Psychiatrie, sismothérapie ? Non merci !

mis en ligne le 27 juin 2013
Le traitement par électrochocs est né dans l’Italie fasciste lorsque les psychiatres Ugo Cerletti et Lucio Bini observèrent que l’électrisation tranquillisait les porcs avant de passer à l’abattoir. Tout le monde se souvient de la séance que subit Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou. Mais nous pensons, pour la plupart, que cette pratique est révolue. Or, elle ne l’est pas. Depuis quelques années, la psychiatrie a reconsidéré cette technique comme efficace moyennant quelques changements de forme.
Ainsi, le terme d’électrochocs, mal connoté dans l’opinion, a dû être abandonné. Dans la novlangue psychiatrique, on parle désormais de sismothérapie ou ECT électroconvulsivothérapie. Pour limiter l’angoisse, les patients sont anesthésiés sur une courte durée. Les convulsions motrices et leurs conséquences traumatiques sont traitées par curarisation. Toutefois l’énergie électrique envoyée dans le cerveau reste identique à autrefois et a même tendance à augmenter. Les électrochocs sont devenus une technique propre pour celles et ceux qui l’administrent. Tout au plus verra-t-on un bras se dresser, des orteils se recroqueviller ou des dents claquer, mais point de corps se tordant ni de hurlements. La personne soumise au traitement est inconsciente, mais la douleur est exactement la même qu’au temps des électrochocs. Le traitement est déclenché théoriquement en recherchant le consentement du patient et/ou de l’entourage. Mais vu le désarroi des malades et de leurs proches, ceci n’est que pure formalité à partir du moment où le psychiatre a décidé.
Il est actuellement impossible de savoir combien de personnes sont traitées par sismothérapie en France. Pourtant, tous les centres la pratiquant font l’objet d’une autorisation spécifique des agences régionales de santé. La Caisse d’assurance-maladie recense 21 124 séances en établissements privés en 2011. La même année, il y aurait eu 8 534 actes dans les hôpitaux publics hors établissements psychiatriques. Pour ces derniers, où cette pratique est pourtant la plus répandue, aucun chiffre global 1. La Pitié Salpêtrière, à Paris, affiche 800 séances par an sur son site Internet. Au Québec, où l’on serait passé de 4 000 séances en 1988 à 8 119 en 2003, on estime que la sismothérapie est administrée pour 75 % à des femmes 2. Le traitement comprend entre quatre et vingt séances à raison de deux ou trois par semaine. Les électrochocs sont prescrits pour dépressions, manies ou schizophrénies.
Les psychiatres jugent que ce traitement est efficace pour faire disparaître les symptômes et mettent en avant des témoignages de patients comblés. Les électrochocs ont pour but de provoquer une crise d’épilepsie. La peur ressentie par les patients n’est pas la même avant la première séance qu’après. Le traumatisme ressenti est semblable à celui éprouvé après un viol et plonge l’individu dans un état confusionnel avec souvent une perte de la parole. Dans ces conditions, il est évident que la souffrance antérieure disparaît provisoirement au profit d’un choc post-traumatique qui ne peut être évalué par les psychiatres puisque c’est eux-mêmes qui l’ont infligé. Mais dans une logique d’efficacité à court terme, le problème est réglé. Pourtant, rien n’est guéri : tout ce qui cause la souffrance subsiste, voire est aggravé par le traitement. De l’aveu même de agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé québécoise, la sismothérapie ne diminue en rien le risque de suicide. D’une manière générale, l’évaluation scientifique des effets de ce procédé est très orientée. Le simple fait que l’on ignore combien d’actes sont réalisés en est la preuve. En 1997, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé reconnaissait l’absence d’étude à long terme sur les effets cognitifs 3.
On ne sait pas exactement comment les électrochocs agissent. Il semble que leur action soit liée aux structures cérébrales impliquées dans la mémorisation. Les effets sur la mémoire sont notoires. Ils concernent bien sûr la période du traitement qui est complètement effacée. Mais aussi d’autres moments de la vie, des éléments socioaffectifs personnels ou l’expérience professionnelle. Il faut donc réapprendre alors que les capacités d’apprentissage sont elles-mêmes détériorées par les électrochocs. L’élocution, la visualisation, l’attention, la capacité de jugement, d’organisation, de résolution de problèmes seraient aussi impactées. L’état confusionnel disparaît progressivement, mais perdurent une désorientation, des migraines, une sensation d’irréalité. En outre, les dégâts osseux faciaux restent importants : déformations de la mâchoire et de la dentition malgré les protections utilisées. On note également des brûlures, des douleurs musculaires, des lésions cérébrales, des troubles des systèmes cardiovasculaire et respiratoire.
Le renouveau des électrochocs – ainsi d’ailleurs que le recours au lithium – se fait dans un silence presque total. Sur Internet, comble de l’horreur, l’église de scientologie tente de récupérer des adeptes parmi celles et ceux qui s’interrogent sur la psychiatrie. Les électrochocs avaient été abandonnés dans les années 1970. Les enquêtes rétrospectives montrent que leur utilisation relevait souvent plus d’une technique de maîtrise des patients que d’un traitement thérapeutique. Il s’agissait avant tout d’un outil de pouvoir psychiatrique. Contre ce dernier, l’antipsychiatrie avait su créer un rapport de force et l’abandon des électrochocs n’y est probablement pas étranger. Mais cette contestation n’existe plus. Les psychiatres inscrivent leurs pratiques dans une idéologie hypernormative d’efficacité comptable. Le malade n’est qu’un cobaye sur lequel on expérimente des procédés où le biologique, le chimique et le neurologique priment sur le psychologique et le social. Le débat autour de la sismothérapie se limite à son perfectionnement technique. La question politique de la coercition, de la barbarie et de l’inhumanité a été mise sous le tapis. Un peu partout dans le langage courant des termes de maladies mentales sont utilisés pour qualifier des personnes avec lesquelles on est simplement en désaccord. Mais la déshumanisation de notre civilisation continue de produire de la souffrance psychique de façon croissante. Et les moyens pour y répondre sont eux-mêmes déshumanisants. En tant qu’anarchistes, il nous semble nécessaire de poursuivre le combat critique contre le pouvoir psychiatrique. L’action a d’ores et déjà repris, notamment autour de la revue Sans remède 4.

Sophie et Alexis

Groupe Orwell de Martigues de la Fédération anarchiste



1. « Neurologie : volte-face sur l’électrochoc », Le Monde, 18 novembre 2012.
2. Collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal, Les électrochocs : état des lieux.
3. Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé, Indications et modalités de l’électroconvulsivothérapie, avril 1997 (recommandations professionnelles).
4. www.sansremede.fr