1962 : France, Algérie, Allemagne

mis en ligne le 7 février 2013
Si 2012 a marqué le cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie, qui a généré en France plus de polémiques que de réjouissances, 2013 débute avec la commémoration de la signature du traité d’amitié franco-allemand de l’Élysée le 22 janvier 1963. Pourquoi lier ces deux événements ?
En premier lieu, un rappel chronologique s’impose. La signature du traité a été précédée par deux voyages officiels à forte charge symbolique en 1962 : celui d’Adenauer en France, le premier pour un chancelier allemand depuis la fin du conflit mondial, du 2 au 8 juillet et celui de de Gaulle en septembre en Allemagne. Le voyage du chancelier allemand se déroule donc au moment même où l’Algérie accède officiellement à l’indépendance dans des conditions fort difficiles pour ne pas écrire chaotiques : luttes intestines pour le pouvoir, exode d’une grande partie des pieds-noirs, exactions meurtrières (les harkis et le 5 juillet à Oran).
Pour de Gaulle, il est clair qu’il s’agit de clore la période coloniale en se libérant notamment du poids de la guerre d’Algérie : il a déjà tourné la page et sa tête est ailleurs. En termes de calcul de puissance très XIXe siècle, les colonies représentaient l’attribut d’un grand État : la Grande-Bretagne et la France régnaient sur le monde. Dans cette deuxième partie du XXe siècle, les colonies n’apparaissent plus que comme une charge qui obère à la fois les relations internationales et le budget des anciennes métropoles. La question algérienne a isolé la France et, en même temps, a grevé ses finances publiques. Sans compter qu’avant l’Algérie il y a eu l’Indochine, soit une période de guerre débutée avec la fin du conflit mondial : symboliquement, les guerres de décolonisation débutent le 8 mai à Sétif et Guelma… Or, depuis Versailles, l’Allemagne a été heureusement libérée de ses colonies et, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la capitulation proscrit toutes velléités de réarmement. Par ailleurs, le traumatisme du nazisme a guéri l’Allemagne de toute prétention à jouer le rôle d’une grande puissance militaire : ce qui explique le peu d’empressement du gouvernement allemand à s’impliquer au Mali par exemple. Depuis 1945, ses dirigeants se consacrent donc à la reconstruction et concentrent exclusivement leurs efforts sur l’économie. Conséquence, lorsqu’on compare la part des budgets consacrée à la guerre, le différentiel joue énormément en faveur de l’Allemagne et quand on évoque le miracle allemand (ou japonais du reste !), on omet trop souvent d’évoquer cet aspect des choses notamment pour ne pas chagriner nos porteurs de sabre. L’Allemagne se contente de fabriquer des armes et de les vendre (par exemple, à la Grèce qui est un excellent client : cet aspect de la « crise » grecque est généralement occulté !).
Deuxième point, la France et l’Allemagne signent un traité d’amitié dès 1962 soit dix-sept ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale et quarante-quatre ans après la fin de la première. Et cela malgré les millions de morts, les destructions, l’occupation et la terreur nazie dont le souvenir est encore vif dans la population française. La visite du général est ponctuée par plusieurs discours. Il en prononce même certains en allemand dont le célèbre discours devant la jeunesse au château de Ludwigsburg le 9 septembre : « Je vous félicite, ensuite, d’être de jeunes Allemands, c’est-à-dire les enfants d’un grand peuple. Oui ! D’un grand peuple ! » Il fallait oser ! Et en même temps et rétrospectivement, seul le général de Gaulle pouvait se permettre de tenir un tel discours car il avait réussi à incarner « la résistance du peuple français à l’occupation allemande » en créant le mythe résistancialiste qui permettait notamment d’escamoter la dimension guerre civile du conflit mondial ; après tout, des Français appartenant à la division Charlemagne ont défendu le bunker de Hitler et des Allemands ont combattu dans les rangs de la Résistance en France…
Cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, nous sommes bien loin de la signature d’un traité franco-algérien. La visite de Hollande à Alger a été relativement discrète. Il est bien évidemment inimaginable qu’un président français s’exprime en arabe. Bien qu’une partie de son discours ait été rédigée par Benjamin Stora dans son esprit constructif de réconciliation, ses avancées ont peu été relayées par la presse audiovisuelle ou même écrite, voire même escamotées comme si elles continuaient de déranger. Pourtant, le bilan de la guerre d’Algérie pour la France n’est en rien comparable avec celui des conflits avec l’Allemagne : 30 000 morts, soit moins de la moitié des morts sur la route pendant la même période… Reste donc à tenter une explication qui ne saurait être simple.
En France, de nombreuses communautés entretiennent avec l’Algérie des mémoires diverses voire antagonistes et conflictuelles qui sont elles-mêmes le produit de cette terrible guerre civile : les anciens appelés, les militaires de carrière, les pieds-noirs, les Algériens… Suite à l’indépendance, le nombre des Algériens en France a, paradoxalement, fortement augmenté et leurs enfants sont devenus Français en vertu du droit du sol. Comme il s’agit de faire vivre tous ces groupes sociaux ensemble sans générer des conflits, le mieux est ne pas en parler, d’où la couverture discrète, en France, du voyage de Hollande à Alger.
Dans la relation franco-allemande, la France pouvait se présenter comme la victime et la démarche du général de Gaulle pouvait apparaître comme une démarche de pardon dans un désir d’aller de l’avant, d’où l’importance du discours à la jeunesse allemande qui n’était, par définition, pas coupable mais porteuse d’avenir. Sans se défausser, une symétrie des situations (le bilan du conflit pour les Algériens est considérablement plus lourd que pour la France sans revenir sur les 132 ans de colonisation !) impliquerait que la démarche soit effectuée par un haut responsable algérien ayant joué un rôle majeur dans la libération de son pays. Il n’en reste plus beaucoup en vie. Mohamed Boudiaf, qui possédait assurément la stature, a été malheureusement assassiné par ceux qu’il dérangeait. Or ces derniers gèrent, à leur profit, la double rente algérienne : une rente mémorielle qui autorise ensuite la captation de la rente pétrolière. Par conséquent, ils n’ont aucun intérêt à une réelle réconciliation avec la France dans la mesure où la lutte anticoloniale constitue leur seule et unique source de légitimité. En France et au-delà des alternances politiques, les responsables politiques s’accommodent bien de cette situation : les prévaricateurs algériens sont de bons clients pour nos produits et le surplus de leurs détournements alimente les banques occidentales… Sans négliger le fait qu’un pouvoir fort constitue un rempart rassurant contre les désordres de tous ordres !
Cinquante ans après la fin de la guerre, la paix n’est malheureusement pas encore à l’ordre du jour des agendas des politiques…



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


le rebelle

le 28 février 2013
vous oubliez le role joué par l allemagne dans l enclenchement du conflit yougoslave,par la reconnaissance,le 23 décembre 1991,des indépendances slovène et croate.à ce moment,les services secrets allemands ont livré les armes de l ex rda a zagreb depuis la hongrie en passant par l autriche.l impérialisme allemand est responsable-on l oublie souvent!-de la tragédie des balkans.