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par Pierre Sommermeyer le 29 juillet 2019

Discussions avec Rassinier

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Anarchistes et juifs suite

Article extrait du Monde libertaire n°1807 de juin 2019
Dans le précédent article le concernant, j’avais abordé la façon dont avait été reçue la publication du livre de Rassinier Le mensonge d’Ulysse dans le milieu libertaire. On aurait pu croire que la violence des propos aurait fait de Paul Rassinier quelqu’un à éviter. Il n’en fut rien. D’autres livres advinrent.





Dans l’excellente revue anarchiste Témoins éditée en Suisse par Jean-Paul Samson, trois auteurs dont ce dernier, accompagné d’André Prunier (André Prudhommeaux) et de Robert Proix, rendent compte dans le numéro 3-4 (hiver1953) du dernier livre paru de Rassinier aux Editions de la Voie de la paix Le Discours de la dernière chance. En exergue on trouve une présentation du thème principal de ce livre : « Et il faudrait être totalement démuni de sens pour parler de coexistence pacifique des deux blocs dans ces conditions : la moitié frustrée ne cesse de monter à l’assaut de la moitié grassement nantie, et, si cette dernière s’obstine à garder ses avantages, immanquablement, nous aurons la guerre. » La conclusion saute aux yeux : il faut que les nantis, sous la pression interne et externe, sacrifient leurs privilèges, en une nuit diplomatique du 4 août. Il faut fonder la paix entre les nations en lui donnant pour base la justice entre les nations.

Pour Prudhommeaux, il n’y a pas de justice entre les nations. Même les formes de solidarité les plus minimes, comme les passeports Nansen (donner une identité « nationale » aux apatrides) sont repoussées avec violence par les nationalismes totalitaires. La paix en l’état des choses ne peut être sauvegardée que par un équilibre des forces. Dire comme Rassinier le fait qu’il n’y a pas assez à manger à l’Est, c’est selon Prudhommeaux affirmer qu’il y a trop d’hommes. Il ajoute : « Pour un État marxiste ou fasciste, il n’y a jamais trop d’hommes ; jamais trop de prolétaires, jamais trop de soldats. » Il termine son intervention en disant : « Égaliser les « richesses naturelles » priverait trop évidemment les hommes (soviétiques et occidentaux) de leur dernière chance de ne pas finir leurs jours par les soins du napalm, des tanks, des bombes H et autres armes modernes de la révolution mondiale totalitaire. »

Robert Proix ne partage pas complètement cet avis. « Nous ne croyons pas Rassinier assez naïf pour se faire illusion sur les possibilités d’une équitable répartition des biens en l’état présent des structures sociales et économiques du monde. […] Rassinier démontre avec logique le mécanisme de la guerre moderne, dont on peut dire qu’elle est une fois de plus au premier rang de nos préoccupations essentielles. » Pour Proix ce livre est hautement significatif, son auteur a un esprit d’indépendance et de non-conformisme assez inhabituel.

Jean-Paul Samson se rallie à la position de non-recevoir de Prudhommeaux. « Hélas, l’exemple hitlérien et mussolinien ne nous a que trop ouvert les yeux sur l’inutilité fondamentale de toutes les concessions consenties, à des régimes totalitaires. » Si la cause de la paix est une bonne cause, néanmoins, « elle ne peut pas s’acheter par un pourboire à l’esclavagisme moscoutaire ».

Au printemps 54, Rassinier répond. Il accuse ces critiques de ne pas avoir lu correctement son livre. « Votre erreur a été de prendre, dans cette analyse, des constatations de fait – l’une d’entre elles particulièrement – pour des justifications et de me les imputer. » Il va les assimiler à tous ceux qui ont mal rendu compte du Mensonge d’Ulysse. Samson lui répond sur le même ton « que d’autre part Rassinier prenne garde à ne pas suivre lui-même la méthode qu’il croit pouvoir nous reprocher, en nous prêtant des arguments qui n’ont jamais été les nôtres ».

Au printemps 1955, dans le numéro 8 de la revue, André Prudhommeaux rend compte du Mensonge d’Ulysse. Ce livre, après des tribulations juridiques, vient alors de reparaître. Cette fois il n’est pas question de prendre des pincettes. Rassinier « ne nie rien de moins que la véracité des récits que tant de rescapés firent de l’usage nazi – non pas des crématoires, mais des chambres à gaz ». Pourtant Prudhommeaux reconnaît que l’hypothèse de l’auteur que ces endroits relevaient d’une légende pouvait fonctionner « pour imposer aux habitants de l’univers concentrationnaire la lutte effrénée pour la survie ». Et il rajoute : « Tout cela ne dépasse-t-il pas en horreur véridique le crime « virtuel » (non prouvé, semble-t-il) de l’anéantissement par les gaz ? » Pour lui le Mensonge d’Ulysse peut servir de leçon morale puisqu’il illustre le fait que « l’homme n’est humain qu’en certaines conditions minimums de distance et d’espace libre entre lui et son semblable ».

