Affaire Dieudonné : l’antiracisme se passe de ministère

mis en ligne le 22 janvier 2014
1729ManoloProloComment écrire un article sans participer à la cacophonie et au chaos médiatique ambiants 1 ? Mission presque impossible. Si ce n’est en essayant de réaffirmer quelques principes de base, sans illusions sur l’issue de cette aporie.
Tout d’abord, les spectacles de Dieudonné sont le lieu d’expression d’une idéologie nauséabonde, dangereuse et inacceptable.
Sous couvert d’humour, il se donne pour mission de dénoncer un « système » qui, dans sa conception délirante, serait téléguidé par un lobby pro-sioniste. On retrouve là tous les ingrédients d’une pensée dont les soubassements empruntent à la rhétorique antisémite du XIXe siècle (Protocole des sages de Sion, Drumont, etc.) et aux mouvements d’extrême droite de l’entre-deux-guerres. Ce sont les mêmes arguments qui sont avancés par les négationnistes.
Bien entendu, jamais ce triste bouffon n’avancera à visage découvert. Tout est dans le sous-entendu, dans la déconnade (la chanson Shoananas), dans le code (ce fameux geste de la quenelle, que chacun peut interpréter à sa guise, mais qui est un geste raciste).
À la faveur du grand déballage médiatique, on apprend que le militant « anti-système » Dieudonné, tel qu’il aime à se définir, s’est très bien organisé pour amasser tranquillement son gros pécule, qu’il met soigneusement à l’abri du fisc avec l’aide de ses avocats (il en a cinq !), et qu’il organise son insolvabilité : un vrai patron, à la Tapie !
Et, d’ailleurs, qui sont-ils, ces « anti-système » ? Alain Soral (le « mentor » de Dieudonné), les partis d’extrême droite européens, le clown italien (tient, un autre…) Beppe Grillo. Tous dénoncent « les financiers mondialistes qui en veulent à la nation ». C’est le « système » qui est visé et, en bons complotistes, on désigne à l’aide de sous-entendus et de phrases codées, ceux qui, en sous-main, sont censés le diriger : « Suivez mon regard. »
Mais, surtout, c’est la présence médiatique qui importe à Dieudonné : en organisant les concours de photos de quenelle via Internet, il se donne la plus grande visibilité possible. Et, ainsi, il permet à ses idées de se répandre.
Et, en face, on trouve un ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, ambitieux, carriériste, qui se voit déjà vizir à la place du vizir, et peut-être un jour calife à la place du calife. Un scénario que l’on connaît déjà… Saisissant au bond une énième sortie ordurière de Dieudonné contre un journaliste, celle regrettant les chambres à gaz (ce négationniste n’en est pas à une contradiction prés), le ministre se lance dans une campagne de salubrité publique, se faisant le héraut de l’antiracisme, de la lutte contre l’antisémitisme et du respect des valeurs républicaines ! Oubliée la petite phrase de Valls sur les Roms qu’il qualifiait, en novembre dernier, de « populations qui ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation » et qu’ils avaient « vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie ». Oubliée la phrase du maire d’Évry qu’il était encore en juin 2009, lorsqu’il parcourait une brocante de sa ville et lâchait à son adjoint : « Belle image de la ville d’Évry… Tu me mets quelques Blancs, quelques Whites, quelques Blancos… » Soutenu par la plupart des éditorialistes, bousculant la loi et la justice, le fier matamore décide de l’interdiction des spectacles du soi-disant humoriste, et réussi même à faire casser par le Conseil d’État, en un temps record, le jugement du tribunal de Nantes, défavorable à l’interdiction du spectacle qui devait se tenir le 9 janvier.
C’est une censure, appelons les choses par leur nom, qui risque d’instaurer une jurisprudence extrêmement dangereuse. Et puis, en si bon chemin, on va aller aussi censurer le site Internet de Dieudonné : un pas de plus vers le contrôle de la Toile, au nom, bien sûr, du bien (hier, c’était la lutte contre la pédophilie, aujourd’hui, contre l’antisémitisme).
Et, pendant ce temps, le président fait des risettes au patronat, en lui offrant la baisse des cotisations sociales.
Soyons clairs. Les discours prétendus humoristiques de Dieudonné nous dégoûtent, ils sont racistes, et ce personnage est clairement inscrit dans la mouvance d’extrême droite, même s’il essaie d’entretenir l’ambiguïté et la confusion autour de ses réelles motivations. Son public est soit consentant à ses délires, soit dupé et naïf.
Il existe aujourd’hui un climat social et politique hautement délétère, dont Dieudonné est un des symptômes et acteurs, et dont il se nourrit. La charge menée contre lui par le ministre de l’Intérieur, outre les atteintes à la liberté d’expression et le renversement de la pratique habituelle jusque-là de statuer judiciairement après coup, risque d’avoir l’effet inverse à celui escompté, si tant est qu’on puisse naïvement prêter une telle intention à un politique assez cynique pour se servir d’abord et avant tout d’un tel événement pour son propre profit et sa carrière. On peut d’ores et déjà parier que la posture victimaire de Dieudonné, qu’il utilise déjà depuis longtemps, va sortir renforcée par ce battage, et que ses positions vont aller en se radicalisant. La lutte contre le racisme et l’extrême droite est une affaire bien trop importante pour la laisser à un ministre de l’Intérieur.






1. Je vous engage à lire l’article consacré à cette affaire intitulé « La Dieudosphêre, bien plus vaste qu’elle en a l’air » sur le blog Louftmenschen.over-blog.com



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Jim

le 26 janvier 2014
"Son public est soit consentant à ses délires, soit dupé et naïf."

Ou peut-être que son public à un esprit critique et peut rentrer et sortir de sa salle sans pour autant en devenir raciste ou avoir envie de "casser du juif" mais juste pour la qualité d'artiste de Dieudonné. Je veux bien croire que vous en savez assez sur ce dernier pour l'attaquer mais son public est hétéroclite. Ne rentrez pas dans le jeu du mépris et du paternalisme gouvernemental s'il vous plait.