Histoire > Retour sur un massacre
Histoire
par Pierre Sommermeyer • le 8 mars 2021
Retour sur un massacre
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Il apparaît donc que la question de la réconciliation entre la France et l’Algérie serait à l’ordre du jour. Un historien important, a été chargé de rédiger un rapport à cette fin. Remis en haut lieu ce texte n’en finit pas de susciter des remous. Pas assez de cela, trop de ceci, mais encore et ainsi de suite.
Au fond, la question de savoir qui doit être réconcilié avec qui se pose. Je fus de ceux qui furent amnistiés par la loi de 1966 portant amnistie d’infractions contre la sûreté de l’État ou commises en relation avec les événements d’Algérie. C’était une façon de passer l’éponge aussi bien sur les actes de l’OAS que sur ceux de ceux qui refusèrent de participer à cette guerre. Serait-il question maintenant de réconcilier les uns avec les autres, ? Certainement pas en ce qui me concerne. Il en est de même, sans aucun doute, de l’autre côté de la Méditerranée. En Algérie est au pouvoir une clique militaire qui a viré les principaux acteurs de cette guerre-là. Certains parmi elle furent les acteurs d’une guerre impitoyable entre factions adversaires parmi les partisans de la lutte armée algérienne. C’est ce que vient rappeler ce rapport : « La commémoration, unanimiste, n’aborde pas les divisions internes du nationalisme algérien, en particulier les terribles affrontements entre les partisans du vieux chef, Messali Hadj et le FLN (les affrontements entre les deux organisations, FLN contre MNA, feront plusieurs milliers de morts dans l’immigration en France et dans les maquis en Algérie) ; ou les représailles cruelles contre les harkis, ces forces fidèles à la France ». Ces affrontements tant meurtriers que politiques sont bien oubliés parmi tous ceux qui critiquent ce rapport. Le MNA et le FLN s’affrontèrent en effet pour prendre le contrôle en France des nationalistes algériens, dans les « guerres de cafés ». Elles causèrent, selon les chiffres officiels des autorités françaises, entre le 1er janvier 1956 et le 23 janvier 1962, 10 223 victimes (dont 3 957 tués). Le FLN réussira à prendre progressivement le contrôle de la population algérienne en France. Le MNA perdra notamment le contrôle des étudiants et des intellectuels algériens vivant en France. Le MNA perdra également la bataille des médias.
L’oubli touchera de même tout ce qui concerne les massacres de Paris en 1961. Le 17 octobre de cette année-là. Dans la capitale il y a eu massacre. Il n’y a aucun doute. Le nombre exact de tués n’est toujours pas connu presque 60 ans plus tard. Au-delà de cette bataille macabre de chiffres, 100, 200 ou plus, il faut replacer cette tragédie dans son contexte.
La guerre d’Algérie dure à ce moment-là depuis plus de 7 ans. Elle a démarré le 25 juillet 1954. Elle résulte de l’oppression à laquelle la population algérienne a été soumise depuis la conquête en 1830. Elle a été marquée par nombre de massacres, d’exils et de mises en prison et de guillotinés. Exaspérés par tout cela des militants algériens décident de passer à la lutte armée. Cette guerre va épuiser les populations d’un côté et de l’autre. En France, elle provoquera la fin de la IVème république et l’arrivée du Général de Gaulle au pouvoir. Sa tâche sera d’y mettre fin. Les deux dernières années verront la résurgence d’une extrême-droite (Organisation Armée Secrète) qui n’hésitera pas, elle aussi, à passer à la lutte armée.
En octobre 1961 la situation à Paris depuis bien des mois est pour le moins tendue. Depuis le début de l’année l’OAS frappe. Les généraux d’Alger ont tenté de prendre le pouvoir au mois d’avril. Ce fut un échec. La troupe formée d’appelés n’a pas suivi. Les attentats OAS et FLN se suivent en France et en Algérie. Les commissariats ressemblent à des fort Chabrol. Les plantons à leur entrée sont protégés par des sacs de sable. Dans le métro la police circule la mitraillette à la main. Chacun fait attention. Un couvre-feu a été déclaré : « Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs musulmans algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement de20 h 30 à 5 h 30 du matin ». Ce sont dans ces conditions et pour protester contre elles, que sont appelés à manifester les populations algériennes dont la plus grande partie vit dans des bidonvilles enserrant Paris dont le plus important est celui de Nanterre. Le FLN y levait des cotisations sur plus de la moitié des habitants algériens de la région parisienne, dont une majorité participait de plein gré à cet effort de guerre.
