lui.
« Mes premières œuvres, témoigne Yancouba Badji, je les peins dans une prison en Libye. Je laisse des messages sur les murs, des avertissements, des conseils notamment sur les passeports qu’on doit cacher à nos geôliers afin qu’ils ne retournent pas contre nous les informations que ces documents contiennent. »
Se posa dès lors la question d’articuler ce destin individuel au destin collectif. Les peintures de Yancouba facilitèrent cette ouverture : elles semblaient dire « nous » plutôt que « je ». À cela, s’ajouta l’esthétique du respect qui caractérise le travail de Sophie Bachelier : en rendant familiers les plus vulnérables, elle en appelle à notre conscience de notre responsabilité pour faciliter leur appartenance à l’humanité.
« Ma peinture raconte ma vie en Libye. Je ne suis pas musicien, sinon j’aurais pu le chanter. C’est une forme d’alerte, de partage avec la jeunesse concernée. Parfois, on n’arrive pas à tout dire avec des mots. La guerre en Libye, c’est le chaos. Il n’y a plus de lois, des gens profitent de la situation pour semer la terreur, se faire de l’argent. En Tunisie, on a aucune dignité non plus. Je laisse ma colère sur la toile. »
Les témoignages sont des intimités partagées sur les raisons du départ, la douleur. La mise en scène est élaborée avec les personnes filmées. C’est ainsi que le film nous emmène au cimetière des inconnus, où ceux que la mer a rejetés sont enterrés sans discrimination de religion à l’initiative d’un « juste », Chamseddine Marzoug, qui tient à leur offrir un lieu de sépulture. Car si Yancouba a eu de la chance, ce n’est pas le cas de tous et de toutes…
De retour en Casamance, Yancouba retrouve sa mère, qui craint de perdre son fils dans ces migrations mortifères, alors qu’elle a déjà perdu deux frères. Le moment, saisi avec des images combinant épure et beauté, est d’une grande émotion : « Si je ne meurs pas, je deviendrai folle ».
Yancouba ne voulait plus rester au Maghreb. Il ne voulait pas devenir passeur, être complice, faire espérer à ses frères et sœurs d’arriver en Europe, prendre leur argent et le partager avec la mafia Libyenne. Il a toujours été opposé à cette hiérarchie de l’exploitation, qu’il considère comme une chose horrible.
L’OIM (Organisation internationale pour les migrations) a donné à Yancouba Badji 1400 euros pour son projet de retour. Son but a été alors d’informer les jeunes de son pays, leur raconter sa traversée, l’esclavage, les gens assassinés, les bateaux entiers coulés en Méditerranée. La peinture pour transmettre aux plus jeunes l’expérience du voyage.
Les jeunes du village de Yancouba Badji on créé un projet culturel à Goudomp : Tilo Koto – Diamoral (Sous le soleil, la paix, respectivement en diola et en mandingue). L’association porte le même nom que le film. Yancouba a construit les murs en parpaing de son centre sur un terrain familial. Ensuite, grâce à la fondation la Ferthé, et à l’atelier d’architecture VMCF, les jeunes ont construit le toit. Le centre est un lieu d’information pour la jeunesse pour y partager ses expériences. Ce sont des bénévoles qui ont mis en place des espaces de discussion.
Yancouba témoigne : « On ne leur dit pas de ne pas partir, on les encourage à voyager dans de bonnes conditions, dans la mesure du possible. Voyager dans des citernes de gasoil pour rentrer à Tripoli ou dans des bennes à ordures pour se retrouver mort à Sabratha en Libye n’a aucun sens, à part celui de nourrir les réseaux mafieux. » Il a une colère qu’on ressent très fortement vis-à-vis des passeurs (sénégalais, maliens, guinéens…) qui collaborent avec un vaste système international de traite humaine. La colère, l’indignation sont palpables dans son témoignage.
Tilo Koto documente le traumatisme des migrants et construit ainsi une mémoire, à la faveur des peintures de Yancouba qui opère lui-même le parallèle entre son vécu et les bateaux négriers, il ancre la compréhension de l’exil et de l’errance. Tilo Koto, c’est l’histoire d’un homme brûlé dans sa chair et son âme par la traversée d’un enfer qu’il sublime par la peinture. Un film sensible et marquant à diffuser largement.
Daniel Pinós
Tilo Koto. Un film de Sophie Bachelier et Valérie Malek
En sortie dans les salles françaises le 15 décembre 2021
PAR : Daniel Pinos
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1 |
le 15 novembre 2021 08:35:25 par Luisa |
Un article pour un film témoignage particulièrement précieux. Un Grand MERCI !!