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par Daniel Pinós le 28 janvier 2019

Carmen et Lola : Femmes, gitanes et lesbiennes

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Cinéma

Article extrait du Monde libertaire n°1801 de décembre 2018
Carmen et Lola : Femmes, gitanes et lesbiennes




Genre : drame. Espagne, 2018
Durée : 103 minutes
Sortie en salles : le 14 novembre 2018

Ce long métrage de fiction d’Arantxa Echevarria a été sélectionné lors de la dernière Quinzaine des réalisateurs de Cannes et vient de recevoir en ce mois d’octobre la Violette d’or et le prix du public lors du dernier festival de cinéma espagnol de Toulouse.

« Le coquelicot est si beau, il n’a ni père ni mère, il grandit seul à la campagne », chante Carmen, une adolescente gitane originaire de Vallecas, dans la banlieue madrilène. Elle a 17 ans et se prépare au mariage. Elle ne va pas au collège. « Pour quoi faire puisque je vais me marier ». C’est la tradition gitane qui l’exige. Cela a toujours été ainsi, Carmen n’a pour horizon que le mariage et le marché où elle vend des antiquités avec son père.
Dans ce même marché, sur un stand de fruits et légumes, nous retrouvons Lola, une adolescente madrilène originaire d’Hortaleza. Gitane et étudiante, elle veut devenir professeur. C’est une féministe sans appartenance, « je déteste être une femme », crie-t-elle, « parce qu’en étant une femme je ne peux avoir que des enfants, avoir un mari, avoir une maison à nettoyer », « nous les gitanes nous n’avons rien, nous n’avons même pas de rêves ».
C’est sur ce même marché qu’elles vont se rencontrer. « Carmen et Lola » parlent de la liberté. Ou plutôt du manque de liberté. Les protagonistes du premier long métrage de fiction de la réalisatrice basque Arantxa Echevarría n’ont d’autre choix que de se rebeller, même si cela signifie une rupture totale avec le monde gitan.
La réalisatrice, Arantxa Echevarría travaille caméra au poing et en mouvement continu, elle trace d’abord un portrait de la féminité à travers les coutumes gitanes, avec les moyens d’un documentaire, pour ensuite progressivement se concentrer sur la fiction et l’intimité de deux adolescentes solaires : Rosy Rodriguez (Carmen) et Zaira Morales (Lola). Deux filles sans expérience préalable d’actrices comme la plupart des acteurs du film. Avec leur fraîcheur, leur sensualité et leur capacité à nous émouvoir, elles campent les personnages de deux jeunes gitanes qui refusent d’accepter le rôle exigé par les traditions, malgré leur peur elles osent l’insubordination pour suivre ce qui dictent leur corps et leur cœur.
Sous le prétexte d’une fête et de la demande en mariage de Carmen, la réalisatrice nous fait découvrir de nombreux rites de la tradition gitane avec un regard presque anthropologique : la vie au sein de l’association de quartier, où les femmes se rencontrent et se libèrent de leur rôle de mère, de femme au foyer et d’épouse, et la cérémonie du culte évangéliste montrant l’importance des pasteurs dans la communauté. Le film parle du poids de la famille et du sang ; il montre la joie de se retrouver entre gitans lors des fêtes et lors des danses.
La géographie aride de la banlieue de Madrid faite de parcelles poussiéreuses, de passages à niveau, de friches industrielles, de bâtiments abandonnés sert de toile de fond au film. C’est un film à l’atmosphère parfois insoutenable, il capte le rythme du paysage urbain, il décrit un univers dans lequel le chauvinisme masculin règne avec un naturel incroyable, où il est difficile de rêver, où il est impossible de changer les normes tribales et où la femme gitane doit briser un double plafond de cristal.
« Carmen y Lola » reformule l’histoire classique de l’amour interdit à travers une critique sociale réaliste, en même temps que le film aiguise le discours, il ne perd pas son lyrisme : le fond d’une piscine abandonnée devient un refuge pour les amoureuses furtives, un paquet de tabac et un serment de vie commune partagés par les héroïnes.
Le cinéma avec lequel Arantxa Echevarria communie est né pour remuer les entrailles et les consciences. Le regard fasciné et distancié de la réalisatrice entraîne le spectateur sur des chemins rarement empruntés et inévitablement empreints de préjugés. Il est difficile de se débarrasser de ce que l’on a appris. Lors du Festival du film espagnol de Toulouse, Arantxa Echevarria a dit : « être une femme lesbienne dans la communauté gitane est synonyme de non-existence, grâce au Festival, elles sont vues, entendues et comprises ».
À la fin du film, Carmen et Lola s’enfuient pour s’extirper de ce monde où la femme gitane est piétinée par les gitans et les non-gitans, elles courent vers la mer, la perspective d’un horizon ample et sans impossibles.

Daniel Pinós
PAR : Daniel Pinós
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