Les négociations de paix ont commencé dès le mois de janvier précédent. Un référendum sur l’autodétermination en Algérie a été approuvé par 75% des votants. Depuis des négociations plus ou moins parallèles si ce n’est clandestines ont lieu avec le FLN. Puis elles ont lieu à Evian officiellement le 20 mai 1961. Ce sera un échec. Il faudra attendre un an pour que le 19 mars 1962 le cessez-le-feu soit proclamé en Algérie. Entre ces deux dates la décision de donner un coup d’accélérateur est prise à Paris. La population algérienne émigrée forme une masse qu’il faut mobiliser. Selon certaines sources, à ce moment-là, les capacités militaires de l’Armée de libération nationale (ALN), le bras armé du FLN algérien, seraient résiduelles. Les troupes de l’ALN tiennent alors des maquis dans trois secteurs, l’Algérois, la Kabylie et le Constantinois. Le gros des forces militaires algériennes est cantonné en Tunisie derrière la ligne Morice, électrifiée, minée. La situation interne est désespérée. La mobilisation des Algériens en France est considérée comme indispensable. Ce sera la dernière bataille du FLN.
La machine FLN, véritable étatisme policier, va passer à l’action et ce à partir de l’été 1961 avec des meurtres de policiers français. La décision de sortir dans la rue va être prise par un bureau politique de 4 personnes. La manifestation du 17 octobre 1961 fut donc une manière de rompre avec les stratégies d’évitement et de camouflage. Il s’agissait de faire apparaître l’immigration algérienne de la manière la plus visible qu’il soit, dans son unité derrière le FLN. Quel qu’en soit le prix. Les mots d’ordre de sortir et se faire voir ne doivent pas être divulgués avant le 16 octobre. Il est hors de question d’avertir les forces de gauches françaises, UNEF et PSU en tête, qui ne cessent de manifester contre la guerre. C’est donc seuls que les Algériens des alentours de Paris descendent vers la capitale, vers des unités policières qui ne rêvent que de se venger. Ainsi, le 17 octobre, c’est sans doute près d’un quart des habitants de région parisienne qui entrèrent en action. Des consignes avaient été diffusées sur la nécessité de convaincre à tout prix les récalcitrants, mais certain·e·s Algérien·ne·s réussirent à échapper à ce véritable ordre de mobilisation. D’autres manifestations eurent lieu dans les jours qui suivirent. Certains prévenus trop tard le 17, les rejoignirent alors. Combien étaient-ils ? Difficile de le dire. Selon le rapport, en 1998, du conseiller d’État Diedonné Mandelkern, commandé par le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, après la déposition de Maurice Papon devant la Cour d’Assisses de Gironde, il y aurait eu de plusieurs dizaines de morts, 11.538 arrestations, 6.000 personnes regroupées au Palais des Sports Porte de Versailles et 2.800 et au Stade de Coubertin à Vincennes. Le nombre exact de morts est encore imprécis, il oscille entre 120 et 345. Ces chiffres témoignent à la fois de l’adhésion de la population aux mots d’ordre frontistes, des capacités d’organisation du FLN, ainsi que de son pouvoir disciplinaire et de coercition. Mais ils ne doivent pas faire oublier, que selon tout vraisemblance, plus des deux tiers des Algérien·ne·s de la région parisienne ne furent pas directement impliqué·e·s dans les démonstrations de masse d’octobre 1961.
L’étude publiée sur un site d’archives ouvertes est tout à fait intéressante à ce sujet. Intitulée Algériens et Algériennes dans les manifestations d’octobre 1961, elle montre que présenter les massacres d’octobre 61 comme un crime est à la fois pertinent mais demande un regard critique sur la façon dont tout cela fut organisé.
Sortir d’une optique purement victimaire est une nécessité indispensable. Le cessez-le-feu en Algérie advint 6 mois plus tard, le 19 mars. Les dirigeants de la résistance algériennes, accèdent au pouvoir, Ben Bella en tête. En 1965 Boumediene, ministre de la défense procède à un « réajustement révolutionnaire » et prend le pouvoir. Depuis l’appareil du FLN est resté en place jusqu’à aujourd’hui. La parenthèse de la guerre civile algérienne qui durera une dizaine d’années à partir de 1991 reste incomprise si ce n’est inconnue pour une bonne part de la gauche française. Cette guerre préfigure ce que nous appelons ces jours le Djihad ? Elle fit entre 60 00 et 150 000 morts. Cette fourchette en dit long sur les silences qui continuent à entourer ces dix années. La littérature algérienne en la personne au moins de Boualem Sensal et Kamel Daoud continue à en porter témoignage.
