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par Daniel Pinos le 6 mars 2023

Le droit à la paresse criminalisé à Cuba

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article extrait du Monde libertaire n° 1847 de février 2023



Illustration créée à la mémoire des victimes de la « loi contre le vagabondage»

Une nouvelle loi de « vagabondage » sous le prétexte de lutter contre le crime
Le gouvernement cubain vient de lancer une « étude sur les personnes qui n’étudient pas ou ne travaillent pas, mais qui sont en mesure de le faire, afin de proposer des mesures appropriées ».
Les autorités cubaines ont menacé d’appliquer des mesures à l’encontre des personnes qui « n’étudient ni ne travaillent à Cuba », conformément à la campagne lancée contre la « lutte contre le crime, la corruption, les illégalités et l’indiscipline sociale » par le régime autoritaire de Cuba.

Le ministère du Travail et de la Sécurité sociale « lance, dans le cadre de ce processus, une étude sur les personnes qui n’étudient pas ou ne travaillent pas alors qu’elles sont en mesure de le faire », a écrit la responsable du ministère, Marta Elena Feitó Cabrera. Le ministère « analysera les causes et proposera les mesures appropriées, elles ne seront jamais fondées sur l’assistance sociale », a-t-elle ajouté.
Cette annonce va dans le sens des menaces proférées par le Premier ministre cubain, Manuel Marrero Cruz, lors des récentes sessions de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire, concernant cette nouvelle croisade contre les illégalités inhérentes au système.

« Vont-ils commencer par les enfants des dirigeants, et vérifier les comptes étrangers de tous ceux qui voyagent à l’étranger ? » a demandé un utilisateur de Facebook. Un autre a déclaré : « Je ne sais pas ce qu’ils vont examiner. Si vous ne pouvez pas satisfaire vos besoins fondamentaux par le travail, pourquoi travailler ? Si vos parents ont travaillé pendant 40 ans et n’ont même pas un endroit pour dormir, pourquoi travailler ? Et à quoi bon étudier, si un professionnel ne peut même pas s’acheter des vêtements ou un téléphone avec son salaire ? ».

Ces derniers mois, Miguel Díaz-Canel, le président cubain, a utilisé le terme « paresseux » pour désigner les Cubains qui critiquent la gestion du régime. C’est ainsi qu’il a appelé les Cubains qui ont protesté dans les rues contre les coupures de courant. Lors d’une session plénière de l’Union des jeunes communistes, il a également qualifié ces manifestants de « déconnectés des études et du travail » et d’individus « manipulables ».

Les médias indépendants menacés
En 2020, les services de la Sécurité de l’État ont menacé le journaliste du journal Diario de Cuba Waldo Fernández Cuenca d’appliquer la Ley del Vago (loi du vagabond). Auparavant, lors d’un interrogatoire auquel il avait été convoqué, un policier cubain l’avait déjà menacé de la même chose en accusant le journaliste de « n’avoir aucun lien avec l’emploi ». Un officier qui s’est présenté comme le capitaine Machado, prétendument chef de la police dans le quartier de Reparto Sevillano, à La Havane, où réside Waldo Fernández Cuenca, a repris les menaces que lui avait adressées en avril le chef de la police du quartier, qui l’avait qualifié à cette occasion de « criminel potentiel ».

La « loi contre le vagabondage » des années 70
Le début des années 1970 a été une période très répressive à Cuba. Il ne s’agissait pas seulement du « Quinquennat gris [note] », du contrôle de la population, des rafles d’homosexuels et des personnes aux cheveux longs. L’une des mesures arbitraires dictées à cette époque était la « loi contre le vagabondage », en vertu de laquelle des milliers de personnes sans emploi étaient contraintes d’effectuer des travaux manuels lourds que personne ne voulait faire.
Ces unités succédèrent aux UMAP (Unités militaires d’aide à production) qui emprisonnèrent des dizaines de milliers de personnes entre 1965 et 1968, principalement des homosexuels, des religieux et des opposants politiques. On les qualifia à Cuba de « camps de concentration ».



UMAP (Unité militaire d’aide à la production).

Nombre d’artistes et d’intellectuels furent déportés dans ces unités.




Ses critiques contre le pouvoir et son homosexualité valurent, dans les années soixante, au grand écrivain cubain Reinaldo Arenas de connaître la prison et les camps de réhabilitation par le travail au sein des Unités militaires d’aide à la production.

Cette loi a obligé des milliers de personnes à se soumettre à la volonté du pouvoir castriste et d’annihiler toute forme de comportement contraire à la révolution. Ce que Fidel, lors d’un discours prononcé en 1961, résuma ainsi : « Dentro de la Revolución todo, contra la Revolución nada » (Tout dans la révolution, rien contre la révolution). Cette loi a été abolie en 1979, mais le statut de chômeur était défini comme un « état dangereux » dans le code pénal cubain. Le régime s’en est toujours servi pour menacer les militants et les opposants, et nombreux, parmi eux, ont été envoyés en prison.

Un crime contre l’État et la révolution

La composition du groupe que les autorités considéraient comme des oisifs était très hétérogène. Il y avait ceux qui, pour diverses raisons, étaient au chômage depuis longtemps, ceux qui tombaient sous le coup de la loi en passant d’une profession à une autre, ceux qui quittaient le pays et ceux qui venaient de sortir du service militaire obligatoire et n’avaient pas trouvé de travail.
Le recrutement forcé se faisait par l’intermédiaire de la municipalité de résidence. Les oisifs, selon les autorités, étaient convoqués au bureau du travail et de la Sécurité sociale proche de leur domicile.
L’offre d’emploi, pour ceux qui étaient convoqués, correspondait à l’ordre d’aller travailler dans l’agriculture. Un exemple, on proposa à certains relégués de devenir chasseurs de crocodiles dans les marais de Zapata, dans le centre du pays.
Les conditions de vie, très rustiques dans les camps, étaient difficiles. Les officiers militaires étaient brutaux et considéraient les soi-disant oisifs comme des prisonniers. Toute personne fuyant les lieux sans autorisation était arrêtée, jugée et pouvait être condamnée à une peine allant jusqu’à cinq ans de prison. Les règles disciplinaires étaient strictes, en raison de l’effort physique, beaucoup de prisonniers tombaient malades et beaucoup d’entre eux durent recevoir un traitement médical.
Le crime pour certaines personnes punies était d’avoir présenté des documents légaux aux autorités afin de quitter le pays.
Mais, le vrai et seul crime commis par ces personnes était de ne pas travailler pour l’État et de refuser les valeurs imposées par le pouvoir castriste.

Daniel Pinós
Article écrit avec des informations recueillis sur le site Diario de Cuba
1. Quinquenio gris. Terme inventé par l’intellectuel et scénariste cubain Ambrosio Fornet : de 1971 à 1975, la censure était telle qu’elle conduisit à l’autocensure, la production littéraire et artistique se limitait aux thématiques « autorisées » au service de la Révolution. De nombreux auteurs se turent ou s’exilèrent durant ces années grises.
Photos :
1. UMAP (Unité militaire d’aide à la production).
2. Illustration créée à la mémoire des victimes de la « loi contre le vagabondage»
3. L’écrivain Reinaldo Arenas.
PAR : Daniel Pinos
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