Expulsion illégale

mis en ligne le 30 novembre 1995

Montreuil

Il y a dix ans, en 1981, M. et Mme D. louent un petit appartement de deux pièces à Montreuil, au 207, rue de Paris. M. D., âgé de 60 ans, travaille dans une entreprise de nettoyage. Une espèce d'aventurier de la finance à la Tapie, M. Jean-Claude Rivet, marchand de biens, qui se présente comme « restructurateur et assistant d'entreprises », voyant les prix de l'immobilier grimper sur Paris, achète en 1989 le 207, rue de Paris. Montreuil est à côté de la capitale, et comme les prix des loyers y deviennent trop chers, même pour les classes moyennes, on peut espérer faire de bonnes affaires à Montreuil et racketer ceux qui doivent quitter Paris.

M. Rivet achète donc un immeuble qui contient une charcuterie et un petit logement, qui est habité par M. et Mme D., protégés par la loi de 1948 sur les loyers. Malgré les tentatives d'expulsion, M. et Mme D., qui ne s'émerveillent pas du magnifique objet financier, s'entêtent à vouloir rester dans leur logement.

En juillet dernier, M. Jean-Claude Rivet fait enlever la toiture, histoire de les mettre dehors, car il n'a pas le pouvoir de les mettre à la rue. Avec l'audace d'un beauf, il essaye de mettre l'immeuble en péril par n'importe quel moyen. Les D. ont droit à un relogement, comme l'assure la loi. Loi qui semble, pour M. Rivet, un simple détail dans l'histoire. M. et Mme D. ont assigné en procès le propriétaire-casseur pour détérioration de leur domicile (ce procès a eu lieu le vendredi 13 septembre). Mais celui-ci craint que le tribunal le condamne à réparer la toiture et à maintenir les D. dans leur logement. La veille du procès, il arrive en Land Rover avec un commando de démolisseurs pour s'assurer que même si le tribunal reconnaît le droit aux D. d'habiter au 207, rue de Paris, l'immeuble soit rigoureusement inhabitable. Les ouvriers-casseurs s'attaquent à l'escalier ; jettent les affaires des D. par les fenêtres ; murent les ouvertures pendant que Mme D. se trouve à l'intérieur, car elle refuse de quitter son domicile. Les voisins et des adhérents de l'association au « Droit au logement » se rassemblent dans l'après midi devant l'immeuble. Ils sont pour la plupart originaires d'Afrique. À la charcuterie, au rez-de-chaussée, on peut entendre des propos du genre : « Eh le charcutier, il te faudrait tirer dans le tas, ça te ferait de la viande pour les saucisses. » (rires) « Vas-y lâche ton chien. »... « Ah non, je ne voudrais pas qu'il lui arrive quelque chose. » Vers 18 h, la police arrive la matraque à la main. Ils refoulent, brutalement, les gens venus en soutien aux D. Par contre, elle n'a pas cru bon d'intervenir auparavant, en pleines voies de fait exécutées par une équipe de gros bras, qui ôtait le toit, détruisait illégalement l'immeuble et dégradait, volontairement, les biens des locataires. La présence d'une avocate (blanche !) oblige le commissaire, néanmoins, à accepter l'évidence : les D. sont bien locataires en titre, et M. Rivet n'a aucun droit de démolir leur maison. Le logement étant devenu inhabitable et même dangereux, M. Rivet leur en propose un autre à Montreuil, dont il est aussi propriétaire. M. D. le visite. C'est une petite pièce avec un énorme trou au plafond. Décidément, M. Rivet collectionne des logements dévastés. M. et Mme D. décident alors de dormir dans la cour de leur immeuble, remplie de gravats. Ils vont y dormir accompagnés de leurs amis, car ils craignent les provocations des sbires de M. Rivet. La rumeur dit que celui-ci a le bras long et des amis à la mairie de Montreuil.

La décision du tribunal d'instance de Montreuil a été mise en délibéré jusqu'à jeudi 19 septembre. Un comité de soutien s'est constitué.