Pierre Sommermeyer
Pour en savoir plus :
La Fédération de France du FLN et l’organisation du 17 octobre 1961.
Algériens etAlgériennes dans les manifestations d’octobre 1961
Le temps de la négociation (9 janvier 1961 – 18 mars 1962)
Au fond, la question de savoir qui doit être réconcilié avec qui se pose. Je fus de ceux qui furent amnistiés par la loi de 1966 portant amnistie d’infractions contre la sûreté de l’État ou commises en relation avec les événements d’Algérie. C’était une façon de passer l’éponge aussi bien sur les actes de l’OAS que sur ceux de ceux qui refusèrent de participer à cette guerre. Serait-il question maintenant de réconcilier les uns avec les autres, ? Certainement pas en ce qui me concerne. Il en est de même, sans aucun doute, de l’autre côté de la Méditerranée. En Algérie est au pouvoir une clique militaire qui a viré les principaux acteurs de cette guerre-là. Certains parmi elle furent les acteurs d’une guerre impitoyable entre factions adversaires parmi les partisans de la lutte armée algérienne. C’est ce que vient rappeler ce rapport : « La commémoration, unanimiste, n’aborde pas les divisions internes du nationalisme algérien, en particulier les terribles affrontements entre les partisans du vieux chef, Messali Hadj et le FLN (les affrontements entre les deux organisations, FLN contre MNA, feront plusieurs milliers de morts dans l’immigration en France et dans les maquis en Algérie) ; ou les représailles cruelles contre les harkis, ces forces fidèles à la France ». Ces affrontements tant meurtriers que politiques sont bien oubliés parmi tous ceux qui critiquent ce rapport. Le MNA et le FLN s’affrontèrent en effet pour prendre le contrôle en France des nationalistes algériens, dans les « guerres de cafés ». Elles causèrent, selon les chiffres officiels des autorités françaises, entre le 1er janvier 1956 et le 23 janvier 1962, 10 223 victimes (dont 3 957 tués). Le FLN réussira à prendre progressivement le contrôle de la population algérienne en France. Le MNA perdra notamment le contrôle des étudiants et des intellectuels algériens vivant en France. Le MNA perdra également la bataille des médias.
L’oubli touchera de même tout ce qui concerne les massacres de Paris en 1961. Le 17 octobre de cette année-là. Dans la capitale il y a eu massacre. Il n’y a aucun doute. Le nombre exact de tués n’est toujours pas connu presque 60 ans plus tard. Au-delà de cette bataille macabre de chiffres, 100, 200 ou plus, il faut replacer cette tragédie dans son contexte.
La guerre d’Algérie dure à ce moment-là depuis plus de 7 ans. Elle a démarré le 25 juillet 1954. Elle résulte de l’oppression à laquelle la population algérienne a été soumise depuis la conquête en 1830. Elle a été marquée par nombre de massacres, d’exils et de mises en prison et de guillotinés. Exaspérés par tout cela des militants algériens décident de passer à la lutte armée. Cette guerre va épuiser les populations d’un côté et de l’autre. En France, elle provoquera la fin de la IVème république et l’arrivée du Général de Gaulle au pouvoir. Sa tâche sera d’y mettre fin. Les deux dernières années verront la résurgence d’une extrême-droite (Organisation Armée Secrète) qui n’hésitera pas, elle aussi, à passer à la lutte armée.
En octobre 1961 la situation à Paris depuis bien des mois est pour le moins tendue. Depuis le début de l’année l’OAS frappe. Les généraux d’Alger ont tenté de prendre le pouvoir au mois d’avril. Ce fut un échec. La troupe formée d’appelés n’a pas suivi. Les attentats OAS et FLN se suivent en France et en Algérie. Les commissariats ressemblent à des fort Chabrol. Les plantons à leur entrée sont protégés par des sacs de sable. Dans le métro la police circule la mitraillette à la main. Chacun fait attention. Un couvre-feu a été déclaré : « Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs musulmans algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement de20 h 30 à 5 h 30 du matin ». Ce sont dans ces conditions et pour protester contre elles, que sont appelés à manifester les populations algériennes dont la plus grande partie vit dans des bidonvilles enserrant Paris dont le plus important est celui de Nanterre. Le FLN y levait des cotisations sur plus de la moitié des habitants algériens de la région parisienne, dont une majorité participait de plein gré à cet effort de guerre.
