La « dette » des femmes

mis en ligne le 13 mars 2013
Le 8 mars, Journée internationale des femmes, trouve son origine dans les luttes des femmes ouvrières du début du XXe siècle qui revendiquaient alors le droit de vote et de meilleures conditions de travail. C’est en 1910, lors de la Seconde conférence internationale des femmes, que la socialiste allemande Clara Zetkin et des femmes venues de dix-sept pays ont décrété que le 8 mars deviendrait une date commémorative internationale de toutes nos luttes. C’est donc une journée de manifestations à travers le monde : l’occasion de faire un bilan sur la situation des femmes, de rendre hommage aux femmes qui, à travers tous les pays, se lèvent et combattent les systèmes qui les oppriment, et aussi l’occasion de faire entendre nos revendications. La Journée internationale des femmes reste aujourd’hui d’une actualité ardente car tant que l’égalité entre les femmes et les hommes ne sera pas atteinte, tant que des femmes subiront des violences par le simple fait qu’elles sont femmes, nous devrons lui consacrer toutes nos forces. C’est une question de justice sociale.

La prétendue dette…
Notre objectif aujourd’hui, à nous femmes européennes en lutte contre la dette, est de démontrer que cette dette a des effets dramatiques sur les peuples certes, mais que ces effets sont encore plus dévastateurs sur la vie des femmes. Notre combat est évidemment de rendre ces effets visibles, en contrecarrant les mensonges des gouvernants, des financiers et des médias, mais aussi que l’ensemble du mouvement social et des groupes politiques, des syndicats, des associations intègre cette problématique dans l’élaboration et la construction de politiques alternatives.
Cette fameuse dette, qui justifie toutes les politiques d’austérité en Europe, nous n’en sommes aucunement responsables. Les membres du gouvernement nous mentent sur ce sujet à longueur d’ondes médiatiques et tentent de nous faire culpabiliser. à les écouter, nous avons trop dépensé. Nous avons vécu au-dessus de nos moyens, notre sécurité sociale, nos retraites, nos hôpitaux, nos écoles, nos minima sociaux coûteraient, selon eux, trop chers. Certains vont même jusqu’à incriminer les étrangères et étrangers qui profiteraient de notre État social. Tout cela est non seulement odieux mais c’est purement et simplement faux.
Ce sont leurs choix politiques qui ont engendré cette dette : notamment leurs cadeaux fiscaux aux plus riches et les licenciements massifs dans tous les secteurs qu’ils laissent faire. Licenciements qui impliquent une baisse des recettes de l’État et une hausse des allocations ; leur sauvetage des banques privées au détriment des peuples qui a transformé une dette privée en une dette publique ; le comportement spéculatif des banques qui prêtent aux États à des taux inacceptables : ces taux sont de 3 % en France, 4 % en Belgique, 6 % en Espagne, 7 % en Italie, 12 % au Portugal et ont atteint jusqu’à 30 % en Grèce ! Cette dette est en réalité celle des marchés financiers et des barons de la finance : elle n’est en aucune manière la nôtre.
Pourtant, sous prétexte de cette fameuse dette, tous les gouvernements d’Europe ordonnent des politiques d’austérité qui imposent aux peuples les pires régressions sociales. L’accroissement sans précédent du chômage et de la précarité contribue aussi activement à la montée des mouvements conservateurs fascistes et sexistes. Les fameuses restrictions budgétaires au menu de toutes ces mesures d’austérité accentuent la pauvreté, sabrent les droits sociaux, aggravent les inégalités entre les femmes et les hommes et sapent nos acquis féministes.

… affecte plus durement les femmes
Car cette crise de la dette est sexuée, autant dans ses caractéristiques que dans ces conséquences. Partout en Europe, l’austérité sanctionne l’émancipation des femmes car elle renforce toutes les inégalités entre les femmes et les hommes. Il est indispensable de mesurer cet état de fait, non pas pour poser les femmes en victimes, mais parce qu’elles sont des actrices incontournables des mouvements sociaux, tant dans la lutte que dans les alternatives qu’elles proposent.
Partout en Europe, avant cette crise, le travail des femmes était déjà discriminé, aucune politique volontariste n’a jamais été mise en place pour lutter contre ces injustices criantes. Prenons l’exemple de la France : 80 % des travailleurs précaires sont des femmes, elles occupent 80 % des emplois à temps partiel dont deux tiers leur sont imposés, elles gagnent 27 % de moins que les hommes et leur retraite est inférieure de 40 %. Le dernier accord scélérat, l’ANI, signé entre le patronat et quelques syndicats complices, va d’ailleurs renforcer ces inégalités. Partout en Europe, la surreprésentation des femmes dans les emplois à bas salaires est une caractéristique universelle des marchés du travail. Ainsi, les politiques d’austérité, en imposant encore une réduction de la durée de travail, en baissant les rémunérations et en instaurant le chômage partiel en référence à l’emploi partiel, ont des effets dévastateurs sur la vie des femmes. Partout le patronat utilise la crise pour exploiter encore plus les femmes, il flexibilise encore plus leurs emplois, il ne reconduit plus les CDD, les poussant au travail informel, il augmente les procédures illégales de licenciements.

