Que crève leur démocratie

mis en ligne le 23 avril 2015
Le prétendu « devoir » citoyen est tellement moribond que nos parlementaires en quête – hypocrite – de légitimité populaire en sont rendus à vouloir rendre le vote obligatoire ! Bah tiens. Il paraît que les Belges l'ont déjà mis en place depuis un baille. Tu votes, c'est bien ; tu votes pas, tu paies 30 balles. Avoir recours à pareille mesure en dit long sur l'état de décrépitude du système démocratique parlementaire, dans lequel les sujets de ces messieurs-dames de l'État ont de moins en moins confiance. Les échéances électorales passent, et les taux d'abstention explosent, traduisant de manière on ne peut plus explicite le désamour des potentiels électeurs à l'égard de cette démocratie putassière qui n'en finit plus d'avancer à marche forcée contre les classes populaires.

Politiser l'abstention
Bien sûr, il serait parfaitement idiot de penser que cette abstention grandissante trahit le désir de ces « mauvais citoyens » de ne plus se voir confisquer leur souveraineté par des cols blancs avides de pouvoir. Et l'abstention est probablement aujourd'hui le fruit d'un désintérêt pour la politique en général, y compris dans ce qu'elle pourrait avoir de « noble ». Nombre de ceux qui ne votent pas aux départementales se désintéresseront tout autant des élections professionnelles dans leur entreprise ou des mobilisations sociales qui secouent leur quartier. Mais si cette abstention populaire n'est pas à fantasmer, il nous reste cependant à en prendre la juste mesure et à en tirer les conclusions adéquates : à savoir l'urgence pour les révolutionnaires de faire valoir aujourd'hui, haut et fort, à destination de nos frères et sœurs de classe, la possibilité de faire de la politique autrement, en dehors des logiques de représentation verticale et, donc, de l'État. Politiser l'abstention, en somme, comme nous avons un jour politisé la nôtre. Mais le dire, c'est bien, reste à savoir comment s'y prendre – et la réponse est sans doute ailleurs que dans le seul collage d'affiches appelant à une « abstention révolutionnaire ».

Le mirage du vote blanc
Histoire de se la jouer cool et de diluer quelque peu la logique autoritaire que renferme cette possible obligation de voter, le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone – en première ligne dans cette affaire –, avance aussi l'idée de comptabiliser le vote blanc, excepté lors du deuxième tour de l'élection présidentielle. Une façon de dire aux électeurs : si aucun candidat ne vous convient, pas grave, votez blanc, mais, surtout, votez ! Tout est là. Tout est ici résumé. L'important, pour eux, n'est pas que les électeurs aient confiance dans les candidats, mais qu'ils participent à la mascarade électorale. Autrement, la perte de légitimité ne concerne plus les seuls candidats, mais le système électoral tout entier. En reconnaissant le vote blanc, ceux d'en haut aspirent moins à faire remonter le désaveu de ceux d'en bas à l'égard des candidats qu'à nous pousser à être les acteurs d'un système désormais moribond.

Démocratie de classe
Le président du Sénat, Gérard Larcher, et celui de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, tous deux porteurs de ces brillantes idées pour revitaliser la vieille démocratie (l'un de droite, l'autre de gauche), nous auraient presque émus dans leurs justifications. Ces deux présidents auraient ainsi à cœur de réaffirmer et de favoriser l'engagement républicain (quèsaco ?). Pour eux, l'abstention est dangereuse : c'est même un déni de démocratie (laquelle ?). Inutile, bien sûr, de démonter à nouveau leur langue de bois, ils sont tellement grotesques qu'il est probable que personne ne soit vraiment dupe de leurs discours et de leurs idées « révolutionnaires ». Reste qu'il est « amusant » – et somme toute assez révélateur – de voir que leur amour de la démocratie et du devoir électoral s'arrête aux institutions de leur classe, celle des dirigeants et des possédants. Car il y a quelques mois, en 2014, l'Assemblée nationale puis le Conseil constitutionnel ont adopté et validé la suppression... des élections prud'homales ! Jusqu'alors élus par les salariés, les conseillers prud'homaux sont désormais désignés par les organisations syndicales et patronales. La raison de cette mesure ? Les travailleurs étaient de moins en moins nombreux à participer à ces élections prud'homales. Pourquoi, alors, ne pas avoir proposé le vote obligatoire ? Sans doute est-il plus facile de contrôler la direction d'un syndicat que des hordes de travailleurs énervés.