Les négociations de paix ont commencé dès le mois de janvier précédent. Un référendum sur l’autodétermination en Algérie a été approuvé par 75% des votants. Depuis des négociations plus ou moins parallèles si ce n’est clandestines ont lieu avec le FLN. Puis elles ont lieu à Evian officiellement le 20 mai 1961. Ce sera un échec. Il faudra attendre un an pour que le 19 mars 1962 le cessez-le-feu soit proclamé en Algérie. Entre ces deux dates la décision de donner un coup d’accélérateur est prise à Paris. La population algérienne émigrée forme une masse qu’il faut mobiliser. Selon certaines sources, à ce moment-là, les capacités militaires de l’Armée de libération nationale (ALN), le bras armé du FLN algérien, seraient résiduelles. Les troupes de l’ALN tiennent alors des maquis dans trois secteurs, l’Algérois, la Kabylie et le Constantinois. Le gros des forces militaires algériennes est cantonné en Tunisie derrière la ligne Morice, électrifiée, minée. La situation interne est désespérée. La mobilisation des Algériens en France est considérée comme indispensable. Ce sera la dernière bataille du FLN.
La machine FLN, véritable étatisme policier, va passer à l’action et ce à partir de l’été 1961 avec des meurtres de policiers français. La décision de sortir dans la rue va être prise par un bureau politique de 4 personnes. La manifestation du 17 octobre 1961 fut donc une manière de rompre avec les stratégies d’évitement et de camouflage. Il s’agissait de faire apparaître l’immigration algérienne de la manière la plus visible qu’il soit, dans son unité derrière le FLN. Quel qu’en soit le prix. Les mots d’ordre de sortir et se faire voir ne doivent pas être divulgués avant le 16 octobre. Il est hors de question d’avertir les forces de gauches françaises, UNEF et PSU en tête, qui ne cessent de manifester contre la guerre. C’est donc seuls que les Algériens des alentours de Paris descendent vers la capitale, vers des unités policières qui ne rêvent que de se venger. Ainsi, le 17 octobre, c’est sans doute près d’un quart des habitants de région parisienne qui entrèrent en action. Des consignes avaient été diffusées sur la nécessité de convaincre à tout prix les récalcitrants, mais certain·e·s Algérien·ne·s réussirent à échapper à ce véritable ordre de mobilisation. D’autres manifestations eurent lieu dans les jours qui suivirent. Certains prévenus trop tard le 17, les rejoignirent alors. Combien étaient-ils ? Difficile de le dire. Selon le rapport, en 1998, du conseiller d’État Diedonné Mandelkern, commandé par le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, après la déposition de Maurice Papon devant la Cour d’Assisses de Gironde, il y aurait eu de plusieurs dizaines de morts, 11.538 arrestations, 6.000 personnes regroupées au Palais des Sports Porte de Versailles et 2.800 et au Stade de Coubertin à Vincennes. Le nombre exact de morts est encore imprécis, il oscille entre 120 et 345. Ces chiffres témoignent à la fois de l’adhésion de la population aux mots d’ordre frontistes, des capacités d’organisation du FLN, ainsi que de son pouvoir disciplinaire et de coercition. Mais ils ne doivent pas faire oublier, que selon tout vraisemblance, plus des deux tiers des Algérien·ne·s de la région parisienne ne furent pas directement impliqué·e·s dans les démonstrations de masse d’octobre 1961.
L’étude publiée sur un site d’archives ouvertes est tout à fait intéressante à ce sujet. Intitulée Algériens et Algériennes dans les manifestations d’octobre 1961, elle montre que présenter les massacres d’octobre 61 comme un crime est à la fois pertinent mais demande un regard critique sur la façon dont tout cela fut organisé.
Sortir d’une optique purement victimaire est une nécessité indispensable. Le cessez-le-feu en Algérie advint 6 mois plus tard, le 19 mars. Les dirigeants de la résistance algériennes, accèdent au pouvoir, Ben Bella en tête. En 1965 Boumediene, ministre de la défense procède à un « réajustement révolutionnaire » et prend le pouvoir. Depuis l’appareil du FLN est resté en place jusqu’à aujourd’hui. La parenthèse de la guerre civile algérienne qui durera une dizaine d’années à partir de 1991 reste incomprise si ce n’est inconnue pour une bonne part de la gauche française. Cette guerre préfigure ce que nous appelons ces jours le Djihad ? Elle fit entre 60 00 et 150 000 morts. Cette fourchette en dit long sur les silences qui continuent à entourer ces dix années. La littérature algérienne en la personne au moins de Boualem Sensal et Kamel Daoud continue à en porter témoignage.
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1 |
le 11 mars 2021 18:05:31 par Luisa |
Dans la mesure du possible et quand ce sera possible évidemment, ce serait vraiment intéressant d’inviter à Publico Boualem Sensal et/ou Kamel Daoud ... Encore MERCI à Vous !