Pour un modèle éducatif efficace en Tunisie

mis en ligne le 23 avril 2015
1773FreedomEn Tunisie, durant les trois dernières décennies, il y a eu, malgré leur rareté, quelques tentatives d'études académiques qui n'ont pas cessé de questionner le modèle éducatif. Elles proposaient des pistes afin de transformer le quotidien de l'école avant de le changer en suivant une nouvelle optique. De fait, cette accumulation de travaux intellectuels et culturels voulait redonner à l'éducation son rôle de locomotive de tout véritable changement social.
Cet article s'inscrit dans cette optique, et dans un projet d'étude plus approfondi qui verra le jour. Nous nous basons sur une remise en question des insuffisances de notre modèle pédagogique. Nous voulons en souligner les symptômes qui apparaissent au sein de nos établissements.
Ce que nous voulons de ce projet de recherche c'est montrer la nécessité d'une vision de notre quotidien qui tienne compte de l'espace de l'école, et des élèves qui le côtoient.
Nous voulons observer les signes des problèmes du système d'enseignement, et les obstacles pour le transformer. Nous n'oublierons pas une remise en cause du rôle des divers intervenants à l'école, quelles que soient leurs positions et leurs responsabilités.
Même si le modèle pédagogique dans sa version actuelle n'a pas de rapport avec les buts qui sont les siens théoriquement, et même si nous déplorons l'échec des dernières tentatives de le faire évoluer qui suivirent les mouvements révolutionnaires de la fin de l'année 2010, nous devons aussi constater l'actuelle régression en la matière.
Les gouvernements qui se succèdent se débarrassent du peu d'acquis du système scolaire, et tentent d'importer des modèles en décalage avec la société tunisienne, comme le modèle turc. Les uns sont nostalgiques de l'héritage colonial ottoman ou français, les autres veulent développer des écoles religieuses à l'afghane.
Mais au-delà des apparences, tous ces modèles n'ont rien de commun avec la réalité de la société tunisienne et les cultures populaires qui forgent son identité. De nombreuses critiques se sont élevées pour dénoncer l'importation de modèles éducatifs étrangers à travers certains hommes politiques. Si nous poussons plus loin la critique, nous devons décrire l'importation de ces modèles comme l'arme d'un colonialisme intellectuel et culturel renouvelé. Ce qui est visé à travers ces politiques en matière d'éducation, sans relation avec les spécificités locales, c'est la soumission du peuple par l'aliénation.
Ces jeunes qui réalisent leur formation intellectuelle, élèves et étudiants, souffrent du tiraillement culturel, c'est là l'un des nouveaux aspects de nos établissements. Il s'ajoute à la violence qui était déjà présente à l'école : l'errance, la drogue, et surtout à l'idée libérale que tout se gagne à court terme sans réel effort. Et c'est d'ailleurs tout un système de relations basé sur la triche, la « fausse copie », dont il est question.

Comment faire face à cette accumulation de problèmes ?
Le défi commence avec une réponse à la question : qui sommes-nous ? Nous devons trouver une réponse éloignée de toute idéologie prédéfinie. Pour faire les bonnes critiques, il faut connaître les avantages et les inconvénients de notre modèle pour aboutir à ce que nous attendons.

Quels sont les obstacles qui bloquent les tentatives de changement ?
Nous devons encourager les militants, tout comme les divers intervenants au sein du système scolaire, à réfléchir sur une réalité que cachent les responsables politiques. Nous constatons la démission de ceux qui tiennent le pouvoir à travers leur acceptation aveugle de tout ce qui arrive au-delà de la mer malgré les grandes attentes suscitées par les mouvements révolutionnaires.
Ils semblent oublier le message du peuple sur des points essentiels : l'emploi et la liberté, mais ils refusent aussi un projet de société qui inclue véritablement les classes sociales populaires. Ces dernières tendent elles-mêmes, par expérience, vers un refus de l'actuel modèle d'éducation et de culture qui s'est avéré être un échec pour elles.
L'échec du modèle tunisien se vérifie par des chiffres indiscutables malgré la machine médiatique qui défend les intérêts de la classe dominante. Par exemple, la situation des universités tunisiennes et des centres de recherche qui se trouvent aux derniers rangs des classements mondiaux (la première université tunisienne se trouve en 70e position au niveau africain). À l'école, le nombre d'élèves à quitter leur établissement en cours d'année s'élève à 100 000 pour l'année scolaire 2012-2013. Les chiffres « officiels » des cas de violences à la périphérie et dans des écoles sont en augmentation, et nous interrogent aussi : 8 875 durant l'année scolaire 2013-2014.
La baisse de la qualité de l'enseignement se retrouve à différents niveaux, du primaire jusqu'à l'université. Au bout du compte, les diplômes n'ont plus aucune valeur, alors que dans les années 1980 on reconnaissait leur caractère exemplaire en terme de savoir. Cette situation amène la Tunisie au sein des derniers rangs dans les évaluations des capacités des élèves dans les domaines scientifiques selon les recherches du « programme international pour le suivi des acquis des élèves ».
L'autre défi, et néanmoins le plus important, à propos du modèle éducatif tunisien, c'est de trouver des solutions à la racine des problèmes qui règlent définitivement ce qu'on appelle « l'excès de diplômés », c'est-à-dire le chômage. En Tunisie, ces dernières années, il y a toujours plus de diplômés chômeurs sans véritables qualifications qui forment ce qu'on appelle « l'armée de suppléance ». L'État ne remplit plus son rôle d'employeur dans la fonction publique. Dans ce contexte, l'enseignement n'a donc pas le soutien d'une véritable politique publique. L'échec de l'État en matière d'éducation se répercute dans la société tunisienne dans la conscience populaire, en particulier celle des élèves qui ne voient pas l'utilité d'être éduqués, de renforcer leurs savoirs, leur futur étant forcément perçu comme étant un « chômage-destin ».

Comment transmettre des connaissances et construire un modèle pédagogique pour des élèves sans ambition ?
Mais nous devons aussi avoir conscience que résoudre le problème de l'éducation en Tunisie ne sera pas un remède pour tous les autres problèmes sociaux. L'éducation a de toute façon perdu son aura symbolique, en tant que facteur prioritaire d'émancipation sociale.
En résumé, l'accumulation de problèmes dans le secteur de l'éducation est le résultat direct, sans faire de détour sémantique, de toutes les stratégies et les plans mis en place par des pseudo-responsables politiques contre la réalité tunisienne. Ils ont abouti a un échec sans précédent.
Aujourd'hui, il faut réagir sans attendre, instaurer un nouveau modèle éducatif indépendant de l'exemple stupide de réussite du style « pétrodollar », en tenant compte de nos spécificités. Il faut complètement redéfinir les priorités économiques et sociales. Un modèle d'enseignement populaire, basé sur des pratiques collectives, des évaluations constantes, des formations continues.
S'unir pour changer le modèle éducatif.
S'instruire pour se révolter

Kadri Arbi
« Notre école & la révolution » Revue éducative et critique
Sidi Bouzid (Tunisie)