A l’hiver 1956/57, Jean-Paul Samson rend compte d’un article de Rassinier (Défense de l’homme, février 57) sur les évènements de Budapest. « Paul Rassinier, […] est assurément un honnête homme […]. Mais il y a chez lui — Le Mensonge d’Ulysse l’a bien montré — un tel désir hypertrophié de ne pas tromper autrui qu’il en arrive à se monter le coup à lui-même tout le premier : à l’entendre, à peine eût-on pu croire encore à l’existence des chambres à gaz. » La critique devient alors dure : « Folle est, pour Rassinier, toute entreprise que ne couronne pas le succès », que ce soit l’Espagne ou la révolution hongroise. Samson rajoute : « Sa pensée s’apparente ici étrangement à l’attentisme de la social-démocratie allemande, aboutissant à céder bien gentiment le pouvoir à Hitler, parce que le personnage avait obtenu la majorité des voix et que, donc, la situation « n’était pas révolutionnaire ». » Et termine en disant : « Qu’il veuille bien aussi réfléchir que, sans la Commune, pourtant écrasée, elle aussi, les déshérités, sous la république bourgeoise, n’eussent assurément pas si vite retrouvé le courage de vouloir plus de justice. »

Témoins publiera en deux fois, numéros 17 puis 18, suivant la réponse de Rassinier. Ce dernier prétexte que c’est la publication du Mensonge d’Ulysse qui lui vaut la vigueur avec laquelle Samson a critiqué son article. P. Rassinier revient sur la distinction qu’il fait entre révolté et révolutionnaire. « Le mélange que d’aucuns font, ajoute-t-il crée un malentendu qui est tragique, il n’a sorti le mouvement ouvrier d’un excès que pour le précipiter dans l’excès contraire. » Cet article n’est pas sans intérêt. On pourra en prendre connaissance sur le site de La presse anarchiste.

En 1962, dans l’avant-dernier numéro de Témoins, Robert Proix se penche sur un nouvel écrit de Rassinier l’Équivoque révolutionnaire, Défense de l’Homme, 1961. Ce dernier y défend les mêmes thèses que dans le précédent article sur la Révolution hongroise. Proix se demande quelle peut être l’utilité d’un « ouvrage de ce genre », il ajoute : « Ainsi donc, une véritable révolution ne serait point, du moins à en croire notre auteur, un pas en avant mais un retour en arrière. » Et il termine ainsi : « L’ouvrage de Rassinier ne nous conduirait-il qu’à méditer là-dessus, il n’aurait pas été inutile ».

Et les juifs ?

Le lecteur aura remarqué comme moi que dans les lignes qui précèdent, le mot juif n’est jamais utilisé. Comment se fait-il que des compagnons aussi avertis et cultivés que ceux qui se retrouvent dans cette revue de haute qualité ne s’en soient pas aperçus ? Dès 1951 l’information concernant le sort des juifs sous la botte nazie est du domaine public. Léon Poliakov publie cette année-là le Bréviaire de la haine. Le IIIe Reich et les Juifs aux Editions Calmann-Levy. La préface porte la signature d’un écrivain reconnu, membre de l’Académie française, prix Nobel de littérature, François Mauriac. Ce livre va ouvrir la voie à une série d’ouvrages sur ce qui n’a pas encore pris le nom de Shoah. Au moment où Robert Proix répond définitivement à Rassinier, la Fédération anarchiste a fait savoir quelques mois avant dans son BI (octobre 1961) : « Nous tenons à rappeler que depuis 1961 il n’appartient plus à notre organisation, son attitude nous étant apparue plus que suspecte, et depuis plus longtemps encore il ne collabore plus à notre journal. En conséquence, nous affirmons catégoriquement que nous n’avons rien à voir avec ce personnage qui nous est totalement étranger. » Les relations suivies entre Rassinier et l’extrême droite tant française qu’allemande étaient enfin mises au jour. Pourtant sa personnalité probablement extrêmement convaincante, sa forte capacité de production d’écrits feront qu’il restera presque jusqu’à sa mort en 1967 un collaborateur de nombre de publications du milieu libertaire. Nous reviendrons plus loin sur le rôle que jouera le Mensonge d’Ulysse dans l’aventure négationniste qui verra des ex-libertaires courir au secours de Robert Faurisson, membre déclaré de l’extrême droite française.

Il ne faudra pas attendre longtemps pour que la question juive revienne au premier plan de l’actualité judiciaire et culturelle avec le Procès Eichmann et la pièce de théâtre le Vicaire.

Pierre Sommermeyer




PAR : Pierre Sommermeyer
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