La casse du service public en rajoute encore
Les politiques d’austérité imposent aussi à tous les pays d’Europe une véritable casse des services publics par le biais notamment des suppressions massives de postes (400 000 annoncées en Grande-Bretagne, 150 000 en France entre 2008 et 2012…) ou encore par la baisse des rémunérations des fonctionnaires comme en Grèce, en Espagne, au Portugal mais aussi en Roumanie, en République tchèque, en Irlande, etc. Les femmes sont ici concernées à double titre : d’abord en tant que principales employées du secteur public, mais aussi en tant que principales bénéficiaires et usagères notamment des services sociaux, d’éducation, de soin et de garde d’enfants, de prise en charge des personnes dépendantes, etc. En Grèce, où l’on assiste en ce moment même à une véritable crise humanitaire, ce sont 40 % des hôpitaux qui vont fermer (ou être bradés au privé), la grande majorité de la population ne peut plus se soigner, un accouchement coûte entre 800 et 1 600 euros s’il y a besoin d’une césarienne (ce qui a eu pour effet une diminution des naissances de 20 % en 2012). à Dublin, une place en crèche coûte entre 800 et 1 000 euros. En Belgique, seul un enfant sur quatre peut espérer une place en crèche. Et ce sont les femmes qui prennent en charge ce que l’État a fait le choix de délaisser, de sacrifier ; ce sont elles qui gardent enfants, parents, grands-parents. On assiste à un véritable retour des femmes au foyer, obligées d’abandonner la sphère du travail rémunéré, pourtant conquis de haute lutte.
Les politiques d’austérité imposent partout en Europe des réductions drastiques dans les budgets de protections sociales et de services sociaux. Ces coupes budgétaires affectent particulièrement les femmes dans la mesure où elles assument toujours le rôle de « responsable » de la famille. En Roumanie et en Angleterre, les allocations familiales ont été réduites, en République tchèque les prestations sociales versées aux familles à très faible revenu ont été purement supprimées, l’Italie a vu son budget de politique familial diminué de 70 % et ce sont 3 millions de Grecs qui n’ont plus de couverture maladie.
La santé sexuelle et reproductive des femmes est elle aussi fortement menacée par la baisse des financements. En effet, l’avortement et la contraception sont eux aussi remis en cause par ces politiques d’austérité : en France, ce sont 180 centres IVG qui ont fermé depuis dix ans, en Suisse, le gouvernement tente de le dérembourser, au Portugal, les centres de santé refusent de distribuer la pilule du lendemain.
Mais ce sont aussi les politiques et les budgets auparavant consacrés aux politiques d’égalité femmes/hommes qui sont sacrifiés. Ainsi, le ministère du droit des femmes a été supprimé en Espagne, les plannings familiaux voient leurs subventions baisser d’année en année et sont en danger à l’heure actuelle en Belgique, les lignes d’écoute et d’aide téléphonique pour les femmes battues, violées et maltraitées sont menacées, le dernier centre d’hébergement d’urgence pour les femmes vient d’être fermé à Paris. En ce 8 mars, journée internationale des luttes des femmes, c’est aussi à toutes les femmes victimes de violences que nous devons penser car la crise de la dette, en nous précarisant, en nous paupérisant, amplifie ce phénomène.
La dette et les politiques d’austérité ne sont pas neutres d’un point de vue du genre ! Les gouvernements ont effectivement bien une dette mais ce n’est pas aux banques qu’ils la doivent, c’est aux femmes car elles en sont les principales créancières ! Nous le savons, la dette participe de choix politiques effectués par les gouvernements, ce sont eux qui l’on construite. Or, ce qu’ils ont construit, nous pouvons ensemble, par nos luttes, le déconstruire. L’égalité entre les femmes et les hommes est certes une exigence de justice sociale mais cette égalité doit être au centre de nos revendications et de nos combats car elle constitue une des perspectives importantes pour sortir de la crise.

Sigrid Gerardin